Le cinéma est un art qui a une franche tendance à la répétition. Final Cut: Ladies and Gentlemen de György Pálfi sorti en 2012 en était la démonstration, compilant des centaines de films pour aboutir à une seule histoire : une grande histoire d’amour. Car si le septième art tourne en rond, son motif le plus récurrent (et il n’est pas le seul à en être coupable) est bien celui de l’AMOUR. C’est lui, l’amour tragique, romantique, doux, amer, désespéré, obsessionnel, de la science fiction jusqu’au drame, avec ses baisers, câlins et larmes entre (trop) souvent un homme et une femme, qui inonde les écrans. Certain·es cinéastes en ont même fait leur spécialité, et ce n’est pas innocemment que je vais citer ici par exemple François Truffaut ou Ingmar Bergman dans l’introduction de cette critique de Septembre sans attendre de Jonàs Trueba.
Dans sa langue originale Volveréis (littéralement Vous reviendrez, un titre bien plus pertinent qui rend assez incompréhensible le choix français), le film du prodige réalisateur espagnol apparaît immédiatement comme une énième variation sur le couple et la séparation — impression décuplée par le choix de Itsaso Arana et de Vito Sanz pour le duo de protagonistes, jouant déjà des amoureux dans Eva en août et Venez voir de Trueba encore. Le cinéaste a bien conscience de ne pas réinventer la roue et s’en amuse, faisant du bégaiement le principe même de son film : Alejandra et Alex vont se quitter et ils décident d’organiser une fête de séparation. Ils naviguent donc de proches en proches pour annoncer la nouvelle et répètent leur drôle d’invitation en utilisant les mêmes mots. Le récit se constitue presque de la même séquence jouée en boucle à quelques exceptions près. La réaction des invités varie et la formule récitée par le couple, comme un mantra pour s’auto-convaincre, devient la démonstration de leurs doutes. Ils sourient moins, leur voix tremble ou au contraire exprime de la colère alors qu’ils se rendent compte que ce qui sonnait comme une blague va bien se concrétiser. Si Jonàs Trueba fait le choix audacieux et judicieux de ne jamais expliquer les raisons de la séparation et même de ne pas dévoiler avant un long moment ce que le duo était avant cette décision, il parvient quand même à nous faire ressentir tout leur amour. Celui-ci surgit d’autant plus lorsque l’on voit la tristesse qui émerge au milieu de la plaisanterie, quand le drame s’installe dans la comédie. On aime les voir parler de leur rupture ensemble mais on ne supporte pas vraiment de les imaginer séparé·es.
Ce savant mélange entre drame et comédie est pétri d’influences qui sont entièrement dévoilées par le cinéaste tant dans son film qu’en interview. En vrac on retrouve Leo McCarey, Un Jour sans fin ou même Stanley Cavell et Ingmar Bergman. Ce dernier apparaît plus étonnant tant la douceur et l’absence d’éclat de voix de Septembre sans attendre ne ressemble pas à ses Scènes de la vie conjugale. On décèle néanmoins d’autres éléments en commun, notamment la répétition. Des gémissements de Cris et Chuchotement au dédoublement de Persona jusqu’à la ronde du Septième Sceau, on peut dire que Bergman faisait des films en cercle (voir Septembre sans attendre pour capter la ref), tout comme Trueba qui décline cette structure de manière moins triste. En entretien, il confie qu’il aime l’idée d’avoir fait un film-essai où toutes ses inspirations sont visibles à l’écran : des illustrations, des films, des revues et surtout des livres (et aussi notre très cher festival du film de la Rochelle). Les citations d’ouvrages sont littérales jusqu’à offrir la clef du film avec vers sa fin les mots de Kierkegaard et sa manière d’envisager la routine. On pourrait trouver dans ses références quelque chose d’agaçant mais elles tiennent moins de l’hommage que d’une volonté maligne de jouer un peu, tant avec les personnages qu’avec la forme même du film qui s’avère très conscient de lui-même.
Il y a de fait tout un aspect méta qui envahit petit à petit l’œuvre. Cette idée fait écho à la manière dont Jonàs Trueba écrit ses scénarii : tout au long du tournage et avec les comédien·nes. Son documentaire Qui à part nous est l’exemple le plus saillant à cet égard car les sujets (un groupe d’adolescent·es) du cinéaste sont devenus les scénaristes du film et se le sont merveilleusement appropriés. Venez voir sorti l’année dernière se terminait sur la révélation de l’équipe de tournage et les acteur·ices co-écrivaient leurs scènes la veille au soir. Septembre sans attendre lui-même tissé en collaboration ne fait pas exception à la règle. Jonàs Trueba explique même que lors des projections de Venez voir, des spectateurs lui ont demandé s’ils s’agissaient des mêmes personnages que ceux d’Eva en août, une remarque qui n’est pas sans faire penser à la filmographie de Jacques Demy qui faisait revenir des figures d’un film à l’autre. Cette manière de concevoir le cinéma en dehors de la pure fiction englobante mais en jouant sur le médium de manière visible est fascinante (on pense là à Godard largement cité dans Septembre sans attendre ou à nouveau à Bergman qui simulait une pellicule brûlant à l’écran) et explique toute la vie et l’humanité qui émerge des films du cinéaste espagnol. Il veut parler de la vie et la montrer en dénonçant ses propres procédés. Cet aspect méta est avant tout sa manière de briser l’illusion de ses films et rappeler sans cesse le travail qu’il y a derrière. Le personnage d’Itsaso Arana est réalisatrice dans Septembre sans attendre et le projet qu’elle tourne n’est nul autre que celui que l’on voit. Dès lors le montage est parfois changé et discuté en direct ce qui apporte déjà une petite touche de comédie mais témoigne aussi littéralement du travail de monteur et de comment on raconte une histoire qui n’est en réalité jamais structurée comme la vraie vie.
Évidemment, le fait que le film dialogue entre fiction et réalité accroît l’émotion qu’il retranscrit. Jonàs Trueba l’a écrit après l’abandon d’un projet qui lui tenait à cœur : ce film de séparation est né d’une rupture cinématographique. Cela explique plutôt facilement pourquoi Septembre sans attendre s’échine à parler de sa propre fabrication et cela accentue paradoxalement l’illusion de vérité. Tout comme les personnages ne savent plus parfois s’ils discutent où s’ils jouent la comédie, on en vient à se demander ce qui est du vécu ici — un exercice que je ne trouve pas très pertinent habituellement mais qui dans le cadre ludique et collectif du film fonctionne. Et c’est sûrement ici qu’on peut expliquer le succès de Jonàs Trueba depuis que son cinéma est arrivée jusqu’en France : il ne révolutionne pas grand chose, il cite sûrement trop, il se la pète probablement un peu mais son écriture, sa mise en scène et sa direction d’acteur sont d’une sensibilité rare et des plus humaines que l’on peut voir actuellement sur grand écran.
La Note
7,5/10