Oreille attentive dans l’ombre de la fabrication des films, Cyril Holtz est mixeur. Tout le monde ou presque a déjà perçu son savoir-faire, tant il a travaillé sur des films tous différents les uns des autres. Ces dernières années, nous lui devons le paysage sonore de films comme Les Trois Mousquetaires, Émilia Perez, ou encore Le Roman de Jim.
Votre longévité est impressionnante. Sur Unifrance, il est indiqué que vous avez travaillé tous postes confondus sur 187 projets. Cela fait 6 films par an depuis votre sortie d’études. Cela n’est-il pas épuisant ? N’y a-t-il pas de lassitude ?
Pour vous répondre franchement, comme dans tous les métiers, il y a des hauts et des bas. Évidemment, il y a des choses qui sont répétitives, y compris dans les métiers qu’on pense extrêmement créatifs. Même en mise en scène, il y a une part de répétition. C’est aussi l’essence du travail. Tout ce qui est beau et intéressant demande du temps et du travail.
Ce côté répétitif et laborieux, sans dire que j’adore ça, je m’en accommode. On est souvent surpris parce qu’on est rattrapé par des choses nouvelles à chaque film. On remet tout en jeu. On a beau avoir des acquis, des habitudes, il y a un recommencement. Ce qui contrebalance cette impression de redite, c’est qu’on rencontre de nouvelles personnes et que tout est à refaire. Il faut retrouver une nouvelle efficacité. Comme lorsque l’on est sur une planche au-dessus vide et qu’il faut plonger. Alors on plonge, ça fait partie de l’exercice ! Un mixage c’est environ 4 à 5 semaines, parfois moins sur certains films. Ce qui peut procurer de drôles de sensations, c’est de passer d’un univers à un autre en très peu de temps, mais on s’habitue.
Qu’elle est votre motivation première pour travailler sur un projet ?
La hiérarchie entre les différentes motivations varie à chaque film. Évidemment, cela fait très plaisir quand on peut à la fois pérenniser, cultiver une relation de fidélité et de travail avec un réalisateur et une équipe. Je dirai que pour faire un film, ce qui compte, ce sont les gens. C’est un des premiers critères. Il m’est arrivé de faire des films qui étaient moins ma tasse de thé, et ça ne m’a pas empêché d’y trouver beaucoup de plaisir dans la collaboration avec les membres de l’équipe. Les films auxquels j’ai le moins accroché ne sont pas forcément mes moins bons souvenirs.
Quand tout est réuni, qu’à la fois le film me séduit, que la relation avec le réalisateur est établie et qu’en plus il y a une vraie aventure d’équipe, alors évidemment, c’est le meilleur cas de figure. Ça arrive, mais ce n’est bien sûr pas systématique.
Est-ce qu’il y a des films que vous acceptez parce que vous sentez qu’il y a un défi dans le mixage, dans le type de tournage produit et dont les sons vous semblent prometteurs ?
Je peux me dire qu’il y a un challenge, mais je ne vais pas accepter pour cette unique raison. Quand on me propose un film, je ne vais pas non plus refuser parce qu’il n’y a pas de challenge, ça m’est égal. Mon rôle est d’adhérer à un projet, une idée de mise en scène. On découvre souvent, même sur des films un peu plus conventionnels dans leur mise en scène, des choses qu’on n’aurait pas soupçonnées et qui nous emmènent, qui nous absorbent dans le travail. Des enjeux qu’on n’avait pas anticipés. Ce n’est donc pas un critère. S’il y a une gageure, alors on se dit qu’il y a quelque chose de particulier à faire. Alors il y a un mélange entre appréhension et volonté de bien faire, de ne pas trahir le film. On se dit plutôt : « j’espère que je ne vais pas pourrir ce qui a été fait ! ». C’est un métier où le doute est utile.
Vous doutez beaucoup en travaillant ?
Tout le temps. Mais j’essaye de ne pas trop le montrer ! Quand j’ai commencé ce métier, je pensais que j’acquerrais plus d’assurance, mais en fait, et c’est navrant, c’est l’inverse. On prend des leçons d’humilité à chaque fois. On espère que l’expérience serve, mais systématiquement j’ai l’impression que même si tout a été fait, tout reste à refaire. C’est ce qui est passionnant.
Comment avancer avec ces doutes ?
Le pire, c’est de se laisser prendre par le doute. Par ce que ça ne rassure pas autour de soi. C’est un métier dans lequel on est assailli d’un nombre d’informations très important à la fois parce qu’on est entouré de gens et de machines, et que c’est un travail lent et laborieux. Si on commence à douter ostensiblement et que l’on donne l’impression qu’on ne sait pas où l’on va, il n’y a rien de pire. D’ailleurs, même si on ne sait pas où l’on va, il faut se fixer un objectif. Si je doute, c’est que je doute entre plusieurs possibilités et j’essaye de proposer la meilleure des solutions au réalisateur. Je partage mes idées avec l’équipe, je parle franchement des pistes que nous pouvons explorer, et alors on essaye. Essayer et recommencer, c’est le propre de tout métier d’artisanat.
Avec cette approche, il y a une sorte d’expérimentation continuelle ?
Je le pense. Il y a une part de reproduction, il y a des choses que l’on sait faire et restituer avec l’expérience, et qui sont un mélange de technique, de méthode et de façonnage de la matière sonore. C’est l’aspect concret et terre à terre. Mais on essaye toujours de se laisser guider par les idées de mise en scène, et c’est là que c’est le plus difficile, car beaucoup de choix sont possibles. Chaque réalisateur va avoir une approche différente, et aussi des doutes différents. D’autant que le mixage est la dernière étape d’un film. Il y a quelque temps, j’ai participé à un entretien à la radio (France Inter) portant sur les métiers du son au cinéma et la journaliste, Christine Masson, pour introduire mon métier, a utilisé le terme d’accoucheur. La comparaison m’a semblé étrange et en même temps, c’est vrai qu’il y a un peu de ça : c’est bel et bien le dernier moment, la dernière chance pour le réalisateur d’essayer les choses qu’il n’a pas pu mettre en œuvre avant.
Vous continuez de travailler sur des courts-métrages, vous avez aussi mixé la série Salade grecque, est-ce que la méthode change avec la forme ?
En court-métrage, pas tellement. Il y a peu de différences avec un long métrage. Ce sont les mêmes enjeux, et même des enjeux plus importants d’efficacité à tous les niveaux, car on a assez peu de temps. Quand on prépare une session de mixage, cela prend beaucoup de temps, et c’est un temps inamovible, que ce soit pour un court ou un long. Sur un long, une demi-journée de préparation pour cinq semaines de mixage, passe encore. Mais sur un court, une demi-journée de mise en place sur un mixage de deux jours, cela vient réduire le temps de manière catastrophique.
Sur les séries, c’est différent. Il y a une exigence similaire à celle d’un film de cinéma, mais dans des conditions qui sont nettement moins bonnes, notamment sur le temps. Il faut aller au but de la manière le plus rapide possible, ça ne donne pas beaucoup le temps de chercher. Il faut aller vite et prendre des décisions rapidement. Là, l’expérience sert, dans une modeste mesure. Elle permet d’aller à l’essentiel, ce qui peut être une contrainte fructueuse, mais je ne peux pas dire que c’est dans cet exercice que je me sens le plus à l’aise. J’aime travailler le détail. Même si d’aucuns diront que cela ne s’entend pas, je suis convaincu que cela se perçoit, se ressent. Je préfère travailler dans des conditions qui me permettent d’aller au bout des choses.
Quelles différences y a-t-il entre mixer pour une plateforme et mixer pour la salle de cinéma ?
Il arrive que l’on mixe dans les mêmes conditions pour les deux configurations. Les films conçus pour les plateformes peuvent quand même être projetés en festival, ou lors de séances spéciales dans des cinémas, cela devient une vitrine importante. Netflix par exemple, aux États-Unis, assure la distribution en salles des films qu’elle produit, même si ce n’est que pour quelques jours avant la diffusion sur leur plateforme de streaming. On se dit quand même que c’est dommage que les gens voient et entendent cela sur une télévision.
Pour les séries ou les unitaires uniquement destinés à la télévision et aux plateformes, on se retrouve dans des conditions de mixage télévisuel. Alors que les exigences techniques restent les mêmes. Par exemple, on mixe tout en 5.1, et parfois même en Dolby Atmos*. Par anticipation d’une éventuelle évolution des normes d’écoute, les plateformes veulent être prêtes pour les diffusions éventuelles en Atmos. Cela devient un argument commercial de pouvoir diffuser les films dans des formats très expansifs, même si les spectateurs sont rarement équipés chez eux. Il y a un peu une course à la technologie pour arriver à retranscrire, même dans un casque, des formats immersifs comme le Dolby Atmos.
*Le mixage 5.1 désigne un mixage prévu pour une diffusion spatiale du son à travers 5 haut-parleurs et un sixième pour les basses fréquences. Le Dobly Atmos permet une spatialisation encore plus précise du son, en intégrant notamment la verticalité. [ndlr]
En parlant de course à la technologie, on parle beaucoup de l’intelligence artificielle (IA) concernant l’image, mais intervient-elle aussi dans le son ?
Oui, à plein de niveaux. En premier lieu, dans les outils qui permettent de réduire les nuisances sonores, par exemple celles du trafic urbain sur des prises de dialogue. Avant l’apparition de l’IA, au moment du mixage, on utilisait des techniques conventionnelles qui mettaient en œuvre des filtres plus ou moins sophistiqués pour atténuer le bruit indésirable en creusant les fréquences dans lesquelles il se trouvait. Mais ces outils n’étaient pas discriminants, c’est-à-dire qu’ils filtraient certaines parties du spectre sonore sans être capables de « discerner » ce qui était de la parole et ce qui ne l’était pas. Les outils qui font aujourd’hui appel au « machine learning » procèdent également à un filtrage sélectif, mais de manière plus intelligente puisqu’ils peuvent reconnaître le dialogue et donc le distinguer du bruit de fond. Ils sont donc plus efficaces, car beaucoup moins invasifs. Ils produisent surtout beaucoup moins d’effets secondaires, car leur utilisation dégrade moins le signal utile.
Par ailleurs, les modèles d’IA qui permettent le clonage vocal inondent en ce moment le monde du son à l’image. Pour le coup, l’évolution de ces technologies est extrêmement rapide. Elles ouvrent un champ des possibles gigantesque autant qu’elles font redouter une remise en cause profonde de certains de nos métiers.
Est-ce que cela va faciliter le travail du son, ou même le complexifier ?
Les deux ! Comme tous les outils, il y a la tentation de se dire « Ah, c’est génial, on va appuyer sur un bouton et ça va faire telle chose ou telle autre » ; mais comme tous les outils, il y a des manières grossières de s’en servir, où l’on se dit que la seule chose que cela va permettre, c’est un gain de temps sans penser aux conséquences sur l’emploi et à la raréfaction des compétences. C’est l’aspect délétère d’une utilisation non avisée. L’autre voie, c’est l’utilisation plus vertueuse de ces outils, qui implique plus d’éducation et de discernement, sans détournement, et surtout de les employer à leur juste potentiel et la plupart du temps en combinaison avec d’autres outils plus conventionnels, mais souvent plus appropriés.
L’IA est fascinante, il y a un côté anthropomorphe dans lequel on a l’impression de se voir en miroir dans ce que l’on produit, mais au-delà de cette apparence, il n’y a jamais de miracle. Pour l’instant, mais ce sera peut-être amené à évoluer, l’oreille est encore capable (en tout cas la mienne) de détecter la part étrange des sons générés par IA, comme s’ils étaient trop lissés, trop propres pour être vrais. C’est le même phénomène en photographie où les images générées par IA paraissent trop simplifiées, comme si le monde qui nous entourait était en plastique. Avec un peu d’effort, les yeux et les oreilles sont encore capables d’identifier ces anomalies. Je ne doute pas que l’on puisse parvenir à une sorte de vraisemblance totale, mais ce n’est pas le cas pour le moment. Et ce n’est pas parce que l’IA existe et est très prometteuse que tous les outils doivent s’y convertir absolument. De la même manière qu’on aimera toujours les photos, les peintures, on aimera toujours la musique faite « pour de vrai », les rôles incarnés par des vrais acteurs.
On échappera à l’automatisation de toutes les compétences ?
Je le crois ou j’ai peut-être la naïveté de le croire. En fait, non, j’en suis convaincu. Il faut essayer de rendre les avancées technologiques les plus sereines et les plus maîtrisées possibles. J’aurai cependant tendance à dire que le mouvement est déjà en route et qu’on ne peut ni le stopper ni revenir en arrière.
Le travail du son au cinéma est réparti entre plusieurs types de postes, de l’ingénieur du son au mixeur en passant par le monteur son et le bruiteur. Pourquoi y a-t-il cette nécessité de diviser cette part de travail ? On pourrait imaginer l’ingénieur du son bruiter puis mixer. Il y a une nécessité de passer d’oreille à oreille ?
Il y a plusieurs raisons. Il y a quelques ingénieurs du son qui font aussi du montage son, du mixage. Clairement, certains professionnels combinent plusieurs compétences et possèdent des connaissances transversales utiles ; ce qui peut se révéler pertinent dans certains cas. Après, j’ai toujours considéré que chacun avait une vraie spécialité. Pour moi, être ingénieur du son sur un tournage ne réclame pas les mêmes aptitudes qu’être mixeur. À la fois au niveau des compétences techniques, mais aussi de l’écoute, c’est-à-dire les éléments sur lesquels on va se concentrer. Il y a aussi l’intérêt que l’on peut porter à ces différents métiers. Un tournage requiert une mobilisation physique plus importante, et d’être aussi à l’aise au sein de grandes équipes. Il y a des avantages formidables, notamment celui d’être au contact des comédiens et d’être partie prenante dans l’aventure du tournage. Au mixage, ce n’est vraiment pas la même chose. Nous sommes des vampires, toute la journée dans un endroit ressemblant à une salle de cinéma, dans le noir. Mais nous sommes en petit comité, nous discutons directement avec le réalisateur, et prenons des décisions plus instantanées. Je pense de toute façon que la plupart des ingés son ne rêvent pas de devenir mixeurs, et vice-versa ! Moi, j’aime travailler avec la matière que l’on m’apporte. Je serai incapable, comme les monteurs son, de l’inventer, de la produire. Je suis là pour l’équilibrer, la façonner et lui donner du mouvement jusqu’à l’amener à sa forme finale.
Sur des gros films d’action, les méthodes et la connaissance des outils doivent être sans failles et cela réclame une expérience assez importante pour justement faire face à la montagne de matière sonore. C’est un apprentissage long et difficile.
Pour parler un peu plus des films sur lesquels vous avez travaillé ces dernières années, on trouve Tralala et Emilia Perez, deux comédies musicales complètement différentes. Qu’est-ce qui se joue au mixage dans l’approche musicale de ces deux films ?
Les enjeux sont évidemment différents, mais il y a des points communs. C’est très difficile de répondre à cette question, car on essaye a priori de ne pas se la poser. Les deux sont des comédies musicales, bien qu’Audiard dirait que c’est plutôt un drame musical et ne revendiquerait absolument pas ce qui a été fait sur d’autres comédies musicales. On peut y voir beaucoup de points communs depuis l’extérieur, mais depuis l’intérieur c’est beaucoup moins évident que ça. Les demandes ne sont pas les mêmes, les chemins pour y arriver non plus, et par conséquent, les techniques et les principes de mise en scène diffèrent. On peut sur certains paramètres aboutir à quelque chose de semblable, mais les idées de départ n’ont rien à voir. Comme tous les films, il y a les mêmes ingrédients, mais pas les mêmes chemins ni les mêmes résultats.
Les Larrieu disaient qu’« on ne peut pas faire n’importe quoi avec le son », notamment par rapport à des animaux qui vivent à une certaine altitude et qu’on ne peut trahir en les faisant apparaitre hors de leur lieu de vie. Est-ce qu’on peut en conclure qu’il y a une certaine éthique du son ?
Non ! Ça, c’est leur principe, qui s’entend et qui se respecte lorsqu’on travaille avec eux, car ils respectent cette éthique du son qui est un des éléments de leur mise en scène. Mais il n’y a pas de dogme en cinéma. C’est bien de s’approprier les principes des metteurs en scène et de s’en servir, de s’y conformer, on en a besoin. Mais si le lendemain de Tralala, j’avais travaillé avec un réalisateur qui avait demandé au monteur son de placer tel cri d’oiseau et que je m’étais insurgé en lui répondant qu’a cette altitude ce n’était pas possible… Il m’aurait dit qu’on s’en foutait éperdument ! Et j’aurais été d’accord avec lui ! L’important, c’est la pertinence et la consistance d’un projet de mise en scène, c’est de le suivre jusqu’au bout. La réalité importe peu, elle ne mène même pas forcément à la vraisemblance. Au cinéma tout est faux, et ce qui est formidable, c’est que ça n’empêche pas d’y croire.

D’un point de vue technique, pour un film comme Les Trois Mousquetaires, le côté spectaculaire se ressent-il au mixage ? Plus de pistes, de types de sons, plus compliqué ?
Évidemment, ce genre de film est un peu monstrueux, car il y a beaucoup de pistes et de sons. C’est là qu’il faut être méthodique, ne pas aller trop vite pour éviter de se noyer. Ce sont des films qui réclament du calme et de l’ordre pour faire les choses. On ne peut pas mixer ce genre de film à la va-vite. Ça ne veut pas dire que c’est plus compliqué. Il y a une complexité technique quantitative, mais le plus compliqué est de faire en sorte que l’ensemble fonctionne, que ce soit crédible et que le son serve le propos. Ce n’est pas toujours évident.
Je dis parfois qu’un film a sa vie propre : on peut en attendre beaucoup, faire des grandes théories sur ce qu’on va pouvoir faire ; et quand on les essaye, le film les rejette toutes ces belles idées comme un animal farouche. C’est là qu’il faut être suffisamment souple pour aller dans la direction vers laquelle le film nous dicte d’aller. Même les metteurs en scène en sont conscients. Il y a une part qui nous échappe, qu’il faut parfois combattre, mais il faut aussi savoir se laisser faire. C’est ce qui est compliqué, être suffisamment souple pour adopter d’autres points de vue et se diriger vers des choses auxquelles nous n’avions pas pensé, où que l’on n’aime pas faire, où que l’on n’aurait pas proposé…
On a tellement de preuves chaque jour qu’une chose en laquelle nous ne croyions pas peut mieux fonctionner que celles auxquelles on croyait fermement. Chaque film est une leçon de modestie.

Qu’est-ce qui a évolué entre vos débuts et maintenant ? Y a-t-il des tendances qui se sont dégagées au fil des ans ?
Il faut dire que les films grand spectacle, plus ça va, plus ils deviennent grand spectacle ! C’est un peu la course à la performance, parce que les formats le permettent. C’est toujours aller plus loin pour impressionner les spectateurs. Il y a un mot qu’on utilise très fréquemment, c’est immersif. Je préfère parler d’implication. Le son est là pour impliquer les spectateurs dans l’histoire que le metteur en scène leur raconte.
C’est beaucoup moins le cas sur les films dits d’« auteur ». Ils peuvent se satisfaire d’un côté spectaculaire — je crois qu’on ne peut pas opposer les types de films sur biens des registres — mais souvent l’essentiel ne passe pas par ça. Tout dépend tellement des metteurs en scène qu’il est difficile de dire qu’il y a des modes. Je n’en perçois pas.
Ce que je perçois en revanche, et c’est très personnel, c’est que, quand je vois un film que j’ai mixé, il y a dix, quinze ans, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai mixé. Il y a un changement qui s’opère quelque part. Sans émettre de jugement de valeur, j’ai parfois l’impression que ça m’est presque étranger. Pas le film en lui-même, parce qu’il y a une intimité qui se crée, mais la façon dont il est mixé, les solutions que j’ai trouvées, créent une sorte de distanciation. Pourtant, je me souviens très bien de ce que j’ai fait ! C’est surement parce que l’on évolue beaucoup, y compris dans son écoute, dans ce qu’on arrive à saisir dans le son.
Est-ce que votre envie de faire du cinéma est passée directement par le son ?
Je n’ai pas eu de « révélation », en tout cas pas sur le son. Cette envie de son est une combinaison de plusieurs éléments. J’ai toujours été fasciné par l’artisanat, qui est très discret dans les films. En revanche, j’allais beaucoup au cinéma, j’aimais la musique. J’aimais cette matière assez discrète et par lesquelles on peut faire ressentir beaucoup de choses aux gens, sans que cela soit aussi évident que dans une image (nous sommes vraiment une culture d’image). Ce qui m’a intéressé, c’est cette combinaison de techniques et de fabrication, de faire un objet qui porte des sensations et des émotions, et qui implique une maîtrise d’outils et de techniques.
Mon envie de cinéma a été très progressive. Je ne peux pas donner un titre particulier, car ce serait automatiquement faire une sorte de sélection. Je ne me suis jamais dit en sortant d’un film, même si ce serait très romantique : « C’est ça que je veux faire ! ». C’est arrivé au fur et à mesure. Il y a certainement des films qui ont construit petit à petit un désir de cinéma, mais si je vous disais que 2001 : l’odyssée de l’espace m’a donné envie de faire mon métier, je mentirais. Les références que je vous donnerais ne seraient par ailleurs ni révélatrices ni brillantes !
Si mon âme d’enfant devait parler de ça, même s’il n’y a aucun lien entre les films que j’ai vus lorsque j’étais enfant et mon envie de faire du cinéma, je citerais Chaplin, Les Lumières de la ville, qui est un film muet ! Je me souviendrai aussi toujours que le père d’un ami m’avait emmené voir Mon Oncle de Tati, et peut être que ça a déclenché quelque chose, je n’en sais rien. Maintenant que je connais ces métiers, je peux dire qu’il y a des films qui me fascinent par leur utilisation du son. Même si c’est un peu un peu banal de le dire, je trouve que la construction et les idées de mise en scène du son sur des films comme Conversation secrète ou Une Journée particulière, dans lequel la montée du fascisme se raconte aussi hors champ par l’intermédiaire d’une radio entendue dans la cour de l’immeuble, sont particulièrement remarquables. Ce sont donc plutôt les effets de mon métier que ses causes qui me viennent en tête.