Les guetteurs : au soupir des limbes

Perdue dans une forêt, Mina trouve refuge dans une maison déjà occupée par trois personnes. Elle va alors découvrir les règles de ce lieu très secret : chaque nuit, les habitants doivent se laisser observer par les mystérieux occupants de cette forêt. Ils ne peuvent pas les voir, mais eux voient tout.


La forêt est un lieu cinématographique fascinant. Enchantée ou maudite. Luxuriante ou obscure. Les courbes des arbres et les formes biscornues des branches façonnent l’image, la découpe, lui confère une profondeur tangible dans laquelle les personnages et les créatures évoluent sous notre regard tout en ayant un aspect insaisissable. Les bois, pour tout conteur, représentent un terrain d’expérimentation au potentiel infini tant les sentiers de narrations sont multiples. Mais attention, dans les bois, il peut être facile pour les moins avertis de s’y perdre… Fille de M. Night Shyamalan (qui est d’ailleurs producteur du film) Ishana, la réalisatrice, qui nous livre ici son premier long métrage, ne parviens pas défaire Les Guetteurs du mal qui rongent les films de son père depuis déjà bien des années : celui de les faire tenir que sur la base d’un concept, séduisant sur le papier, mais à l’endurance extrêmement limitée.

Ici, nous avons Mina (interprété par Dakota Fanning) qui par un concours de circonstances se retrouve perdue dans une forêt, soumise à un mysticisme certain, et se voit contrainte de vivre dans un abri, au milieu des bois, avec trois autres personnes. L’abri ayant une vitre gigantesque devant laquelle les personnages, devenu captif, sont obligés de se tenir pour permettre à des créatures mystérieuses de les observer. Derrière ses allures de films d’horreur, c’est donc à un film sur le spectacle lui-même que nous avons affaire. Et si cette proposition peut sembler ambitieuse, notamment pour un premier film, la téléréalité des limbes tombe à plat tant Inshana Night Shyamalan ne parvient pas à se saisir ni de son cadre, ni de son concept, abandonnant la mise en scène à la faveur de ses personnages qui semblent tout autant perdus qu’elle. Le premier défaut des Guetteurs est ici : Ses personnages sont profondément inconsistants, leurs dialogues répondant en permanence à un besoin d’exposition à défaut de leur donner une matière, une histoire, rendant l’attache émotionnelle difficile voir simplement impossible. Et les dispersions d’éléments hallucinatoires, écho du passé tragique de Mina, n’aident pas, tant ils donnent l’impression d’un récit qui s’éparpille en voulant en faire trop, n’effleurant jamais que la surface des sujets qu’il aborde.

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Les créatures, qu’on essaie de vêtir d’une aura lovecraftienne (“ceux qui les voient deviennent fous” peut-on entendre de la bouche d’un personnage) tombent également très vite à plat, et pour cause : il s’agit de copicat, leur puissance (narrative, j’entends) dépend donc fatalement de leurs modèles. Hors, si le modèle est déjà peu convaincant, difficile d’être séduit par l’imitation.

Les sentiers qui parcourent la forêt des Guetteurs sont malheureusement trop balisés, et les personnages qui les arpentent bien trop creux, pour que la balade y trouve du charme. Mais, comme s’il fallait enfoncer un dernier clou dans le cercueil, le dernier acte renoue avec le pire de la marque de fabrique Shyamalan : le twist pachydermique. Celui que l’on voit arriver à des kilomètres et dont on croise les doigts pour qu’il nous épargne, ce qui n’arrive évidemment jamais. Celui-ci nous apprend cependant que si Ishana Night Shyamalan ne savait pas quoi filmer dans la forêt, elle ne sait pas quoi filmer dans une maison non plus, en témoigne la pauvreté de la scène de l’attaque nocturne à la résolution téléphonée. Si la créature rampe au plafond le temps d’un plan, c’est bien la seule façon dont elle investira l’espace, avant de s’abandonner à un dialogue apportant naïvement une rédemption qui s’installe fièrement sur le trône du non-sens narratif, mettant tristement un terme à la ballade platonique dans le bois du soupir.

La Note

3/10

Note : 3 sur 10.

Robin Charrier
Robin Charrier
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