Rencontre avec Nathan Ambrosioni

Il est le plus jeune auteur à avoir décroché l’avance sur recettes du CNC et à tout juste 24 ans, Nathan Ambrosioni a déjà réalisé deux long métrages et tourné aux côtés de Noémie Merlant, Guillaume Gouix ou encore Camille Cottin pour son dernier en date Toni, en famille. A l’occasion de sa sortie en salles, nous avons pu avoir l’occasion de nous entretenir avec lui au téléphone dans un très bel échange qui respire la passion et l’envie de cinéma. Nous choisissons de garder le tutoiement qui s’est vite installé dans la retranscription qui suit afin de garder et de transmettre la bonne humeur et la convivialité de la discussion.

La grande famille au complet de Toni

Tu as visiblement commencé dans le cinéma de genre, est-ce que c’est quelque chose que tu as totalement délaissé aujourd’hui ? Compterais tu y revenir un jour si l’occasion se présentait ?

J’ai effectivement commencé de façon amateur et très jeune avec des films d’horreur auto-produits avec mes amis. J’avais 14 ans et c’étaient surtout des films pour expérimenter et s’amuser. J’adore le cinéma de genre, il me passionne. Malheureusement en France c’est plus compliqué, il y en a très peu même si cela n’empêche pas quelques exemples comme Le Règne Animal de sortir. Depuis Grave (de Julia Ducournau) j’ai l’impression que cela a relancé quelque chose, mais moi à l’époque personne ne répondait présent. Je ne ferme pas la possibilité d’en faire un jour car c’est toujours quelque chose que je suis de près ou de loin (il parle notamment de son envie de découvrir en salles Saw X ou le prochain Exorciste : Dévotion), mais je regarde autre chose et donc je m’oriente désormais vers autre chose.

Etant fan de cinéma de genre moi-même, j’aimerai savoir ce qui t’avait attiré dedans justement ?

C’est devant ces films que j’ai eu mes premières émotions, mes premiers frissons de cinéma. La première fois que j’ai eu vraiment peur, bon il ne faisait pas vraiment peur, mais c’était Esther *rires*. La peur que ça m’a provoqué c’était vraiment nouveau, aucun film avant celui-ci ne m’avait autant marqué. Ça m’a fasciné et de manière générale je trouve ça intéressant la peur collective dans une salle de cinéma. La contagion de l’angoisse c’est chouette et c’est surtout cathartique. Le cinéma est toujours collectif, mais dans un film de peur quand cela fonctionne, cela donne lieu à de chouettes expériences (il cite en exemple sa découverte de Sinister de Scott Derickson et d’un public terrorisé).

Dans un tout autre sujet, même si on a du te le dire maintes fois, ton parcours est assez étonnant. Aucune école de cinéma, personne de ton entourage dans le milieu et pourtant tu as déjà un film en salles avec Camille Cottin. On dit souvent que le cinéma est un milieu intime et restreint, tu penses que c’est vrai ?

Oui, même si j’en suis un contre-exemple. Je ne le dis pas de façon péjorative, mais c’est un milieu très fermé et très parisien. Moi je ne viens pas de Paris et c’était totalement irréel pour moi d’avoir l’occasion de réaliser des films là-bas. Tu as clairement plus de chances d’y arriver quand tu es à Paris mais je n’y vois aucun mal, le fils d’un boulanger devient bien boulanger ! *rires* Mais au-delà d’être dans une famille de cinéma, juste le fait d’y être né et que le cinéma ne se fasse presque qu’à Paris en France réduit ses chances. Il y a bien d’autres pôles, mais ils sont minuscules à côté. Il faut l’avouer, c’est une réalité.

Pour parler plus concrètement de ton film en salles actuellement, Toni en famille, ma propre mère comme beaucoup d’autres semblent se retrouver dans le personnage interprété par Camille. Quelles ont été tes inspirations pour retranscrire ses émotions pour ce personnage, et pour ton film en général ?

Il y en avait beaucoup, mais pas forcément des films. Pour mon précédent, Les Drapeaux de Papier, j’étais clairement sous influence. Mais sur ce film, ça m’est surtout venu de ma propre situation ou des situations de mes amis. Des scènes et des tableaux de famille qui me plaisent, notamment les photographies de Justine Kurland qui sont littéralement des scènes de Toni en famille. Kore-eda m’a aussi beaucoup influencé, c’est un maitre dans la retranscription des relations familiales. Même Kenneth Lonergan et son Manchester by the Sea m’ont aussi beaucoup inspiré, plus dramatique mais j’adore ce film. J’admire aussi beaucoup Greta Gerwig et Noah Baumbach qui sont un couple de cinéastes que je suis beaucoup. Je voulais un film simple en apparence qui parle de sujets sensibles et d’une quotidienneté. Comme je te disais c’est bien loin du film d’horreur ! *rires*

Dans Toni, j’ai eu l’impression que tu souhaitais brosser un portrait de ta (notre) génération, c’était volontaire ou pas ?

Totalement, j’avais très envie de parler de mes amis surtout. J’avais essayé avant le covid d’écrire un film sur une bande d’amis dans le même genre mais ça ne s’est pas fait. On manque de tendresse pour notre génération parfois, il y a très peu de jeunes cinéastes en France et j’avais l’impression que parfois on manquait d’indulgence sur notre génération. J’ai des amis qui sont vidéastes ou influenceurs et ça n’en fait pas des abrutis pour autant loin de là. Je voulais parler de ces sujets, d’identité, de santé mentale, de troubles… J’ai l’impression que ces thèmes sont inhérents à notre génération et cette multitude d’enfants m’ont permis de pouvoir approfondir tout cela pour ne pas faire des personnages complexes qui fassent de l’ombre à Toni. Chacun représente quelque chose de notre génération.

Et toutes ces différences d’âge, ça a eu une influence sur le plateau au moment du tournage ou pas ?

Pas tant, déjà parce que c’était toutes et tous des comédiens professionnels qui avaient fait des films. C’était important pour moi de choisir au casting des personnes déjà pros et non pas présentes seulement parce que les parents le souhaitait. Ils avaient tous une maturité qui les mettaient sur le même pied d’estale. Je n’ai pas ressenti d’écart mais, au contraire, plutôt une famille qui se créait et qui se soudait.

Il n’y a pas eu de difficultés sur le tournage alors ?

Non c’était un chouette tournage. J’ai pris un immense plaisir sur l’écriture et je me sentais très libre autant à l’écriture que sur le tournage. Il y a eu deux mois de préparation intenses, ce que je n’avais pas eu sur mon premier long. On a eu quasiment aucun imprévu sauf quand tous les enfants ont eu le covid d’un coup, autant dire que là c’était pas une partie de plaisir *rires*. Cinq jours sans eux, donc cinq jours où Camille a tourné les scènes où elle était seule. On a donc dû refaire les scènes où ils étaient là rapidement. Il faisait aussi très chaud, 40 degrés à Grasse où ils devaient être en manteau dans les scènes donc sur ce point c’était pas évident non plus. J’ai aussi eu la chance d’avoir Camille sur le plateau, qui est formidable, généreuse et pleine d’énergie. C’est vraiment une grande actrice. Quand tu es réalisateur tu es capitaine de bateau, Camille elle c’était ma Co capitaine.

Cette bonne humeur que tu retranscrit se ressent beaucoup dans le film, un film qui d’ailleurs rencontre un franc succès en salles et critique actuellement. Ça te met peut-être une pression pour tes projets à venir, comptes tu faire une pause ensuite ?

Ah non ! Je suis déjà sur l’écriture du prochain et mon formidable producteur attend de pied ferme le prochain texte. On fait toujours la tournée de Toni, on est si heureux que le film ait rencontré son public. La presse a été aussi assez réceptive. La sortie d’un film c’est rempli de stress, chaque fois que je le présente j’ai cette petite appréhension. Quand on a travaillé pendant trois ans sur un film c’est compliqué de ne pas faire attention à ce que les gens disent. Je veux me servir de cette énergie que j’ai actuellement, plutôt que de faire une pause, pour mettre les bouchées doubles et continuer sur ma lancée !

J’avais une dernière question pour toi, un dernier coup de cœur en salles ou que tu as pu découvrir chez toi ?

Récemment A Most Violent Year avec Oscar Isaac et Jessica Chastain, je trouve ça génial. Il n’y a pas longtemps j’ai aussi découvert Sexe, Mensonges et Vidéo de Soderbergh, c’est très surprenant surtout vu le thème. Les films qui parlent de sexe un peu plus ancien peuvent souvent faire archaïque au niveau du traitement de cette thématique. Mais la mise en scène est brillante et il n’a pas vieilli du tout sur le fond. Là je suis actuellement sur Yi Yi de Edward Yang, qui est tout juste sublime !


Merci encore à Nathan pour avoir accepté cet entretien. Vous pouvez encore découvrir Toni, en famille toujours en salles en ce moment !

Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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