La substance s’ingurgite. Non pas pour réparer la beauté, mais pour panser les plaies enfouies d’une société nourrie au biberon saveur performance et image. La représentation de soi est devenue, un phénomène, très inquiétant. Cela a toujours été là, les mannequins, les magazines.. mais les réseaux sociaux ont ouvert la porte grand public à cette infatigable recherche de perfection. Il aura fallu attendre des années pour qu’un réel message de body positivité et d’acceptation de soi se propage dans nos mœurs. Mais entendons nous là dessus, cela reste rare, et le cinéma Français y contribue largement.
François Civil, Pierre Niney, Adèle Exarchopoulos… jusqu’au bout des ongles ils sont taillés dans les normes et viennent monopoliser chacune des têtes d’affiches. Évidemment, ceux qui défient ces lois, ce sont toujours les hommes. Ni leurs rides, leurs calvities ou leurs laideurs ne les empêcheront de se retrouver sous les feux des projecteurs. Car un homme qui porte le poids des années sur son visage, c’est une référence du cinéma, et une femme ridée, c’est juste démodé. Ils peuvent tout faire, tout être, et cela se défend comme une vérité générale qui fait intuitivement complexer.
The Substance est généreux en tout point, Coralie Fargeat ne s’interdit rien, car tout est permis dans la quête de la beauté normative. Et, quel bonheur de découvrir un film, qui ne sait lui même où il va. Imparfait, et parfois poussif, mais toujours comique et passionné. La réalisatrice de The Substance nous propose une œuvre comme il n’y en a pas deux, absurde et réaliste.
Est-il nécessaire de préciser que le duo Demi Moore – Margaret Qualley est une pure évidence, et pourtant, elles ne se rencontrent jamais vraiment. Car, elles ne font qu’une, elles ne doivent faire qu’une, l’une ne survivra pas sans l’autre. Avec d’un côté la beauté évidente, innocente, et de l’autre l’élégance moins absolue pour ceux qui ne voudraient la voir, Fargeat cherche un équilibre à travers cette dynamique incoercible, et elle le trouve ; le gore. Quand plus rien ne capte, elle détruit tout, elle balaye tout du revers de la main et crée quelque chose de curieux ; on en redemande.
Il est donc d’autant plus étonnant de constater que Fargeat pousse tout les voyants au rouge. Alors que Revenge était déjà très généreux dans son climax, avec ses protagonistes qui glissaient – littéralement – dans le sang de la vengeance, ce qui les empêchent d’ailleurs d’avancer, la cinéaste pousse le vice encore plus loin. Toujours plus : plus d’hémoglobines, de bizarreries, à un tel point où l’on se demande souvent comment elle peut aller plus loin. Et pourtant, elle y mets les deux pieds bien droits. Du body horror rappelant les meilleures heures de Cronenberg en passant par un côté bis très assumé – aux airs de Basket Case (si si) – il était presque inespéré de prendre un tel plaisir régressif. Surtout devant un film en compétition officielle, rappelons le. Dans le prolongement de sa thématique sur l’âge et la femme dans le milieu audiovisuel, Fargeat hyperbole. Elle transforme sa protagoniste peu à peu en réceptacle de tout les pires vices que peuvent lui accorder la gent masculine.
En effet, c’est pour montrer qu’il n’y a ni de beau ni de laid qu’elle décide de créer son monstre : une créature à laquelle on attribue nécessairement tous les défauts. Les rides deviennent des dégueulis sous les yeux, les bourrelets d’énormes plis remplis de gras suintant et les vergetures d’immenses veines gonflées. Et finalement, sous un tonnerre d’applaudissement, Carrie d’effets pratiques entre en scène et décide – dans le sens premier degré du terme – de pisser sur son public qui le méprise tant. Une scène exagérée, obscène, mais surtout réjouissante et jusqu’au boutiste tant on attendait cela dès le début. Toute cette caste qui réprimait cette femme finit par se noyer dans le chagrin qu’elle gardait en elle et emmagasinait. Une élite qui n’avait que les yeux pour la juger n’ont désormais même plus les mots pour la décrire.
En décidant de tout pousser à l’extrême, au risque de décontenancer une bonne partie du public – en preuve le bon tiers de la salle qui s’est échappé par la porte – Coralie Fargeat assume de créer un film volontairement régressif et outrancier afin d’en distiller toute la bêtise masculine en allumant au chalumeau, un par un, toutes les attentes que l’on pourrait avoir sur un film de ce genre. Et même avec tout cela, le constat final sera triste et l’issue fatale. Car on reste dans un monde dominé par cette gent. Qu’elle ait pu être la plus belle femme au monde comme la plus laide, elle finira malheureusement oubliée comme toutes les autres. Sa voix n’aura pas su assez résonner dans la salle, étouffée par ses détracteurs, et son étoile fissurée, nettoyée une dernière fois.
Cet article est co-écrit par Charlotte Trivès et Tristan Misiewicz
La Note
8.5/10