Master Gardener : à l’ombre de la jeune fille en fleurs

Synopsis : Un horticulteur méticuleux se consacre à l’entretien des terres d’un magnifique domaine appartenant à une riche douairière. Lorsqu’on lui dit de prendre sa petite-nièce troublée comme apprentie, sa vie est plongée dans le chaos et de sombres secrets de son passé émergent.


Après First Reformed et The Card Counter, Paul Schrader était de retour cet été avec ce qui constitue le 3e volet de sa trilogie de la rédemption où, une fois de plus, le travail quel qu’il soit semble être avant tout un moyen d’atteindre et/ou construire le salut.

Après le joueur de poker professionnel et le pasteur, le travail se veut plus symbolique en la matière de l’horticulture et du jardinage. Le personnage de Narvel Roth (Joel Edgerton) expliquera la métaphore édénique : « être jardinier, c’est parier sur l’avenir ». Parier sur l’avenir donc, voici la mission qui lui sera confiée par Norma Haverhill (Sigourney Weaver), pour qui il est chargé d’entretenir le jardin (et d’assouvir les besoins sexuels, au passage), lorsque celle-ci lui octroie la charge de prendre la nièce métisse de la famille, Maya Core (Quintessa Swindell) comme apprentie, elle qui a eu quelques problèmes en lien avec de mauvaises fréquentations. Pour un jardinier, « parier sur l’avenir » implique de se débarrasser des mauvaises herbes.

Cette relation maître/apprenti est l’occasion pour Paul Schrader de sublimer la routine de Narvel. La mise en scène, parcourue de plans longs, permet de capturer les gestes répétés, presque érotique lorsqu’il « embrasse » la terre, mais aussi de saisir la constitution des fleurs dans ce qu’elles ont de plus délicat, celles-ci étant aussi bien le résultat de son travail que l’expression du labeur que constitue sa reconstruction sociale. Car sous les vêtements dont les multiples tâches sont autant de preuves d’un dévouement absolu à sa mission (et à sa maîtresse), le corps du jardinier cache des tatouages renvoyant indubitablement à un passé de suprémaciste blanc, traces d’un temps qu’il souhaiterait garder enfouis pour de bons. Mais ce passé, accroché à son épiderme, n’est jamais loin, faisant aussi bien office de cicatrice que de fardeau, lorsque Narvel et Maya envisagent la relation charnelle. Un homme peut-il changer indépendamment de son corps ? Qu’à cela ne tienne, dans ce nouveau Jardin d’Éden aux allées parcimonieusement symétriques, un simple songe en faveur du fruit défendu leur vaudra à eux deux le bannissement du domaine Haverhill, exposant de nouveau Maya à ses anciennes fréquentations, et Narvel à l’écho de son ancienne vie qui revient toujours de plus en plus fort…

En confrontant ses personnages à leurs anciens démons, Paul Schrader dresse, sur le bout d’un chemin parsemé d’épines, une ultime épreuve convoquant aussi bien leurs pulsions autodestructrices que leurs pulsations cathartiques de vie. Un chaos à la fois sidérant et magnifique dont l’apprivoisement, particulièrement lorsque celui ci paraît plus que jamais impossible, fera office d’une ultime délivrance. Un abandon à un rêve qui paraissait jusque-là interdit, dans lequel les fleurs éclosent sur la route des protagonistes. Après tout, un Éden, ça se reconstruit. Et au-delà des roses, Adam et Ève peuvent de nouveau être libres.

La Note

9/10

Note : 9 sur 10.
Robin Charrier
Robin Charrier
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