Caught by the tides: le courant d’une histoire qui passe

Jia Zhang-ke a frappé fort dans l’écran de l’histoire au point où il ne nous en reste que des morceaux. Chaque morceau atterrit à un endroit différent et renvoie l’image de ce sur quoi il est tombé. C’est globalement comme cela qu’on pourrait résumer la démarche du réalisateur chinois.

Jia Zhang-ke quitte le global d’une histoire grandeur civilisation qu’on sait depuis Kracauer peu à même d’être traitée par le micro espace qu’est le plan1, même quand il y en a plein. Son film Caught by the tides s’attache à capter une histoire captée. On ne conte plus d’histoire; c’est l’Histoire qui est effleurée au vol par deux individus, dont le vécu historique peut sembler conceptuellement superficiel. Mais parce qu’il est superficiel au sens étymologique du terme, le film peut dès lors devenir “super-visuel”. On y voit même le regard, c’est dire. On perçoit donc l’écoulement de l’histoire à travers les appareils d’enregistrements inscrits dans les époques traversées; et ces nouvelles technologies optiques nous apparaissent avec une ombre : elles se projettent sur ce qu’elles voient, leurs ombres recouvrent la matière, tendent même à s’autosuffire et quittent la pure posture du regard (on pensera à ces mouvements 360° dans les années 2020, d’une brusque violence et qui déforment tout figuré).

En parallèle de ces doubles captations, une caméra traverse les époques et se veut historiquement neutre. Loin d’être un écueil dans le processus du film, cette zone visuellement anhistorique fait ressortir par la rupture l’éphémère fantôme des autres. Au final, tout n’est que fragmentation. Les fragments évoqués de l’écran de l’Histoire, qui cadrent les instants présents du passé. L’Histoire devient passante. Logique quand on la traverse. Concentré sur la technologie et son évolution dans les domaines utilitaires comme dans les loisirs (sublime première partie composée quasi uniquement de spectacles), le réalisateur chinois lie expérience et réflexion : c’est par l’exploration du vécu direct de l’histoire dans son quotidien qu’on explore son sens. Le sensoriel rappelle, évoque et ouvre.


La Note

9/10

Note : 9 sur 10.
  1. Pour creuser ça on vous renvoie volontiers à l’article d’Edouard Arnoldy Fantasmagorie et Barbarie, Germanica n°66 | 2ÈME TRIMESTRE 2020 ↩︎
Nino Guerassimoff
Nino Guerassimoff
Articles: 12