Notes festivalières : Kinopolska 2025

La rentrée 2025 marque le retour pour sa 18ème édition du Festival Kinopolska, entièrement dédié au cinéma polonais. Du 17 au 21 septembre, la sélection nous dévoile un panorama de ce que produit l’industrie culturelle polonaise dans toute sa diversité. Nous revenons ainsi en quelques mots sur une partie des films projetés, tous révélant la vitalité et la sincérité d’un cinéma plein de fougue et d’énergie.

Notons avant tout le bel hommage à Wojciech Has, cinéaste polonais d’envergure, dont on fêtait le centenaire de la naissance à travers une exposition consacrée à son œuvre ; et la qualité des courts-métrages qui précédaient les séances, dont certains étaient des films de fin d’étude.

Taniec w Narożniku (Dancing in the corner) de Jan Bujnowski, Na krzywe łby (The crooked heads) de Jakub Krzyszpin, Pułapka de Vitalii Havura

Kulej. Dwie strony medalu (Kulej. All that glitters isn’t gold) de Xawery Żuławski

Quoi d’autre qu’un fougueux film de boxe pour ouvrir le festival ? Jerzy Kulej obtient l’or aux Jeux Olympiques de Tokyo 1964 et ne pense qu’à une chose : doubler l’exploit en la décrochant à nouveau aux Jeux de Mexico. Or, tout devient un obstacle à son retour du Japon. Sa femme Héléna souffre des départs de Jerzy pour les combats, mais se sacrifie pour sauver sa brillante carrière de boxeur. Jerzy se bat non seulement sur le ring mais aussi pour pouvoir y monter. On regrettera d’un côté le mélange entre vraies archives et images contemporaines en noir et blanc empruntant les formats inventés à l’époque, qui viennent brouiller la lecture et inscrire d’office le film comme “vérité historique” ; et de l’autre une reconstitution des années 60 bien trop propre et trop muséale. Le film trouve sa force dans les scènes de combat mais aussi celles de danses, qui s’alternent tout naturellement. Le dispositif atteint son apogée dans une magnifique scène de danse chorégraphiée où tous les personnages se croisent, et où se jouent des combats sans violence directe. 

Rzeczy niezbędne (Travel essentials) de Kamila Tarabura

Ada, journaliste de renom, est contactée par une de ses amies d’enfance. Roksana souhaite qu’Ada l’aide à faire avouer à sa mère les violences sexuelles que son père lui faisait subir dans son enfance. Au fil d’un scénario malin qui ne brouille aucune piste et bifurque à chaque instant, nous plongeons dans les méandres de la psychologie, dans une archéologie du traumatisme. Ada, en enquêtant, revient sur un passé qui semble trouble, qui a laissé des marques et des manques. Le titre dont la traduction française serait “essentiel de voyage”, nous renvoie au voyage tumultueux qui est celui des relations parents-enfants, impénétrable de l’extérieur et si difficilement déchiffrable de l’intérieur.

Wrooklyn Zoo de Krzysztof Skonieczny

Teen-movie survolté dans le Wroclaw dans années 90, le film est un Roméo et Juliette mélangeant skateboard et culture Rom. Le film assume ses trucages et emprunte une esthétique pop intertextuelle débordante allant jusqu’à créer des images artificielles à l’inventivité émouvante. Une grande place est faite aux conflits entre skinhead, skaters et Rom dans cette Pologne tiraillée politiquement. Très marqué par son genre, le film passe parfois du conte de fée à l’ultra-violence, qui nous rappelle bien entendu les difficultés rencontrées par les protagonistes de la série The Get Down, et de façon plus lointaine West Side Story, tous étant des itérations de la pièce de Shakespeare. Nous soulignerons également la fragilité bienvenue du casting non professionnel, et les plans séquences dans le skate park underground donnant cette sensation de suivre le protagoniste sur une planche.

Utrata równowagi (Loss of balance) de Korek Bojanowski

Tourné en seulement 18 jours et avec un budget extrêmement restreint, ce film qui met en scène les dérives d’un metteur en scène de théâtre récidiviste révèle malheureusement des ficelles trop grosses et une mise en scène trop caricaturale : clairs-obscurs permanents qui ne laissent pourtant rien dans l’ombre, manque cruel de radicalité dans le traitement ainsi que d’ambiguïté. Semblable sous certains points à Julie se tait de Leonardo Van Dijl sorti l’an passé, le film prend la tournure d’un revenge-movie le rendant un peu plus mordant sans pour autant dépasser du cadre. On saluera la performance des jeunes acteurs et ce qui nous semble être le seul point où le film brille : la tentative d’être bien plus qu’une troupe de théâtre mais bien un groupe soudé malgré les ambitions et objectifs de chacun.

Pod wulkanem (Under the volcano) de Damian Kocur

Une famille ukrainienne obligée de prolonger ses vacances pour éviter de rentrer en plein conflit avec la Russie. Au cœur de ce récit, Sofia, adolescente, se laisse porter par le rythme imposé par son père et sa belle-mère. Si la guerre est au centre de cette histoire balnéaire, elle n’est jamais filmée frontalement, et passe toujours par des éléments qu’on lui croirait étrangers.Tenerife, cette île espagnole au large du Maroc sur laquelle se croisent des voyageurs de toutes les nationalités, est un lieu qui frise le non-lieu. On pourrait être partout ailleurs. Sa caractéristique : un volcan au centre de l’île, que la famille n’atteindra jamais. L’île est aussi sujette à l’accueil de migrants africains en quête d’une vie meilleure, que Sofia va côtoyer sporadiquement. Les rires dans le film sont toujours sans écho, contrés par cette tension sous-jacente, ponctués par ces plans de l’océan. Les feux d’artifices sont des bombardements. Derrière la mer, l’amer.

Biała odwaga (White courage) de Marcin Koszałka

Dans les Tatras vit un peuple de montagnards, les Gorales. Dans un de leur hameau d’altitude, un père décide de marier sa fille avec le frère de celui qu’elle aime, créant une fracture dans l’ordre de leur monde. Andrzej, le jeune frère trahi, vaillant alpiniste, part en ville où il devient acrobate. Cependant, l’Allemagne devient nazie et les cadres de l’armée après l’envahissement de la Pologne veulent soumettre les Gorales. C’est Andrzej qui va les convaincre de la bonne volonté des Gorales et qui va commencer une collaboration avec l’ennemi. Le film prend à bras le corps le roman national polonais : comme en France, on a minimisé la part de collaboration. Il s’aventure au cœur du projet scientifique nazi, destiné à déterminer qui est aryen ou qui ne l’est pas. Le “courage blanc” (titre du film) est le surnom donné à la magnésie par un scientifique amateur d’alpinisme et sympathisant nazi. C’est avec ce sympathisant qu’Andrzej va s’attaquer à une des voies d’alpinisme les plus redoutables. On soulignera la belle performance sportive de l’acteur principal au service du film qui, pendant 18 mois, s’est entraîné à l’escalade pour donner au film de grandes séquences de grimpe sans utilisation de cordes ou d’outils. En Pologne, le film a été projeté avec des sous-titres polonais, le réalisateur ayant a cœur de restituer ce récit dans le patois parlé autrefois par les Gorales. Peut-être le film le plus ambitieux de la sélection, et très assurément le plus réussi.

William Delgrande
William Delgrande
Articles: 3