Ken Loach, un réalisateur engagé

Peu sont les cinéastes qui peuvent se targuer d’avoir remporter deux fois la Palme d’or. Le cinéaste Ken Loach est de ceux-là, se hissant parmi des cadors de la profession, tels que Francis Ford Coppola ou Emir Kusturica. On lui décerne une première fois la plus prestigieuse récompense cannoise en 2006 pour Le vent se lève. Dix ans plus tard c’est avec le touchant Moi, Daniel Blake qu’il la décroche de nouveau. Aujourd’hui, le festival azuréen dont il est recordman de sélections (19), l’a déjà récompensé 7 fois toutes catégories confondues.

Le réalisateur britannique qui fêtera ses 85 ans le 17 juin 2021, se démarque de ses pairs par un style unique : celui d’utiliser son art au service de revendications politiques et sociales, afin de poser un regard critique, notamment sur les maux du Royaume-Uni, à travers une méthode professionnelle authentique. On vous explique tout ça.


Celui qui avoisine bientôt les 30 longs métrages, mais également quelques séries et documentaires, met un point d’honneur à rester fidèle autant que possible à ses principaux collaborateurs et rappelle régulièrement que le succès de ses réalisations reflète ce collectif. Ainsi, au fil des années, la colonne principale de ses films s’est articulée autour de ses collaborations avec le scénariste Paul Laverty (16 films), la productrice Rebecca O’Brien (17 films), le monteur Jonathan Morris (25 films), le compositeur Georges Fenton (17 films) ou encore le directeur de la photographie Barry Ackroyd (10 films).

Au-delà de l’équipe technique, c’est l’originalité dans le choix des acteurs et la direction de Loach qui nous interpelle. En effet, Ken Loach a pris l’habitude sur de nombreux tournages de faire appel à des acteurs peu connus, parfois même non-professionnels. À l’instar de l’historien anglais E.P Thompson (1924-1993), qui dans le souci d’effleurer le quotidien de la classe ouvrière anglaise, s’était lui-même engagé auprès des mineurs du Yorkshire, Ken Loach suscite une expérience réaliste en mettant en scène des comédiens issus ou s’apparentant aux milieux qu’il entend décrire dans ses films.

Dans Sorry We Missed You (2019), il dénonce les conséquences de l’économie libérale à travers la précarité d’un couple, incarné par Kris Hitchen et Debbie Honeywood qui étaient respectivement plombier et employée avant le tournage. Dans Le vent se lève, primé par la Palme d’or en 2006 comme nous l’évoquions, il met en exergue l’injustice des exactions britanniques en Irlande lors de la colonisation et de la guerre civile pour l’indépendance, dans les années 1920. L’acteur principal de cette tragédie n’est autre qu’un acteur irlandais Cillian Murphy. Ce dernier, élevé dans une famille traditionaliste irlandaise est désormais célèbre pour ses rôles dans de grosses productions (il tourne plusieurs fois pour Christopher Nolan) et surtout pour son interprétation du personnage de Thomas Shelby, dans la série Peaky Blinders. Fun fact, le film de Ken Loach a été l’occasion pour Cillian Murphy d’adopter avec quelques années d’avance, son look de gangster de Birmingham : costume trois pièces, casquette vissée sur la tête et cigarette au bec.

Cillian Murphy dans le rôle de Damien O’Donovan (Le vent se lève)

En plus de jouer de cette ambiguïté à utiliser des comédiens issus des milieux au cœur des thèmes qu’il aborde, Ken Loach aime accentuer l’authenticité de ses projets par une méthode bien particulière. Celle-ci, bien que non exclusive et partagée par d’autres de ses confrères, consiste en deux points cruciaux. Le premier est de donner leur texte aux comédiens qu’au dernier moment. De cette manière, le réalisateur obtient des scènes plus naturelles. Le second, c’est de tourner ses films dans l’ordre des séquences, afin que le déroulement de l’histoire paraisse également plus naturel à travers le jeu des acteurs. Évidemment, c’est un procédé qui convient mieux à son genre de film, qui ne serait pas envisageable pour de grosses productions nécessitant des effets.

Car oui, les films de Ken Loach ne nécessitent que très peu de moyens techniques et c’est là véritablement que se trouve le secret de son authenticité. Lorsque l’on visionne certains de ses films et ce n’est pas péjoratif, il y a un côté amateur rendu par le naturel de son procédé, qui fait qu’on a parfois l’impression de jongler entre fiction et documentaire.  Depuis plus de 40 ans, il tourne la plupart de ses films dans des banlieues de régions ouvrières, espaces délaissés, victimes de la transformation capitaliste, fruit des mandats de la très conservatrice et libérale Première ministre Margareth Thatcher au Royaume-Uni et plus généralement de la mondialisation.

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La banlieue anglaise est au cœur du cinéma de Ken Loach

À travers ses films et ses documentaires, il fait de la lutte contre la précarisation et les injustices sociale son fer de lance, ce qui fait de Ken Loach et il n’est pas le seul, un réalisateur engagé.


Suggestion de la rédaction : Moi, Daniel Blake (2016), dans lequel un homme se dresse contre des décisions sociales abusives et influencées par les interventions de services privés. Il se mue alors en porte-parole et surtout en visage des précaires, victimes du disfonctionnement des administrations sociales.

Corentin Bruchon
Corentin Bruchon
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