HIROSHI SHIMIZU, L’EAU DOUCE.

Comme les personnages des films que je vais traiter ici, je fais une pause dans mon double article, mais pas plus pour consommer un quelconque repos que pour travailler sur quelque chose d’un petit peu plus conséquent dans mon présent immédiat : le bac.

Soit, parlons du grand maitre dont j’ai découvert le brio dernièrement, Hiroshi Shimizu. Alors on ne va pas parler de lui avec une vue d’ensemble que je n’ai tout simplement pas, pour la simple et bonne raison que dans sa centaine de films je n’en ai vu que trois, dont Les enfants de la ruche (1947) dont il ne saura aucunement fait mention ici dans le développement, mais qui est notable pour être un des représentants sérieux du « néoréalisme japonais » de l’immédiat après-guerre.

Les enfants de la ruche (1947), film qui traite d’orphelins errants après la guerre, notamment dans les ruines d’Hiroshima.

Shimizu voyez vous c’est un peu toujours la même rengaine quand on parle de cinéma japonais classique : « le maitre oublié », « le je ne sais pas combientième grand japonais », « dans l’ombre d’Ozu ». Forcément dans l’ombre d’Ozu, tout le cinéma japonais est dans l’ombre d’Ozu, sauf Mizoguchi et Kurosawa. Pourtant Shimizu dans la vie comme dans les films pesait son poids : c’était un réalisateur de choix à la Shochiku, il a eu ses gloires et sa légende, et Kore-eda qui semble être l’éponge des grands réalisateurs de la « quotidienneté » n’oublie pas de le citer comme une influence.

Ici nous traiterons de la manière dont il traite les vacances et plus généralement les drames qui s’y jouent, tout simplement parce que je ne pense qu’à l’été qui arrive et que ces films me donnent du grain à moudre. Plus sérieusement, ces grands opus sont pour leur époque des joyaux de modernité, et ont en plus la caractéristique de se faire écho dans leur structure et leur contenu. Je vais donc vous parler de La femme et ses masseurs réalisé en 1937, et de Pour une épingle à cheveux sorti lui en 1941.

La femme et ses masseurs (1937), la fameuse femme errant seule avec ses sentiments.

Ce qui caractérise ces films c’est bel et bien l’inconséquence. Et je ne parle pas de la fausse légèreté qui gangrène presque tous les films d’été, qui ne font des vacances que le terrain de nouveau tourment pour offrir au spectateur sa soupe de drame. On montre l’homme enfin libéré de ses tiraillements quotidien pour le pousser à nouveau dans des intrigues effaçant totalement la rupture que sont sensé être ces instants par la dictature de l’intrigue. Chez Shimizu n’existe que le sentiment dans une absolue inconséquence dramatique, une absolue inexistence de l’enjeu. C’est d’ailleurs, l’enjeu, l’objet de tout un quiproquo dans La femme et les masseurs. Cette femme, mystérieuse, qu’on croit voleuse, alors qu’elle fuit simplement un patron qui l’a violé et qu’elle avait, enfin, trouvée le répit et la plénitude dans l’inexistence. Car elle a trop existé dans les yeux pervers d’un homme, la voilà maudite par l’intrigue de sa vie, et l’intrigue qu’on a fait d’elle par la rumeur dans cette petite station spa. L’intrigue c’est l’ennemi de ces films, littéralement. Ne restent donc que les sentiments comme seule pigmentation du flot immuable du temps, la fameuse eau douce. Les personnages n’existent que via des potentialité avortée, leur repos cherché est troublé par l’existence même de l’autre qui occupe son esprit. L’intrigue, elle est rêvée, mais elle n’arrive jamais, comme l’illustre ce regard amoureux de Kinuyo Tanaka face à Chishu Ryu dans Pour une épingle à cheveux, qui ne reste qu’un regard. Shimizu filme son visage pendant l’action des autres, et ainsi on devine tout ce qui pourrait être et ne serra jamais, concluant à une errance solitaire qui m’a beaucoup touché il faut le dire. Finalement dans ces films, et on ne le remarque stupéfaits qu’après coup, il ne se passe rien, et pourtant on a vu tellement de choses, on a capté tellement d’émotions. On a rêvé avec les personnages.

Pour une épingle à cheveux (1941), Kinuyo Tanaka en bas.

Shimizu est un cinéaste de l’humain, et le cadre qu’il développe dans ces microcosme où la recherche de calme devient l’idéal universel de l’humanité n’est qu’une méthode pour faire fonctionner un mécanisme sociologique qui, malgré qu’il puisse souffrir des tendances de la caricature de par son aspect comique qui a besoin d’archétype, donne une pluralité de caractère magnifique et complexe. Il fait du macrocosme un microcosme et rend tout le monde égal dans qui aboli les oppressions, du moins de manière passagère, ce qui permet à tout le monde d’enfin observer l’autre dans sa pleine humanité. Shimizu bien qu’il soit universaliste donc, n’est pas un cinéaste de système esthétique comme peuvent l’être Ozu ou Naruse. Il n’a pas de méthode qui restreint ses modalités d’expression pour donner une impression d’unité. Le subjectivisme est son maitre mot, et c’est en montrant toutes les subjectivités avec un léger effet de style pour les dissocier entre eux qu’il atteint l’objectivité, car il n’en a pas instrumentalisé un pour la gloire de l’autre. Ces petits moments qui brisent le court impartial du film lié par un mixage son qui refuse la rupture contrairement à ce que pouvait faire Ozu, donne une impression forte de confidentialité avec le personnage, qu’il nous offre son intimité, mais toujours dans la pudeur. Le film ne le force pas à déballer ses pensées avec un monologue, il montre une femme qui marche seule lentement, et ponctue sa traversée de fondu dans le même plan, qui explique le temps qui passe et sa solitude, sans que rien ne soit dit. Ces effets n’ont pas non plus une prétention expressionniste lyriques, enfants issus de la moisissure du romantique. La mise en scène n’exprime pas de passions de l’âme, elle en montre simplement les troubles qu’on ne peut communiquer, qu’on devine par une altération fine de l’état de base, comme les déambulation de la femme qui regarde la pluie tomber sur la rivière dans La femme et ses masseurs. En deux plans sans mouvement on devine, sans grandes pompes. Le personnage se révèle par ses actions, il n’est pas forcé de s’exhiber par les sanglots à l’instar d’un mauvais mélodrame comme un bœuf abattu.

Shimizu dans ces deux films, géniaux, rend donc parfaitement les états de l’âme dans leur nuance, à la limite de leur achèvement désiré, à la limite de l’intrigue. Il préfère offrir à l’homme le repos plutôt que les enjeux, il leur offre la paix, c’est même la conclusion de Pour une épingle à cheveux. Il retourne en soit les mécanismes du cinéma traditionnel et de cela créé un réalisme qui passe par la timidité de l’homme qui se complait dans son rêve avant que le temps réduise sa procrastination à néant. Le temps détruit tout chez Shimizu. Car les vacances, c’est une denrée épuisable. La légende dit que Shimizu a réalisé ces films pour gaspiller de la pellicule qui aurait pu servir pour des films de propagande. On le remerciera pour avoir jeté le caviar des militaires dans notre bouche.

PS : Les deux films durent 1h chacun et sont sur YouTube avec des sous titres anglais, régalez-vous.

Nino Guerassimoff
Nino Guerassimoff
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