Rencontre avec Éléonore Saintagnan, réalisatrice du film Camping du Lac

“Attends, avant de commencer, tu vas faire une retranscription après ? Je peux dire des conneries, réfléchir ?”

C’est sur ce ton léger et détaché qu’a commencé la conversation qui va suivre avec Éléonore Saintagnan, artiste plasticienne et cinéaste dont le premier long métrage Camping du Lac est sorti cette année. La réalisatrice replonge avec nous dans la conception du film, nous dévoile ses idées et méthodes, et revient sur les différents aspects de sa fabrication.


Dans un entretien pour Balises, le magazine de la BPI du Centre Pompidou, tu mentionnes avoir commencé à filmer seule tes performances. Aujourd’hui, tu réalises un long-métrage. Quels changements cela a-t-il entraîné dans ta pratique, notamment concernant les collaborations avec ton équipe technique toujours très réduite ?

Évidemment, cela n’a plus rien à voir. Mais il y a quand même des choses qui restent, à commencer par le besoin de commande pour travailler. En tant qu’artiste je suis invitée en général en résidence dans des endroits où l’on me donne un certain budget. L’idée, c’est de travailler avec les personnes présentes sur place. Ça peut être des endroits très différents, en général des endroits avec une population défavorisée, et un des buts est de leur donner accès à un travail artistique autrement qu’en allant voir une exposition. Moi, j’aime travailler avec les gens que je rencontre sur place et avec leurs savoir-faire. Parfois ce sont des artisans, parfois ils n’ont pas de savoir-faire particulier mais des hobbys. J’essaye de m’intéresser à ce à quoi eux-mêmes s’intéressent, pour voir ensuite ce que l’on peut faire ensemble. Cet esprit est le même dans Camping du Lac.

Maintenant, j’intègre une équipe de cinéma, j’ai travaillé avec un directeur de la photographie, Michaël Capron. Étant donné que les gens que je filme ne sont pas des acteurs professionnels, et que ce sont des gens en bas de l’échelle sociale, plutôt pauvres, j’aime bien leur offrir une image d’une qualité professionnelle et les filmer différemment de comment ils se filmeraient eux-mêmes. Ce qui nécessite d’intégrer des professionnels à la prise de son et d’image. Par contre, je n’ai pas du tout envie de travailler avec des grosses équipes. Déjà sur Camping du Lac on était 7 et c’était beaucoup trop pour moi. Ce qui reste, c’est le côté petite équipe, mais je m’entoure de techniciens professionnels.

 

Sur l’écriture, entre ton activité d’artiste et celle de cinéaste, qu’est ce qui change ?

Ça n’a rien à voir ! Le cinéma est horriblement frustrant, parce qu’on n’a aucune liberté. Là, c’est un film que j’ai fait avec l’aide aux productions légères accordée par la Fédération Wallonie Bruxelles qui permet d’avoir un petit peu plus de liberté qu’avec des financements traditionnels. Ils accordent une somme assez importante d’argent, mais ils prennent le risque de choisir les projets sur un dossier de cinq pages, ils ne demandent pas de scénario écrit et ils savent très bien que le film final n’aura plus rien à voir avec le texte initial. C’est plus proche des arts plastiques dans le sens où on confie le projet à une personne sur la base de la confiance en ce qu’elle a fait jusqu’à maintenant (ou sur le coup de cœur d’un dispositif intéressant). Mais rien ne garantit que le résultat corresponde aux attentes.

 

Tu avais écrit beaucoup pour Camping du Lac ?

Non pas beaucoup. Ce qui a été déterminant c’est quand j’ai décidé de tourner dans ce camping, quand j’ai trouvé mon lieu. Alors là j’ai réécrit les choses en fonction des personnes présentes. En fait, mon projet initial était un film en trois parties. Il y avait une histoire de poisson, une histoire de moineau et une histoire de procès d’animal au Moyen-Âge.

Finalement, je n’ai développé qu’un seul des trois pans. Je n’avais pas du tout l’idée de faire un film dans un camping ! J’avais l’idée de faire un film autour d’un lac avec une histoire de poisson qui attire des touristes et qui finalement est exploité par des capitalistes, ce qui mène le poisson à sa perte, ce qui est raconté très rapidement à la fin du film. C’est quand j’ai découvert le Camping du Lac en cherchant un lac que je me suis dit que l’endroit est génial et que je dois tout tourner là. Ce qu’il faut savoir, c’est que cette histoire anticapitaliste et antimilitariste de poisson miraculeux vient d’une nouvelle de Russell Banks de 1974, The Fish, que j’ai réécrite en totalité pour la tourner en Bretagne au Camping du Lac. Banks avait écrit un autre recueil de nouvelles à la même époque qui s’appelait Trailer Park, qui veut dire parc à caravanes. C’est un recueil où tout se passe dans des caravanes sur un terrain de camping où les gens vivent à l’année, mais aux États-Unis. Comme j’avais lu ce bouquin et que je suis tombé sur le Camping du Lac avec ses habitants, forcément ça m’a rappelé le livre et j’ai vu ça comme un signe. J’ai donc adapté The Fish au camping.

 

Qu’est-ce que tu as a changé par rapport à la nouvelle ?

La nouvelle se déroule au Vietnam, avec des pèlerins bouddhistes. Ici, les pèlerins de Bretagne croient que le poisson est celui de la légende de Saint Corentin, légende locale bretonne, qui aurait grossi encore et encore et qui hante les eaux du lac. Dans la nouvelle, le poisson est une réincarnation d’un disciple de bouddha qui était peintre. Quand il saute en l’air, il laisse des sortes de trainées dans le ciel et les bouddhistes pensent que c’est une réincarnation du peintre. Donc j’ai complètement transformé cette histoire bouddhiste en une histoire catholique bretonne.

 

© Camping du lac d’Eléonore Saintagnan – Norte Distribution.

 

Le film aurait pu se faire ailleurs qu’en Bretagne ?

Je venais de faire une résidence d’artiste dans le pays du Centre-Bretagne, j’ai pris mon budget ciné et je l’ai collé sur cette résidence, car les budgets en arts plastiques sont plutôt maigres. Donc j’ai rencontré des gens super là-bas et j’ai décidé qu’au lieu de tourner en Belgique, je le tournerai en Bretagne.

 

Et ça n’a pas posé problème à la Fédération Wallonie-Bruxelles de financer un film qui ne se tourne au final pas sur son territoire ?

Grace à l’aide aux productions légères, non ! Si je l’avais fait dans un cadre plus traditionnel cela n’aurait pas été possible, et j’aurais dû connaitre avant même d’avoir les subventions le lieu où j’allais tourner, les personnes, la durée, etc. Ça, je suis incapable de le faire. C’est une tout autre manière de travailler qu’avec un financement traditionnel. Camping du Lac a un budget d’environ 250 000 euros. C’est aussi une sorte de challenge pour moi. Du côté du cinéma, je suis un peu attendue pour faire un deuxième long métrage, mais il va falloir que le monde du cinéma accepte ma manière de travailler. Ou alors il faudrait que je me plie aux codes du cinéma, que j’écrive un scénario et que je fasse les choses comme il faut, mais rien que d’y penser, ça me donne envie de retourner me coucher. Mon prochain projet est donc plutôt un projet d’exposition, j’ai aussi un workshop avec des étudiants dans une école d’art, et de ces projets là il n’est pas impossible qu’en sorte un film. J’ai besoin de partir d’éléments concrets, qui préexistent. Ça ne m’intéresse pas de parler de moi et de raconter ma vie à des gens. Je n’ai pas un besoin viscéral d’écrire des histoires, puis de transformer le réel en payant des gens très cher pour aller défoncer des paysages pour qu’ils correspondent à ce que j’avais imaginé. Ce n’est pas du tout ma manière de travailler. J’aime le cinéma quand c’est un cinéma qui est intelligent et respectueux des humains et de la nature, ce qui n’est pas toujours le cas.

 

Tu dis que Camping du Lac a été tourné avec un budget de 250 000 euros. Les fictions qui aboutissent avec si peu de budget sont minoritaires, même si ton film emprunte un chemin documentaire.

Mais c’est quand même une fiction. On raconte une histoire de poisson miraculeux, les légendes chrétiennes sont des fictions qui portent une signification symbolique. Le cinéma, c’est raconter des histoires. J’aime aussi le cinéma très réaliste mais ce n’est pas celui que je fais. Je trouve intéressant de se dire : comment peut-on faire avec moins de moyens pour raconter des histoires ? Il y a une chose simple, c’est filmer des gens en train de raconter des histoires, donc d’assumer que l’on est dans une fiction. Et ça peut aller plus loin que simplement poser une caméra devant un conteur.

 

Faire une sorte de cinéma du bricolage, au sens noble que peut avoir ce terme ?

C’est complètement un cinéma du bricolage. Tu parlais d’une approche documentaire, je ne crois pas qu’il y ait une réelle approche documentaire dans mon film. S’il y en avait une, j’aurai laissé plus la parole aux gens. Là, on a construit une fiction ensemble. La différence avec une fiction traditionnelle, c’est qu’on voit des acteurs non-professionnels jouer et construire la fiction, ce qui révèle des choses d’eux. Je ne peux pas non plus leur demander de faire des choses trop différentes de ce qu’ils sont dans la vie, mais ce n’est pas du documentaire. Si j’avais fait un documentaire sur Anna (Anna Turluc’h, qui incarne Louise, ndlr.), la femme trans dans mon film, on verrait qu’elle chante le soir dans un cabaret, qu’elle est animatrice radio, qu’elle va castrer des taureaux à ses heures perdues, qu’elle n’a pas d’enfant et que c’est quelqu’un de très bavard alors qu’elle ne dit pas un mot dans mon film. C’est fortement inspiré de la réalité, mais ce n’est pas un documentaire. Il y a certes un système de troc dans le camping, mais les gens prennent aussi leur bagnole pour aller faire leurs courses chez Lidl dans la vraie vie ! Le coté idyllique de ce terrain de camping que mon personnage naïf projette est une fiction. Il ne reste pas grand-chose de documentaire mais tout ce que je montre est pris sur place. Quand on voit Anna tuer un poulet selon un rituel, avec le sang qui retourne à la terre, c’est la façon dont son père lui a appris à faire, c’est ce qu’elle fait pour les gens de son village qui ont des poulaillers. C’est là aussi qu’il y a un côté mystérieux dans le film, on ne sait pas ce qui est vrai ou ce qui est faux. J’en joue.

 

Tu en joues aussi au montage, tu transformes le réel et reconstruis le récit à partir des images. Par exemple, tu filmes des vacanciers ordinaires, mais ton personnage dit en voix off : « Ils sont venus voir la bête. » Cela change complètement notre perception des images !

Typiquement, dans la scène du feu d’artifice, c’est filmé comme un documentaire dans le sens où les gens sont là, je leur demande une autorisation pour les filmer, et j’installe une caméra en face de leurs visages en train de regarder le feu d’artifice. Et dans la voix off, je dis qu’ils sont en train de regarder les explosions de la guerre que les hommes mènent au poisson du lac. On peut dire que je mets la fiction au service du documentaire et aussi l’inverse, les images documentaires au service de mon histoire. C’est vrai qu’au fond mes intentions sont peut-être plus documentaires, j’ai envie de filmer le monde tel qu’il est. Le spectateur n’est pas dupe sur cette histoire de poisson et de guerre. Il regarde lui-même quelqu’un en train de raconter une histoire fantastique en se servant du réel.

 

Tu n’as pas peur d’être trop exigeante envers le spectateur ? Et de le perdre ?

C’est le risque ! Il faut que j’aie des spectateurs qui soient joueurs. Des gens qui vont voir le film en se disant qu’ils vont voir un documentaire sur ce que c’est que la vie au camping, ils risquent de ressortir frustrés. Il vaut mieux être prêt à être perturbé dans ses attentes, avoir le goût de la surprise, et un peu d’humour. Dans l’ensemble ça a plutôt bien été reçu, mais il y a quand même quelques personnes qui n’ont pas du tout compris la dimension humoristique qu’il y avait dans ce film. Certains m’ont dit aussi être passés à côté de la dimension anticapitaliste. Il y a pourtant une scène où mon personnage énonce clairement – mais peut-être trop brièvement – que le lac se vide à cause du commerce de l’eau et du marché noir, mais apparemment l’information a du mal à passer.

 

Peut-être parce que la scène suivante est bien plus forte émotionnellement et qu’elle éclipse cette dimension ?

Peut-être.

 

Pour que le film fonctionne, il faut sortir de cette convention un peu classique où l’on montre au spectateur une histoire autonome. Là, il faut être actif, il faut interagir avec le film.

Tout à fait, mais je ne suis pas la première à faire ça. Déjà dans les années 70, Rohmer mettait une distance, avec ses décors de théâtre filmés et le texte en vers de Perceval le Gallois, ou dans ses autres films avec ses personnages qui ont une scansion tellement étrange. On voit bien que ce n’est pas la vraie vie. Si on connaît un peu ce cinéma là, on est vachement moins étonné en voyant mon film.

 

© Camping du lac d’Eléonore Saintagnan – Norte Distribution.

 

Sur le tournage, regardais-tu les rushs à la fin de la journée ?

Pas systématiquement, je n’avais pas toujours le temps. Mais j’essayais régulièrement. Et même de faire une sorte de prémontage. C’est comme ça que je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment que je sois présente à l’image. Quand on a tourné la scène avec la femme qui batifole avec le poisson dans l’eau, c’est Michaël, le directeur de la photographie, qui m’a dit : « Mets-toi derrière l’arbre, on va faire quelques plans sur toi en train de la regarder parce que tous les autres plans qu’on a de toi sont tournés en plongée, on comprend que tu les observes aux jumelles, mais là ça ne collera pas avec le point de vue ». On a rapidement tourné ces plans, et ça m’a bien amusée de faire semblant de cueillir du lierre et d’y ajouter une ou deux blagues. Le soir, en regardant les images, je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus fort d’avoir ce champ-contre-champ et qu’il fallait jouer avec ça.

Je n’ai pas trop l’âme d’une actrice, ce sont mes producteurs qui m’ont dit qu’on devait me voir plus dans le film pour comprendre qui est la narratrice. Et en fait, j’avais un peu tourné à la va-vite les scènes où j’écoute avec mon appareil, scrute avec les jumelles, et mon arrivée au camping. Je pensais que ça suffirait, mais je me suis rendu compte plus tard que non, qu’il était important que je reste présente physiquement. Donc on a retourné la scène de jogging, les scènes où je retourne chez le garagiste. Ça a servi à construire un peu plus mon personnage pour garder un narrateur plus présent visuellement.

 

Ta relation avec tes producteurs a l’air d’être un vrai dialogue artistique.

Je travaille avec eux depuis que j’habite en Belgique, c’est devenu des copains. Je les ai rencontrés en 2012, à l’époque où j’étais enceinte. Avec Grégoire Motte, mon compagnon qui est aussi artiste plasticien, on s’est dit qu’on allait faire un projet ensemble afin de ne pas être sans arrêt en train de se disputer pour savoir qui va garder le gosse pendant que l’autre est en résidence d’artiste. Ce projet, c’est un précédent film qui s’appelle Les bêtes sauvages que l’on présentait au FID Lab à Marseille. Personne n’en voulait, on nous disait que c’était impossible à financer. Et Sébastien Andres, un matin en prenant l’ascenseur avec nous, nous dit qu’il avait bien aimé le projet et nous propose de travailler ensemble. Depuis, c’est lui qui produit tous mes films, avec Alice Lemaire qui l’a rejoint un peu plus tard.

J’ai de la chance de travailler avec eux, parce qu’ils sont vraiment investis. Au début, il n’y avait pas d’argent du tout. Ils sont très présents, Alice a fait la moitié des repérages de Camping du Lac avec moi. Sur le tournage, elle était là aussi. On faisait régulièrement des réunions avec Sébastien qui donnait son avis, des conseils. Pendant le montage, ils voyaient régulièrement des versions du film. Parfois peut-être même un peu trop investis, parfois ils ne lâchent pas ! Il y a des scènes qu’ils voulaient absolument que je coupe alors que j’y tenais vraiment.

 

En parlant du montage, est-ce que tu laisses ta monteuse Julie Naas travailler seule avant d’intervenir ?

Moi ce que j’aime, c’est monter. Le film que j’ai fait avant est un montage d’archives avec quelques images que j’ai tournées, mais qui sont anecdotiques. Pour moi c’est la partie créative, c’est là que tout se décide. Julie vient aussi du Centre-Bretagne et c’est drôle de trouver à Bruxelles une monteuse qui vient de là où j’ai tourné. J’ai surtout choisi de travailler avec elle parce qu’elle avait monté des projets que j’aimais bien. C’est un vrai travail de collaboration. On a un peu les mêmes intuitions quand on regarde des images, parfois je ne lui disais rien et la laissait seule me faire une proposition. Et quand je revenais, c’était exactement ce que j’imaginais ! On a le même sens du rythme, le même sens de la coupe. Elle a apporté des super propositions de montage. J’ai aussi travaillé avec une autre Julie : Julie Brenta, au montage son, qui travaille d’habitude de façon plus naturaliste, j’ai dû parfois la pousser à exagérer le coté artificiel du son.

Ce qui est certain, c’est que je ne pourrais pas laisser quelqu’un d’autre monter mon film. C’est la part la plus créative, celle que je ne peux pas déléguer. L’image, au contraire, je peux la déléguer, le cadre un peu moins, et le son aussi. J’avais un super ingénieur du son mais je n’ai pas utilisé tout son potentiel et ses capacités ; parce que j’adore travailler le son en post-production et utiliser des sons artificiels. Mais je ne suis vraiment pas une technicienne. J’aime le montage mais j’aime avoir un monteur avec moi, ne serait-ce que pour appuyer sur les boutons, ça peut vite m’énerver sinon, je ne comprends rien aux logiciels ! Mais j’ai toujours une idée de ce que je veux faire.

 

Ça rejoint ce que tu me disais avant, au tournage tu aimes travailler avec la matière déjà présente, c’est la même chose au montage.

C’est vrai ! Mon travail est un travail de détournement et d’agencement des choses préexistantes, toujours en partant du réel. Et j’ai une terrible angoisse de la page blanche quand on me demande de démarrer un projet à partir de rien. J’ai besoin de contraintes, qu’on m’impose un lieu, un budget. Moins il y a d’argent plus je trouve ça chouette. Quand tu n’as pas d’argent, tu dois inventer des solutions, et c’est ça que j’aime.

Par exemple le poisson. J’aurais adoré faire un animatronique avec des moteurs à l’intérieur, mais ça aurait coûté trop cher, et n’aurait pas été très écologique non plus. On aurait aussi pu faire des effets spéciaux numériques, mais j’aimais bien le côté artisanal. Au final, le poisson c’est une marionnette, à l’intérieur il y a deux adultes et un enfant en train de l’actionner.

Mais cela reste cher et j’ai dû le faire faire par des professionnels qui fabriquent des marionnettes. Il y a un côté artisanal, et en même temps c’est ce qui a coûté le plus cher dans tout le film. C’était la solution la plus folle, car ça aurait sûrement coûté bien moins cher de le faire en effets spéciaux. J’aimais bien cette idée, et c’est sûrement un truc de plasticien, parce que c’est complètement débile de faire un vrai poisson de six mètres de long et à l’ancienne. C’est un déguisement en fait, ce sont des gens déguisés en poisson ! Comme les King Kong des années 30.

Je trouve qu’il y a une contradiction dans ce poisson, et ça m’intéresse, cette contradiction dans le retour à l’artisanat qui finalement est un luxe qui coûte très cher, mais qui crée une forme d’emploi, qui permet de payer des gens sur des projets inhabituels. Et maintenant je suis bien embêtée avec ce poisson de six mètres de long, moi qui n’ai ni voiture ni lieu de stockage !

J’avais cette scène finale écrite avec le lac qui se vidait, et je ne pensais pas que le lac allait se vider pour de vrai à cause de la canicule. Je pensais utiliser des images d’archive de la vidange du lac ; mais je n’en ai pas eu besoin. J’ai pu tout tourner sur place et donc y amener le poisson, à l’échelle du paysage. Ça nous a permis de nous poser des questions concrètes avec la marionnettiste, sur l’apparence du poisson : est-ce que c’est un mérou, une perche, une carpe, un silure ? Finalement c’est un hybride, une sorte de chimère qui n’existe pas dans la réalité, mais ça, il n’y a que les pêcheurs qui s’en rendent compte ! En fait c’est un silure avec une tête de mérou et une queue de perche. On lui a aussi agrandi les yeux. C’est une créature, quoi.

Quand j’ai fait mes études au Fresnoy, mon travail de fin d’étude était un monstre géant appelé Jacques le canapé que j’ai été obligé de détruire. Il avait des capteurs qui permettaient à ses yeux de suivre les spectateurs dans la salle et ces derniers pouvaient s’asseoir dessus. C’était un objet finalement idiot, immense et on retrouve un peu ce désir de gigantisme dans le poisson.

 

Quels films t’ont donné envie de filmer ?

Là je pense tout de suite à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures de Apichatpong Weraseethakul. C’est un film en trois parties aussi et j’aime beaucoup les films en trois parties. Dans mes autres films un peu fétiches, il y a Tabou de Miguel Gomes, qui est aussi un film en trois parties. J’aime bien quand il y a des histoires qui s’imbriquent les unes dans les autres comme ça. Et j’aime bien la partie où quelqu’un raconte une histoire, et on oublie que quelqu’un nous la raconte. Je crois qu’il n’y a même plus de son direct. Et on ne le voit plus raconter l’histoire ensuite. À l’image, on voit des acteurs jouer ce qu’ils racontent, mais on ne les entend jamais parler ! C’est comme un film muet raconté. Ça m’avait beaucoup influencé. Mais il a fallu que je le revois plus tard pour comprendre pourquoi il m’avait autant marquée.

Après dans Camping du Lac il y a des références à d’autres films, pas forcément ceux qui m’ont influencée ou donnée envie de faire du cinéma. Au début, quand j’arrive au camping et que l’on voit la mère à travers la fenêtre, c’est Psychose de Hitchcock. Mais c’est mon compagnon, en voyant le film, qui me l’a dit. Ça travaillait inconsciemment en moi, c’est un film que j’avais vu enfant et qui m’avait absolument marquée. C’est pareil avec Big Fish que j’ai revu après avoir fait Camping du Lac et qui m’avait marquée enfant. Je me souvenais du titre mais pas de ce qu’il y avait dedans.

Après dans les références conscientes il y a la scène de l’épluchage de patates dans Jeanne Dielman de Chantal Akerman, il y a Les Onze Fioretti de François d’Assise de Rossellini, sûrement les Monthy Pyton qui sont une référence d’enfance. Et aussi Below Sea Level de Gianfranco Rosi, avec ce personnage qui habite dans une caravane et qui passe tout le film à appeler sa fille en lui disant de venir le voir ; sauf que la fille ne vient jamais.

 

Propos recueillis par William Delgrande 

William Delgrande
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