Les petites filles sont des punks que vous n’arrêterez pas ; les femmes font leur cinéma

Il est de ces faits qui indignent – un massacre de masse est en train de se dérouler en Palestine.

Il est de ces données qui résonnent – déjà 36 féminicides ont eu lieu en France en 2024 à l’heure où cet article est publié.

Et, il y a cette phrase du discours de Justine Triet à la Cérémonie des César, qui dénote, elle aussi, à son échelle (nullement aussi grande que les précendentes, toujours avisées à être rappelées), d’une vérité assourdissante ; “Être la deuxième femme de l’histoire des César à obtenir ce prix en 49 ans, ce n’est pas rien”. 

Des discours plus importants les uns que les autres ont été prononcés, ce soir-là. Ainsi, cette remarque n’a fait son bout de chemin qu’après un certain temps. Une fierté, aux premiers abords, car ce César est à la fois amplement mérité et grandement attendu. Et au deuxième, une assimilation suivie d’une réalisation, 2 femmes, en 49 ans. Ce sont des données qui froissent à peu près chaque année. Avant Justine Triet, c’était Greta Gerwig qui était la première femme à dépasser le milliard au box-office. Avant elle, c’était Julia Ducournau qui se voyait décerner la palme et devenait la première femme à obtenir ce prix (seule) en 77 années d’éditions, après Jane Campion pour La leçon de Piano en 1994 (ex aequo avec Chen Kaige pour Adieu ma concubine). Cette liste pourrait s’allonger, mais sans trop s’étendre, car des femmes récompensées pour leur talent de réalisatrice, c’est un phénomène qui se veut rare (outre le prix Alice Guy, lancé en 2018). C’est pourquoi il m’a paru intéressant, que dis-je, nécessaire, de revenir sur certaines œuvres de celles-ci, pour rappeler que oui, le cinéma est aussi féminin, et il vient parfois mettre des mots, mieux que quiconque, sur la condition humaine féminine. 


Beau Travail – Claire Denis (1999)
© Splendor Films

Synopsis : Dans le golfe de Djibouti, un peloton de la Légion étrangère répare les routes et s’entraîne à la guerre. A Marseille, l’ex-adjudant Galoup se rappelle les moments qu’il a vécus avec ses hommes.

Les souvenirs, la mémoire. Thématique qui ne tarit pas au cinéma, et fait toujours son petit effet dans l’œil d’un spectateur embrumé par ses propres réminiscences. Entre Marseille et Djibouti, l’adjudant-chef Galoup se remémore son temps parmi les légionnaires. Une expérience des moins inoubliables, à l’effet dévastateur psychosomatique. C’est l’arrivée de la nouvelle recrue Sentain qui va faire peser un climat de chasse gardée – la chaleur écrasante de Djibouti ne faisant qu’accroître davantage l’ardeur du moment. Un moment qui se fait long, le combat est loin, et pourtant, il faut se préparer à la menace amorphe. La tension rôde, et elle est troublée par le désir et la jalousie qu’entretien Galoup pour Sentain. Le zèle de Galoup pour son post d’adjudant-chef ne l’arrêtera pas à jouer le délateur et l’irréparabilité d’un coup mesquin, afin d’écarter cette passion qu’il ne peut contrôler. Un scénario taciturne qui laisse briller les corps et la répétition d’un travail mécanisé voire théâtralisé, nous apparaissant comme l’une des plus belles formes d’art jamais vu. “ Sers la bonne cause et meurs ” parle le corps de Galoup, avant de laisser aller la danse, autrefois étouffée. La photographie est immaculée et nous la devons à Agnès Godard. Claire Denis et cette dernière nous ont délivré un véritable chef-d’œuvre troublant qui se donne et se vit, comme un balai. 

La Bataille de Solférino – Justine Triet (2013)
© Shellac

Synopsis : 6 mai 2012, Solférino. Laetitia, journaliste télé, couvre les présidentielles. Mais débarque Vincent, l’ex, pour voir leurs filles.

Il m’a été donné de lire un jour dans une préface rédigée par Julia Kerninon, celle de Le soleil se lève aussi de Hemingway, une vérité troublante concernant la première œuvre d’un auteur : « Je voulais mettre en évidence que tous les romans d’un écrivain sont maladroitement contenus dans son premier ; que les écrivains écrivent peut-être toujours le même livre, mais qu’une fois dans leur vie, ils l’écrivent parfaitement, et c’est ce que nous appelons un chef-d’œuvre ».  La bataille de Solférino, premier long de la tendance Justine Triet, n’est pas là pour faire écho à la victoire de Napoléon III contre François-Joseph – il est à l’image de son œuvre, une esquisse de son art – le couple et ses méandres. Là où Anatomie d’une chute est et restera certainement son chef-d’œuvre, Justine Triet accompli cependant une jolie prouesse avec l’avorton La Bataille de Solférino. Il y réside une tension, une menace discrète, qui monte par pallier, pour nous abandonner sur un bien étrange sentiment, situé quelque part entre rire et désespoir. Soufflé par le portrait d’une femme journaliste, mère de deux enfants, tentant de survivre émotionnellement et physiquement avec un calme étonnant à cette journée de résultat présidentiel où les hommes de sa vie orbitent tous pour la rendre un peu plus insurmontable. Spécifiquement, c’est Vincent, son ex-mari, qui décide capricieusement que sa visite sera ce jour-ci, et pas un autre, en dépit de concevoir que Laetitia ne mettrait pas sa vie en pause pour lui. Drôle, fort, irrésolu et tenace, le style de Triet est immaculé et ouvrait déjà la voie d’une grande carrière.

How to Have Sex – Molly Manning Walker (2023)
© Nikolopoulos Nikos

Synopsis : Afin de célébrer la fin du lycée, Tara, Skye et Em s’offrent leurs premières vacances entre copines dans une station méditerranéenne ultra-fréquentée.

Je me souviens de ma première rencontre avec le sexe. À vrai dire, soit on s’en souvient, soit on ne s’en souvient pas, mais si on s’en souvient, alors on le sait. Je ne parle pas ici de la première fois, mais de la première rencontre avec l’idée même de l’existence du sexe. Un porno m’a été montré par un jeune garçon et ce fut la première fois, mais pas la dernière, qu’un garçon m’imposait sa propre hypersexualisation. Un déclic, quelque chose était là, mais je n’en avais pas connaissance. Ce moment se veut irréversible, car une fois les yeux ouverts, on ne peut plus les fermer. On ne peut plus l’éviter, on le voit davantage, puisqu’on le remarque davantage. C’est toujours plus dérangeant, prenant, c’est toujours plus là. Dans une société hypersexualisée, des jeunes filles grandissent et sont confrontées à une pression. Et si les garçons le sont à leur égard, dans How to have sex, c’est la belle et pétillante Tara qui va se prendre la plus piquante des gifles. Ce qu’elle attendait tant, ce sujet qui bat constamment au cœur de la discussion, sa première fois, est arrivée. Elle en a envie, elle se sent prête et l’occasion est idéale. Mais une fois le moment arrivé, Tara souffre. Elle souffre dans un premier temps de cet acte qui n’était pas consenti, et dans un second, elle souffre de cette pression qui lui a été mise, que la société lui a mise. Elle veut oublier mais repense à ce moment, ce rite de passage qui n’était plus le sien et qui cachait dans l’ombre, un milliard de coercitions. Car maintenant, c’est arrivé, et elle ne peut qu’avancer, l’idée que Tara se faisait de sa première fois n’est plus une option, elle est désormais salie. Alors, Tara se questionne, sans jamais prononcer de mots. Mais on le sait, on l’a vu, les femmes le savent car les femmes l’ont vécues. Sa douleur tue l’écran, les lumières se rallument et toutes les femmes de cette salle pleurent. Portrait d’une génération ultra-pressée, toujours plus pressée, qui s’éloigne un peu plus de la naïveté, de la tendresse, créant des monstres ; « enfants sains du patriarcat ».

Le Bonheur – Agnès Varda (1965)
© Ciné-Tamaris

Synopsis : En banlieue parisienne, le jeune François semble vivre une existence heureuse et satisfaite avec sa femme, Thérèse, et leurs deux jeunes enfants. Mais il rencontre Emilie.

Quel est le sens du bonheur ? Tellement audacieux, la censure qu’avait conférée Le Bonheur prouve de sa capacité à anticiper le temps. Déconstruit des normes de son époque, avec ce récit, la pionnière du cinéma français Agnès Varda propose sa version de l’allégresse. Précédant Mai 68 et l’impact sur une révolution sexuelle déjà bien entamée, Le bonheur vient prôner une liberté hédoniste. Sans jamais apporter un jugement, l’adultère y est comme un bonheur qui s’ajoute au bonheur. Pourquoi se priver d’une joie intense quand elle se présente à nous ? Cela braverait les interdits, les mœurs, peut-être oui, mais Agnès Varda s’en fout. Pour elle, un nouveau bonheur se chérit et ne vient pas au détriment d’un autre. Aimer deux personnes ? Bien sûr. Et on y croit, en la possibilité de ce polyamour, aussi douce a été la fluidité de l’histoire d’amour dans l’histoire d’amour. Varda choisit cependant de laisser planer le doute quant aux conséquences de ce bonheur trouvé, ne pouvant pas être entièrement considéré comme une béatitude à tous ses concernés. Entre la campagne et la ville, Agnès Varda a positionné la caméra tel un témoin de la nature, de l’amour, derrière les arbres et les fleurs. Elle a haché l’image, capturé les endroits, les mots, les parties de corps. Le Bonheur s’apprécie tel qu’il est, un récit de 1965, hautement subversif et adulant de désir, de vie et de bonheur. 

L’Événement – Audrey Diwan (2021)
© Wild Bunch Distribution

Synopsis : En 1960, Anne, une étudiante brillante, tombe enceinte et voit ainsi s’éloigner la chance de terminer ses études et de se construire une belle carrière.

Alors que, historiquement, la France devient le premier pays du monde à inscrire l’IVG dans la constitution, L’événement se veut au service de la mémoire pour nous rappeler que ce droit fondamental n’en a pas toujours été un – pour nous mettre au pied du mur avec l’infime solitude d’une femme enceinte souhaitant avorter avant la loi veil – et – même après. D’autant plus touchant que le film d’Audrey Diwan est adapté du livre autobiographique de Annie Ernaux, la célèbre écrivaine qui confie sa vie d’abord à la littérature puis à Anamaria Vartolomei. La caméra d’Audrey Diwan se ballade librement en opposition avec la crainte qui rôde à cette époque. Le corps ne doit pas être entaché, le mot ne doit pas être prononcé, l’idée même ne doit pas être pensée. Tandis que les images sont celles d’une femme qui ne souhaite pas se restreindre, se soumettre à sa condition. Une condition ancestralement connue pour être celle d’un être soumit à son corps, à sa biologie, à sa capacité à enfanter. Comme si celui qui portait la vie devait subir le fardeau qui s’en suit pour avoir consommé les plaisirs du corps. Dans L’événement, le corps a été filmé comme un trésor brut et à la fois sensible. Le risque que prend Anne est immense, la douleur de l’avortement clandestin l’est plus encore, et ils doivent se vouloir comme d’amères rappels de ce que les femmes sont prêtes à risquer pour enlever ce qui n’est pas encore vie dans le but de faire vivre ce qui est réellement vie ; elles-mêmes.

« Pas un enfant au lieu d’une vie. »  

Nous vous offrons 10 codes UniversCiné vous permettant d’aller voir le film « L’Événement » de Audrey Diwan :

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Certaines Femmes – Kelly Reichardt (2016)
© LFR Films

Synopsis : Les destinées de quatre femmes qui tentent de trouver leur propre voie se croisent dans une petite ville du Montana.

Certaines femmes, quatre femmes. Les lignes de vie de ces dernières se sont croisées, à un moment ou à un autre, de près ou de loin. Alors, un segment de leur vécu, c’est tout ce que nous aurons, pour faire lien. Pas de montage extravagant, pas d’incompréhension dans l’incompréhension, tel un épisode anthologique le scénario nous dévoile suffisamment pour ouvrir la plaie. Pas de combat universel, ici, être une femme en est déjà un, mais la solitude de la vie l’est tout autant. Mais alors quelle est la fonction réparatrice à la solitude ? Une liaison, une nouvelle maison, une rencontre ? Pas vraiment, la prétention d’une réponse n’y est pas amorcée. Ces quatre personnes affrontent leurs propres combats, pour arriver à leurs propres achèvements. Kelly Reichardt nous propose cette œuvre, comme il n’y en a pas deux, et où chaque histoire est une histoire qui en vaut la peine. Tout en émotion, ces certaines femmes arrivent à nous troubler rien qu’avec la force de la présence. Une pensée toute particulière pour Lily Gladstone, émouvante au possible dans son rôle d’âme isolée à la recherche de tendresse.

Papicha – Mounia Meddour (2019)
© Jour2Fête

Synopsis : Alger, années 90. Nedjma, 18 ans, étudiante habitant la cité universitaire, rêve de devenir styliste.

La liberté et la passion font rage dans Papicha. La jeune Nedjma (brillante Lyna Khoudri) doit faire face à une Algérie des années 90 qui entre dans sa décennie noire. La situation du pays ne cesse de se dégrader au rythme du désir grandissant de Nedjma de faire vivre son art. Son art, ses créations de mode qu’elle collectionne sous forme de croquis doivent prendre vie, elles prendront vie. Au risque de leur vie, les papichas se battront pour un bout de peau, un bout de leur liberté. Mounia Meddour offre le rôle d’une vie à Lyna Khoudri, un rôle pétillant qui ne perdra pas sa fougue sous la menace de l’opresseur. Le tissu sur elle s’est certes, assombri, et son visage aussi, mais la fougue elle ne partira pas de l’esprit du passioné, la liberté vaincra.


Ne les oublions pas ; Falcon Lake, Un beau matin, Mustang, Divines, Portrait d’une jeune fille en feu, Les filles d’olfa, Little Women, Past Lives, Aftersun, Booksmart, The Virgin Suicides, Simple comme Sylvain, The Holiday, Saint Omer, Je verrai toujours vos visages, Mon roi, Les Amandiers, Creatura, La Fracture, Annie Colère, Le Ravissement, Les filles du soleil, Ama Gloria, Atlantic Bar, Shiva Baby, Petite Maman, Matrix, Beach Rats, Les amour d’Anais, Un monde, Antoinette dans les Cévennes, Plus que jamais, Entre les vagues, Une jeune fille qui va bien, Une femme du monde, A song sung blue, La fête est finie, Soy libre……….

Charlotte Trivès
Charlotte Trivès
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