La Fête à Henriette : Ce film français des années 50 que vous allez adorer !

Ne riez pas, La Fête à Henriette est véritablement un film à voir. À la mention du cinéma français pré-Nouvelle Vague, généralement on fuit (la Nouvelle Vague aussi d’ailleurs), car l’image effrayante d’un Michel Simon récitant des monologues sur du noir et blanc 4/3 envahit notre esprit et empêche son ouverture vers un pan du cinéma qui ne demande qu’à dévoiler ses pépites rejetées. En découle toute une génération de cinéastes enfouis qui ne semblent pouvoir être adorés que par des professeurs de la Fémis, mais qu’il faut absolument recanoniser dans la culture cinéphile contemporaine. Julien Duvivier est un de ces réalisateurs.

Célèbre depuis les années 30 et les classiques Pépé le Moko ou Poil de Carotte, Duvivier est reconnu comme étant un réalisateur majeur du patrimoine français au grand pessimisme qui insuffle à ses films une saveur toute particulière (voir La Belle Équipe et Panique), et au milieu d’une époque où le cinéma est encore grandement influencé par le théâtre et son jeu manquant de subtilité dramatique, ses films font exception de par leur surprenante noirceur qui peut, ça alors, bien se cacher au creux de ce maudit noir et blanc 4/3. Mais encore au-delà de ça, Duvivier sort du peloton de l’indifférence par la réputation de son cinéma original, dont la recette semble ne se baser sur rien d’autre et, pour aller encore plus loin, il apparaît immédiatement que ses films sont empreints d’une modernité incroyable dont le meilleur témoin est notre film, La Fête à Henriette.

Rare image des spectateurs d’époque illuminés par le script de Duvivier

Deux scénaristes viennent de se faire refuser un projet et décident d’écrire une nouvelle histoire ensemble, celle d’une jeune parisienne lambda prénommée Henriette, mais leurs inspirations divergent parfois, et ils font vivre à leurs personnages des aventures contradictoires et rocambolesques. C’est ce synopsis d’une relative simplicité duquel part Julien Duvivier pour faire son film qui revêt l’apparence d’une simple comédie romantique sans ambition particulière, mais qui possède une vraie maîtrise dans l’exécution pour exploiter son concept de la plus intelligente des manières et permettre au film d’atteindre un degré de modernité propice à la prospérité défiant les âges.

Cette modernité, en fait, se manifeste de manière très simple, c’est la métatextualité du film, c’est-à-dire le rapport critique et auto-conscient qu’entretient le récit avec lui-même qui lui permet d’atteindre un stade d’advertance assez extraordinaire pour son époque (encore une fois, avant les expérimentations de Godard et compagnie) et le rend si ludique à voir encore à ce jour.

« Tiens, Marcel, ça te dirait pas d’écrire un chef-d’œuvre ? »

Pendant tout le long-métrage on suit alors les péripéties-types d’une mauvaise romance (pourquoi toutes les mise en abyme cinématographiques semblent présenter des navets, d’ailleurs ?), mais mises en forme de manière à ce que tout ne soit que jeu pour le spectateur qui assiste à la forme la plus déshabillée et honnête possible de création artistique : celle du work in progress, de l’œuvre en train de se fabriquer (ici sous forme dynamique).

En parlant de « déshabillé », d’ailleurs, il est intéressant de noter le propos audacieux du film par rapport à la figure féminine au cinéma (dans les années 50, rappelez-vous) et sa représentation toute aussi osée dans un temps où montrer de la nudité n’est même envisageable dans les salles obscures. « Ce n’est pas de la pornographie, c’est de l’érotisme ! » rétorque un des deux camarades quand l’autre lui reproche d’incruster des échantillons gratuits de ses fantasmes futiles au milieu de l’histoire. Alors on efface la scène précédente, on réécrit les enjeux, et on continue sur une autre lancée. C’est ce que fait le film sans arrêt et implique qu’il devient au bout d’un moment un peu confus à force de désaccords entre nos deux compères, mais qui lui permet de faire exploser son inventivité jamais lassante et toujours plus invraisemblablement jouissive.

Robert, l’amourette d’Henriette, est tantôt le centre du récit, le grand suspense de l’histoire, tantôt un simple apparat, oublié par un côté du tanguant binôme, et le personnage de Michel Auclair nous fait passer du drame pathétique au film noir bourré de clichés, nous perdant ce faisant parmi les folies (et finalement fantasmes) scénaristiques du dynamique duo. Au sommet de ces fantaisies, les plans obliques du réalisateur finissent d’exagérer chaque trait ridicule d’une véritable épopée qui a finalement eu tout intérêt de n’être qu’une histoire dans une histoire, un bon flair ce Duvivier.

« Jacques, tu vois pas qu’elle est de traviaule ta caméra, là ? »

Ce film, c’est un véritable anachronisme, un projet incroyable qui, normalement, n’aurait jamais dû exister, n’aurait jamais pu exister tant il va à l’encontre d’une multitude de principes cinématographiques du cinéma dit « classique », et sa caméra faite pour plonger intégralement le spectateur dans un récit, non, La Fête à Henriette relève plutôt du cinéma « moderne », où l’on accepte pleinement de montrer aux spectateurs que nos personnages sont des personnages et que la caméra est une caméra, que tout n’est que mise en scène arbitraire. Pourtant, comme nous en avons fait référence plus haut, ce type de cinéma n’est réellement apparu en France qu’avec la bande à Truffaut, Godard etc., presque dix années plus tard (notre film est sorti en 1952) !

Du début à la fin (et ses deux génériques pionniers que les Cahiers du Cinéma auront vite fait d’oublier), Julien Duvivier opère une vraie-fausse révolution audiovisuelle, tant son film est en avance sur son temps et aura influencé des futurs grands maîtres, mais tant il est aussi négligé par la critique et le conscient collectif du médium cinématographique. C’est pourquoi avec cet article, j’ai voulu le remettre en lumière et lui donner une nouvelle chance à vos yeux, zieux que vous pourrez poser dès ce soir dessus si vous le souhaitez ! Eh oui, ce film est disponible sur la plateforme française de SVOD UniversCiné en abonnement simple, ainsi que des centaines d’autres pépites à ne pas manquer, alors n’hésitez pas, et rendez-vous sur universcine.com !

Samuel Dumas
Samuel Dumas
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