Du faux sang et des néons de couleur : Une esthétique du cinéma d’horreur des années 1970 et 1980

Le cinéma d’horreur des années 1970 et 1980 a aujourd’hui acquis un statut culte, il est à l’origine de nombreuses franchises qui connaissent toujours à l’heure actuelle des séquelles ou des remakes. Pour autant, comment comprendre la persistance du charme de ce cinéma à une époque où les technologies d’effets spéciaux créent un standard de réalisme bien au-delà de tout ce que ces films pouvaient espérer accomplir en leur temps ?

Il en va de l’évidence que l’esthétique de l’horreur dans le cinéma des années 1970 et 1980 est profondément marquée par un aspect artificiel. Loin d’amoindrir les films en question, cela signifie précisément une chose : le cinéma d’horreur classique entretient méticuleusement une théâtralisation qui lui est propre. Il se passe en réalité de toute illusion de vraisemblance, contrairement à l’intuition même que l’on pourrait en avoir. La logique voudrait que, pour faire peur, il faille d’abord convaincre, néanmoins, bien que certains films avertissent par exemple leurs spectateurs qu’il existerait une coïncidence des évènements du film avec des évènements réels, il y a, au sein-même de ce processus, un décalage volontaire qui se joue de toute prétention de réalisme. Cet avertissement est toujours conscient du lieu commun dans lequel il s’inscrit, il est la célébration d’un code formel en lui-même.

Massacre à la tronçonneuse (1974) © Vortex

« Le film que vous vous apprêtez à voir raconte la tragédie qui a frappé un groupe de cinq jeunes, en particulier Sally Hardesty et son frère invalide, Franklin. (…) Pour eux, un après-midi d’été idyllique en voiture s’est transformé en cauchemar. Les événements de ce jour-là ont conduit à la découverte de l’un des crimes les plus étranges de l’histoire américaine, le massacre à la tronçonneuse. »

— Massacre à la tronçonneuse (1974)

La voix du narrateur de Massacre à la tronçonneuse (1974) résonne mais ne dit, à proprement parler, rien, du moins, rien qui n’apporte de manière décisive des éléments de compréhension diégétiques. Le discours tenu n’a pas d’autre vocation qu’un aspect purement formel, il est structurellement poétique, car le film d’horreur joue et s’amuse de ses codes, il les célèbre au point de saturer sa forme et de l’opacifier contre tout résurgence de fond, car l’esthétique de l’horreur est avant tout une lutte acharnée contre le logos traditionnel. Sa catharsis se joue dans l’abandon du discours et de la raison, au profit d’un plaisir paradoxal du corps et des sens. 

L’Exorciste (1973) © Hoya Productions

De ce point de vue, le travail de l’image a une place spécifique. Sans que cela ne soit une particularité du cinéma d’horreur, celui-ci semble exacerber les mécanismes qui régissent l’image d’un film et par là-même il rend visibles les stratégies de composition et de narration traditionnelles. Visuellement, le film d’horreur fonce toujours droit vers la limite et frôle audacieusement la caricature. Les scènes dans la forêt de Massacre à la tronçonneuse (1974) prennent place dans une obscurité quasi-totale, poussant dans ses retranchements le jeu habituel de la caméra et de la lumière, la lampe-torche ou la maison, seules sources de lumière, intervenant sporadiquement et soudainement pour éclairer de manière décisive Leatherface quand il apparait. Dans un tout autre registre, Dario Argento rajoute à ce jeu de lumière un jeu de couleurs, notamment dans Suspiria (1977), dans lequel des couleurs néons indiquent quasi schématiquement le ton de la scène, avec une négligence complète et heureuse de tout réalisme. Suzy passe d’un couloir vert à une pièce rouge, parfois au bleu, violet ou rose. Sans ne s’encombrer de justification, Argento pousse ici le travail traditionnel de l’image dans son retranchement le plus visuellement délicieux d’intensité. 

Suspiria (1977) © Seda Spettacoli

Il s’agit en effet parfois moins de se demander si les sources de l’épouvante sont efficaces pour le spectateur, s’il s’abandonne à ce qu’il voit, s’il y adhère, y croit, s’il regardera prudemment l’obscurité après son visionnage. Le cinéma d’horreur affiche une facticité, ce qu’on lui reproche souvent en critiquant les récurrences de ses schémas narratifs, de ses archétypes (le plus célèbre d’entre eux étant évidemment celui de la final girl), et la faiblesse de ses effets spéciaux. C’est pourtant, semblerait-il, dans l’exercice de cet artisanat, parfois aussi stéréotypique qu’irréaliste, que réside le grand intérêt de l’esthétique de l’horreur. Que la final girl se précipite systématiquement au premier étage lors d’une course poursuite, que les plans panoramiques révèlent quasi toujours un jumpscare, ou que des adolescents en plein acte sexuel provoquent à chaque fois la colère du slasher comme dans Vendredi 13 (1980), là est tout l’art du cinéma d’horreur, et non pas sa faiblesse. 

Vendredi 13 (1980) © Georgetown Productions Inc.

D’une part, il revendique cet effort que l’on pourrait presque qualifier de manuel, en témoignent les influences de l’esthétique classique du cinéma d’horreur. Le court métrage Un chien Andalou (1929), notoire pour son influence sur le cinéma en général, fait rivaliser d’inventivité Buñuel et Dali pour manufacturer des effets spéciaux de la manière la plus artisanale qui soit, qu’il s’agisse d’une main sectionnée retrouvée au sol ou d’un œil découpé au scalpel. La nuit de tous les mystères (1959) s’efforce à mettre en scène fantômes et têtes coupées dans un style visuel pauvre en postproduction, sans que cela n’amoindrisse la qualité du travail de décor, de maquillage et de mise en scène. On retrouve cette créativité à la racine même du travail des films d’horreur des années 1970 et 1980, avec un charme propre. Creepshow (1982), film inspiré par l’imaginaire des bandes dessinées d’horreur des années 1950, est un exemple parlant en ce qu’il rend directement hommage à ce medium pour lequel le réalisme n’est pas une préoccupation. Entre monstre fait maison, maquillage et mise en scène par l’illusion, Creepshow ne s’encombre pas du souci de vraisemblance, mais donne à constater un plaisir particulier dans l’artificialité de sa mise en scène, de manière in fine particulièrement théâtrale. 

D’autre part, en ce qui concerne ses lieux communs, il faut en revenir à l’idée que le cinéma d’horreur est un cinéma profondément esthète, et que dans ses stéréotypes se joue quelque chose de rituel. Vendredi 13 (1980) met en scène des campeurs, des adolescents libidineux en plein milieu de la forêt, des cabanons en bois, une nuit pluvieuse, non pas par manque de créativité scénaristique, mais parce que dans ces lieux communs résonne un imaginaire particulier, que le cinéma d’horreur cultive passionnément. Il s’agit d’une esthétique de la transgression des imaginaires traditionnels, qu’il s’agisse, pour l’exprimer de manière schématique, de la religion dans L’Exorciste (1973) ou Carrie (1976), de la jeunesse dorée et insouciante dans Vendredi 13 (1980) ou Massacre à la tronçonneuse (1974), de l’hygiénisme des corps dans Possession (1981), Le Rocky Horror Picture Show (1976) ou Phenomena (1985).

Creepshow (1982) © United Film Distribution Company

Cette esthétique du cinéma d’horreur est un théâtre visuel à haute intensité et n’a pas vocation à se dissoudre dans du réalisme, la forme n’ayant aucun intérêt à se rendre transparente au profit du fond. En effet cet espace cinématographique est celui d’une transgression visuelle, un blasphème quasi phénoménologique du vrai, il doit donc se refuser à se confondre avec celui-ci. En outre, ce-faisant, il est un haut-lieu de libération des forces créatives, et inventives, non plus contraintes par le vraisemblable, mais mises au service d’espaces radicalement nouveaux et propres.

Philomène Martinez
Philomène Martinez
Articles: 4