L’année 2024 touche à sa fin, l’occasion pour l’ensemble de la rédaction du Club Lumière de vous présenter son Top 10 annuel. Nous en profitons également pour vous remercier d’être sans cesse plus nombreux·se à nous suivre dans cette aventure. Nous vous souhaitons une bonne fin d’année et vous donnons rendez-vous début 2025 autour de notre projet “Cinéma de Palestine” dont nous vous parlerons plus en détails prochainement.
1. Le mal n’existe pas de Ryûsuke Hamaguchi
“Et où est-ce qu’ils iront ? – Quelque part ailleurs, j’imagine.” Face à cette réponse de l’entrepreneur, Takumi, le protagoniste du Mal n’existe pas, se tait. Ce dialogue à propos des cerfs encapsule tout le propos du nouveau chef-d’œuvre de Ryūsuke Hamaguchi. C’est un film sur les parasites, ceux envoyés par les ambitions capitalistes, ou simplement les humains qui s’approprient les terres en se justifiant par le confort ou l’argent. Ce n’est pas un récit d’homme contre homme mais une réflexion plus large sur la nature comme simple lieu de vie, qui n’est pas régie par des valeurs philosophiques humaines telles que le mal qui la détruit.
2. Miséricorde d’Alain Guiraudie
Par le retour de Jérémie à Saint-Martial, Guiraudie évoque quelque chose en apparence banal. Un sentiment commun, mélange grivois entre la nostalgie de fouler à nouveau les sentiers déjà battus, mais aussi la fatalité du temps qui a passé et qui n’a pu se figer – si ce n’est dans des albums photos ou par les décorations de la maison d’enfance retrouvée intacte. Doté d’un humour qui pince le coin des lèvres comme mamie, Miséricorde force le spectateur à demander pardon à ses protagonistes pour avoir ri d’eux, ou avec eux. Guiraudie lorgne entre drôlerie et tragique avec une atmosphère aussi repoussante que réconfortante, où retrouvaille rime avec pagaille.
3. Jeunesse (Le Printemps) de Wang Bing
Avec ce film, Wang Bing ouvre une série de films sur les jeunes travailleurs des usines de textile de Zhili. Jeunesse (Le Printemps) joue principalement sur l’immersion du spectateur avec ces jeunes qu’il humanise et personnifie avec tendresse. Il rompt ainsi la chaîne du capitalisme qui voudrait nous faire oublier complètement l’existence de ces travailleurs de l’ombre dont les produits se retrouvent distribués dans le monde entier. Durant 3h30, le regard se distribue entre l’aliénation du travail, les relations amicales et amoureuses des travailleurs entre eux, ainsi que leurs luttes pour de meilleures conditions de travail et de vie.
4. Dahomey de Mati Diop
Dahomey cristallise l’événement paradoxal de la restitution en 2021 de 26 trésors au Bénin par la France sur plusieurs milliers d’œuvres pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises. Mati Diop suit ce retour au pays en donnant la parole aux militants décoloniaux et aux statues dans une dimension animiste, en n’hésitant pas à se pencher vers l’expérimentation documentaire. Un grand film qui illustre le besoin d’un retour de ces œuvres dans leur pays d’origine et les débats que cela engendre, mais aussi la timidité des pays colonisateurs à reconnaître leurs vols.
5. À son image de Thierry de Peretti
Depuis Enquête sur un scandale d’état, la porosité, le dialogue permanent entre mise en scène et montage place Thierry De Peretti parmi les grands. Cinéaste de l’incarnation (corse évidemment, et jusqu’aux ongles), il a la méticulosité nécessaire pour tracer les contours d’une zone d’ambiguïté dans chaque plan ; qu’elle soit morale, sentimentale ou politique. Jamais juge, De Peretti se réserve le droit de ne pas montrer tous les côtés des choses ; et c’est avec une image manquante qu’il permet au spectateur d’élaborer la sienne. Ce que Bresson appelait la marge d’indéfini n’est que le fruit d’une maîtrise sincère ou d’une sincérité maîtrisée qui fait d’À son image un film d’une beauté intemporelle.
6. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
« Prenons l’exemple des camps de concentration. Le seul vrai film à faire sur eux – qui n’a jamais été tourné et ne le sera jamais parce qu’il serait intolérable – ce serait de filmer un camp du point de vue des tortionnaires, avec leurs problèmes quotidiens. Comment faire entrer un corps humain de deux mètres dans un cercueil de cinquante centimètres ? Comment évacuer dix tonnes de bras et de jambes dans un wagon de trois tonnes ? Comment brûler cent femmes avec de l’essence pour dix ? Il faudrait aussi montrer les dactylos inventoriant tout sur leurs machines à écrire. Ce qui serait insupportable ne serait pas l’horreur qui se dégagerait de telles scènes, mais bien au contraire leur aspect parfaitement normal et humain. » Jean-Luc Godard ; 1963
7. La Bête de Bertrand Bonello
La Bête parait comme un de ces voyages oniriques qui vous secouent, vous questionnent longtemps après la projection. Hypnotique, émouvant, il ne s’agit pas de comprendre le film, mais d’en vivre l’expérience. À travers cette histoire d’amour diachronique sur fond d’imagerie lynchéenne, se dessine un miroir des tensions entre le réel et l’artifice, marqué par l’individualisme des temps modernes. Bertrand Bonello nous invite ainsi à une reconquête de notre humanité.
8. Walk Up de Hong Sang-soo
Dans Walk Up, Hong Sang-soo met en place un dispositif architectural en créant un espace unique à travers l’escalier. Il déploie des relations entre personnages dans des espaces horizontaux à travers les différents étages qui se lient par une cage verticale. Des intrigues viennent alors s’entrechoquer autant dans leur narration que dans l’espace qui leur est accordée par cette élément de connexion dans l’architecture du lieu filmé.
9. Anora de Sean Baker
“Ils ont créé des palaces grandioses, mais ils ont oublié de créer les nobles pour les habiter”; cette maxime de H.D Thoreau pourrait symboliser la Palme d’or de 2024. Cinéaste des marges de la société américaine, Sean Baker va cette fois s’immiscer à travers le regard d’une travailleuse du sexe dans une famille d’ultra-riches russes. Au bout du chemin de cette fable cinématographique, un horizon pessimiste pour Ani, Lola Montès des temps modernes réduite à son statut de marchandise féminine. Pour ce corps successivement fantasmé, usité, rejeté et effacé par la force dominante, il reste néanmoins la dignité mélancolique dans l’hiver new-yorkais.
10. Eureka de Lisandro Alonso
Après 10 années de distance, Alonso revient avec Eureka, ironique valse décoloniale où l’on navigue plus qu’on ne se trouve, tant dans ses géographies que sa narration. Un contre-récit en 3 tableaux (du Portugal au Mexique, en passant par le Dakota du Sud), opérant une étonnante jonction de plusieurs cinémas actuellement en pleine santé. Un hypermodernisme d’abord, qui à travers Weerasethakul, Costa, Serra ou Gomes, a vu naître la plupart des films majeurs de cette première moitié de décennie. Un renouveau du cinéma Argentin ensuite, où divers·es auteur·ices trouvent de nouvelles voix, aussi tremblantes que prometteuses, et qu’Alonso alimente d’une salvatrice assurance.
Pour conclure cette année, nous vous dévoilons l’ensemble des films cités par la rédaction, vous offrant ainsi le classement le plus complet possible. Le calcul s’est effectué en nombre de points : chaque personne devait citer 10 films, ceux étant cités les plus hauts se voyaient logiquement recevoir plus de points que les autres.
- Le mal n’existe pas, 86 points
- Miséricorde, 58 points
- Jeunesse, 55 points
- Dahomey, 42 points
- À son image, 41 points
- La zone d’intérêt, 37 points
- La bête, 31 points
- Walk Up, 28 points
- Anora, 26 points
- Eureka, 25 points
- Furiosa, 24 points
- May December, 24 points
- Grand Tour, 21 points
- Chime, 17 points
- Exposé du film annonce du film “Scénario”, 16 points
- Maxxxine, 14 points
- Memory, 13 points
- Il fait nuit en Amérique, 13 points
- Les graines du figuier sauvage, 12 points
- L’histoire de Souleymane, 10 points
- In Water, 10 points
- Animale, 10 points
- Vingt Dieux, 10 points
- Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres », 9 points
- Rendez-vous avec Pol Pot, 9 points
- The Apprentice, 9 points
- Christmas Eve at Miller’s Point, 9 points
- Dune 2, 9 points
- Juré n°2, 8 points
- The Substance, 8 points
- Longlegs, 8 points
- La nuit se traîne, 8 points
- All of us strangers, 7 points
- Les pistolets en plastique, 7 points
- Comme le feu, 7 points
- Direct Action, 7 points
- All we imagine as light, 6 points
- Cloud, 6 points
- La belle de Gaza, 6 points
- Ici, brazza, 6 points
- Fremont, 6 points
- Twilight of the Warriors : Walled In, 6 points
- No Other Land, 5 points
- Revolution +1, 5 points
- La machine à écrire et autres sources de tracas, 5 points
- Jusqu’à l’aube, 5 points
- Chroniques Chinoises, 5 points
- Les reines du drame, 4 points
- The Bikeriders, 4 points
- I saw the TV Glow, 4 points
- Priscilla, 4 points
- Il pleut dans la maison, 4 points
- Only the river flows, 4 points
- Shadow of fire, 4 points
- Les lueurs d’aden, 3 points
- Apolonia Apolonia, 3 points
- Black dog, 3 points
- Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant, 2 points
- The iron claw, 2 points
- Eat the night, 2 points
- Terrifier 3, 1 points
- La Jeune Fille et les Paysans, 1 points
- Etat limite, 1 points
- Le roman de Jim, 1 points