Rio Bravo : Quand Hawks déconstruit le mythe de John Wayne

Ce qu’il y a d’intéressant dans l’émergence du cinéma moderne du début des années 60, c’est de voir comment certains cinéastes classiques encore actifs se sont partagés les écrans de cinéma avec des cinéastes ayant quitté le classicisme Hollywoodien pour proposer de nouvelles approche de l’objet cinématographique. C’est totalement ce dont il est question dans Rio Bravo (1959) de Howard Hawks, et que tout un tas d’élément viennent témoigner. Ici nous allons nous concentrer sur un élément précis du film même si ce dernier ne pourra exclure une attention à des éléments concordants : L’usage qui y est fait de John Wayne.

Scène d’introduction de Rio Bravo où John Chance est mit en joue par un personnage avant que Dude lui sauve la vie.

Rio Bravo s’ouvre sur un retour à un classicisme très brute d’un point de vue narratif par l’usage d’un récit éculé dans le genre du western avec un protagoniste qui en apparence l’est tout autant: un shérif représentant force, autorité et solitude. Ce shérif étant incarné par John Wayne, le film nous met face à un corps archétype des valeurs de son personnage mais qui finit en réalité par être totalement démystifié. En effet le personnage de John Chance nous est ici introduit comme, indépendant et puissant, dans son apparition en tant qu’aide à Dude, le personnage de Dean Martin. Seulement il aura suffit de quelques minutes seulement à Howard Hawks pour venir déconstruire ce que cette première impression a pu véhiculer, car en effet, à peine a-t-il sauvé Dude qu’une inversion des rôles se met en place et alors John Chance qui vient de se faire sauver la vie, perd son indépendance qu’il ne retrouvera jamais. En effet on assiste tout au long du film à une démystification de ce personnage grâce à ses interactions. Il apparaît de plus en plus faible et dépendant vis à vis des personnages incarnés par Ricky Nelson et Angie Dickinson. D’un point de vue sentimental, John Chance conditionne très vite ses actes en fonction de sa relation avec Feathers, ce qui n’est par réciproque. Alors un subtile rapport de force se met en place entre les deux personnages car si John Wayne est la vedette de Rio Bravo, il est sentimentalement en position de faiblesse et c’est en réalité le bon vouloir de Feather qui est le plus conséquent sur l’ordre narratif. Professionnellement, son idée reçue de lui même est mise à l’épreuve. Comme évoqué plus haut dès l’introduction Hawks met en scène une puissance révolue laissant place à constante une dépendance des autres, c’est alors le personnage de Ricky Nelson qui remplace John Wayne. Son professionnalisme et sa fermeté se voient détruites et alors ce personnage débarrassé de son mythe nous laisse au fur et à mesure accéder à sa vérité en atteignant une humanité que ne permet pas les stéréotypes auquel il est soumis.

Scène de dialogue entre John Chance et Feather

Seulement dans ce traitement de John Wayne, Hawks ne se restreint pas à un regard progressiste ne visant qu’à bêtement condamner l’archétype qui enferme l’acteur américain sans jamais prendre de recul. En cela Hawks va faire naître dans le film une ambiguïté par une notion fondamentale dans la mise en scène du maître américain: l’idée de l’évidence. Comme l’a théoriser Jacques Rivette dans son article « génie de Howard Hawks », Hawks produit une mise en scène de l’évidence (terme récurrent pour caractériser le cinéma de Howard Hawks), l’action Hawksienne n’est évoquante que par la simple puissance de son exécution au sein du plan. Hawks se distingue alors de ses contemporains œuvrant certains dans un cinéma plus baroque afin de souligner les actions qui interviennent dans l’image. On est ici face à une simplicité dans la mise en scène qui met à nu le filmé en ne spéculant uniquement que sur sa puissance émotionnelle propre. On peut alors dire que Hawks a une approche matérialiste de ce qu’il filme, son cinéma permet de sentir la substance de ce qui apparaît dans le plan devant et hors du champ. Ainsi John Wayne, disposant d’une certaine liberté dans sa façon d’agir dans le plan, apparaît tel qu’il est matériellement hors de son archétype: robuste imposant et charismatique. C’est alors avec une aura presque érotique qu’il apparaît tout au long du film, la caméra laisse son langage corporel s’exprimer avec une certaine sensualité. Ce dispositif crée alors une dissonance vis à vis du traitement littéral que son personnage subit, car alors que l’ordre narratif fait part de la déchéance de son personnage, la mise en scène fait part de la virtuosité de son corps. C’est alors avec ambiguïté que Hawks traite cette idée d’archétype, il n’impose pas une vision dogmatique à son film et ne restreint pas la pensée du spectateur. En cela malgré son classicisme, Rio Bravo permet de mettre en avant le fait que certaines singularités que l’on évoquerait comme caractéristiques modernes chez certains cinéastes étaient déjà présente chez Howard Hawks. C’est notamment le cas de cette idée de questionner l’archétype de l’acteur, idée que l’on retrouve chez Sergio Leone avec Henry Fonda dans Il était une fois dans l’Ouest avec cette fois un usage à contre-emploi total, qui était comme nous l’avons démontré une idée déjà exploitée par Howard Hawks pour ne citer que lui.

Kelsang Rastoldo
Kelsang Rastoldo
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