Car si Le Mystère Henri Pick ne peut se revendiquer comme la plus aboutie des histoires de l’auteur, elle peut se placer en tête d’une réflexion révélatrice d’à peu près toutes les fondations de la société morale moderne.
Le fond, et la forme.
Tomber amoureux du cinéma, c’est aussi tomber amoureux de la littérature. Comment penser l’un sans l’autre. Car lire un bouquin, c’est se faire les films des mots, et le film est la preuve directe de la trace écrite. Pourtant, ces deux arts sont comme divisés, et divisent. Ou plutôt, la matérialisation physiquement visuelle de l’abstrait a créé cinéphiles et lecteurs.rices, à contrario d’une réunion dans la case universelle d’amoureux de l’histoire. Le cinéma, la littérature, c’est raconter ou (ré)écrire l’histoire, toujours, tout le temps. La genèse du monde résidera toujours à travers les mots, c’est la genèse du droit, du savoir, la genèse de l’évolution. Les frères Lumière eux, ont créé la mémoire collective (visuelle) en mouvement.
Il en sort alors un désir justifié, la volonté d’une réunion des arts, par l’adaptation cinématographique. Sauf qu’elle est, presque, toujours (de nos jours) décevante. Comment l’expliquer, a-t-on épuisé comme un stock de récits palpitants au potentiel adaptable ? Avant, nous avions Stalker… maintenant, nous avons La Tresse. Les récentes sorties en salles sont la preuve évidente qu’aujourd’hui, on ne sait plus rendre hommage à l’histoire. Peut-être aussi, pouvons-nous dire que les châteaux de sables mouillés construits dans l’esprit sont-ils de plus en plus solides pour être remplacés par la réalité ? Peut-être. Ou alors, il faut juste admettre que la réalisation est mauvaise. Il est d’usage de rappeler que le livre est construit pour être lu, tandis que le film est réalisé pour être vu. Les attentes ne sont pas les mêmes, et c’est ainsi que l’adaptation au cinéma du livre de Foenkinos, « Le Mystère Henri Pick » ressort comme une œuvre pressée. L’histoire doit être racontée, comme recrachée, car elle reste avant tout une réponse marketing à une forte demande du public. L’adaptation cinématographique, c’est égoïste. C’est le plaisir coupable de vouloir mettre en vie ses personnages favoris, mais ne vivent-ils pas d’ores et déjà entre les lignes ?
Notre réflexion, elle, se portera à double étages, car tout le propos du bouquin de David Foenkinos et du film de Rémi Bezançon est celle du fond et de la forme. En prenant du recul sur cette réflexion et sur la diégèse de cette œuvre, pourrait-on affirmer que la littérature est le fond, et le cinéma la forme ?
Le Mystère Henri Pick ne déroge pas à l’évidente obsession de l’auteur David Foenkinos, il parlera des losers et seulement d’eux. Les gens qui échouent, passent à côté de leur vie, vivent une rupture, c’est son créneau. On peut même avancer qu’il est le meilleur de son domaine, car jamais nous ne ressentirons ni jugement ou quelconque supériorité dans ses mots, mais une profonde compassion. C’est dans l’échec qu’il puise pour aller chercher le beau. Dans « Numéro deux » il évoquait le destin du garçon recalé pour incarner le rôle d’Harry Potter, le numéro deux. Dans « Vers la beauté » il s’attarde sur le destin d’un professeur aux Beaux-arts abandonnant sa vie pour devenir gardien de salle au musée d’Orsay. Et dans « Le Mystère Henri Pick » il parle d’un homme, ou plutôt d’une bibliothèque. Une bibliothèque des livres refusés par les éditeurs, dans laquelle sera retrouvé le livre d’un certain Henri Pick, un pizzaiolo décédé.
Obsédé par la morale, Foenkinos questionne ici sur « le roman du roman ».
Le roman du roman, c’est Henri Pick. Un homme prédestiné à l’ombre, et en vertu d’une morale d’acier n’ayant jamais pensé la célébrité, malgré un évident talent d’écrivain. Une histoire qui passe bien, au près d’un public avare d’histoires larmoyantes et pathos comme il faut à se mettre sous la dent. Le livre d’Henri Pick, dans le fond, on s’en fout. Il avait juste à n’être pas trop mauvais, et cela suffirait pour mettre en place ce qui se veut être le berceau du capitalisme, un story telling.
Dans le film de Bezançon, le rapport de narration est inversé, les personnages secondaires se retrouvent devant la caméra. Son plot principal étant l’association de deux destins hostiles, celui du critique littéraire Jean Michel Rouche, et de la fille de Henri Pick, réunis dans une chasse à l’auteur. Pick n’a pas pu écrire ce livre, ils en sont convaincus, mais alors qui est-ce ? Le réalisateur s’en moque, à vrai dire, et c’est peut-être pour cette raison précise que son film est décevant. Il s’en moque car son choix à lui est très français, c’est de tout miser sur une alchimie faussement animée par le désir. Qui plus est, presque 30 ans les séparent, je vous laisse deviner qui est le plus âgé dans l’histoire. Tout ce qui façonne le charme de la plume de Foenkinos, s’attarder sur les destins, sur chaque personnage introduit en lui donnant individuellement droit à sa propre sortie, est rayé chez Bezançon. On se retrouve alors face à un film fatalement fade, qui tente et rame tant bien que mal pour se vouloir intriguant. Et il s’en sort à peu près, grâce au potentiel mystérieux de l’histoire originelle du bouquin.
Mais alors, le film et le livre « Le mystère Henri Pick » seraient-ils des reflets de l’adaptation contemporaine ? Au risque d’en faire une généralité, on peut quand même appuyer que quelque chose s’est déplacé dans ce que le cinéma pense, de l’attente du spectateur. L’adaptation cinématographique serait une sorte de forme, une couche semi-réparatrice à la curiosité du lecteur.
Cela ne concerne qu’une infime partie du spectre cinématographique, fort heureusement. Nous engrainons déjà suffisamment sur terre, de forme. La forme c’est le fléau. C’est devenu le fond de tout, alors que sa fonction est d’être uniquement la machine dans laquelle le cœur battrait. L’image n’est plus sans candeur et peut s’avouer en partie responsable de ce changement. Nous vivons dans un monde d’image, et l’image peut créer le vrai, comme le faux. Sans abuser de la mélancolie, l’adaptation cinématographique peut encore nous surprendre. Le Comte de Monte-Cristo (2024) n’a pas laissé de marbre le public, qu’on le trouve trop pathos ou théâtral au possible, il a le mérite de ne pas avoir recraché l’histoire, sans l’âme qu’on aime tant retrouver lorsqu’on s’installe en salle sombre.