Rencontre avec Laura Wandel

Le 19 avril dernier, Charlotte, membre du Club Lumière, a eu la chance de rencontrer la réalisatrice belge Laura Wandel dans le cadre du Prix Cinéma des étudiants et le Coup de cœur des jeunes ACID. Temps d’échange animé par Henri Leblanc durant lequel Charlotte a pu poser les quelques questions que Jérémy avait à poser à la réalisatrice suite à son article sur le film « Un Monde ».


« Un monde » est de ces films qui marquent la rétine et ne quittent pas vos pensées un seul instant. Son intemporalité y joue forcément pour quelque chose puisque son thème, le harcèlement scolaire, est lui-même intemporel et il continuera malheureusement de l’être. Sous différentes formes, par différents moyens, mais il sera toujours un problème auquel on devra se confronter et pour lequel il faudra tenter de trouver des solutions. Laura Wandel a déjà posé la première pierre avec son film afin de libérer la parole et mettre en image une réalité à laquelle sont confrontés de nombreux enfants de nos jours dans le milieu scolaire.

Alors que la plupart des long-métrages évoquant ce lourd sujet de société est souvent traité du point de vue de parents désarmés face à une telle situation, Laura Wandel a choisi de nous plonger à travers le regard des écoliers pour plus de réalisme. Mais diriger des enfants manquants d’expérience sur un tournage est toujours compliqué, surtout lorsque l’on réalise son premier film. Et cette notion, Laura Wandel l’a parfaitement intégrée et c’est dans une démarche toujours consciencieuse qu’elle voulait « essayer de trouver la meilleure méthode pour faire jouer ces enfants ». Elle a trouvé la perle rare en la personne de l’orthopédagogue Perrine Bigot, qui avait déjà travaillé avec une enfant de 4 ans sur un tournage (Drôle de Père, film de Amélie van Elmbt sorti en 2017). Fruit de plusieurs rencontres (sans cesse filmées) en amont du tournage, la méthode a non seulement permis aux jeunes enfants de s’habituer à la caméra, au point d’en faire abstraction, mais aussi de leur permettre d’être clairement partie prenante dans l’élaboration des dialogues, du scénario et du film en lui-même. Comme l’explique très bien Laura Wandel le procédé était relativement simple puisque bien rodé : « On leur a tout d’abord demandé de construire une marionnette de leur personnage pour qu’ils fassent bien la distinction entre eux et le personnage. Il fallait bien qu’ils comprennent que ce n’était pas eux qui jouaient, qu’ils devaient incarner un personnage. »

L’échange était le maître-mot pour Laura Wandel car ce sont eux, les enfants, qui sont confrontés au quotidien à des actes découlant du harcèlement scolaire. L’approche d’un adulte est beaucoup trop distante contrairement à celle d’un enfant. Les plans serrés sont d’ailleurs là pour le montrer et pour accentuer non seulement la démarche entreprise par la réalisatrice mais aussi pour nous immerger au plus près de la réalité vécue par Nora (Maya Vanderbeque) et Abel (Günter Duret). Une véritable plongée suffocante traitant du quotidien d’une cour de récréation.

Cette volonté d’échange propre à la réalisatrice a permis au deux interprètes principaux (et aussi aux autres enfants présents dans le film) d’apporter leurs expériences malheureuses vécues à l’école et d’être ainsi une très grosse source d’informations pour Laura Wandel. Toujours en suivant la méthode mise en place avec l’orthopédagogue Perrine Bigot, la réalisatrice précise : « On demandait aux enfants d’improviser, de commencer à proposer des dialogues. Et évidemment, parfois ils proposaient des dialogues bien plus intéressants que ce que j’avais écrit. On leur expliquait le tout début d’une scène et on leur demandait ‘à votre avis, qu’est-ce qui pourrait se passer après ? Comment ça pourrait se passer ? Qu’est-ce que votre personnage pourrait dire ? Qu’est-ce qu’il pourrait faire ?‘. Donc ça nous a permis de discuter de pleins de choses, de leur rapport à la violence à l’école, ce qu’ils avaient éventuellement pu vivre. On se nourrissait énormément l’un l’autre. »

Se voulant porte-étendard d’un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur, la réalisatrice avait une volonté claire « donner la parole à ces enfants » victimes ou témoins d’harcèlement scolaire. Mais cela ne devait pas se faire au détriment de la santé des enfants/acteurs. En véritable mère protectrice, Laura Wandel souhaitait ardemment « ne pas prendre des enfants » dont elle sentait « que le harcèlement scolaire était un sujet trop proche d’eux » au risque « d’être dangereux pour eux ». Victime de harcèlement, Maya Vanderbeque jouera donc le rôle du témoin des sévices subi par son frère. Et de son côté, témoin d’actes de harcèlement au cours de son parcours scolaire, Günter Duret aura le rôle de la personne harcelée puis de l’harceleur.

Cependant, gérer un tournage avec des acteurs ou des actrices expérimenté(e)s est à des années-lumière de ce que cela peut représenter avec des enfants n’ayant jamais joué et n’ayant pas forcément tous les outils en main pour pouvoir faire face à tout ce que la gestion d’un long-métrage implique. C’est pourquoi Laura Wandel et Perrine Bigot ont su faire preuve d’adaptabilité dans leur procédé : « On demandait aux enfants de dessiner la scène. Une étape faite pour toutes les scènes du film. Ce moyen mnémotechnique permettait au moment du tournage que les enfants se rappellent tout ce que l’on avait travaillé en amont. Et ça permettait au tournage de continuer à chercher des choses car c’est très important de leur laisser une certaine liberté et dans un certain sens, leur donner aussi la parole. »

La réussite du film « Un monde » n’est pas étrangère à la méthode employée par Laura Wandel et l’orthopédagogue Perrine Bigot. En ayant su mettre ces enfants en confiance, en les écoutant, en étant ouverte au dialogue, la réalisatrice a su tirer le meilleur de Maya et Günter (et de leur vécu) et obtenir une telle vérité dans leur prestation que nous avons l’impression d’être face à un documentaire brutal sur la réalité micro-sociétale que représente celle de l’école primaire. Une vérité aussi dans le propos puisque celui-ci était empreint de la volonté et de l’engagement de ces jeunes acteurs à vouloir faire partager leur expérience vécue : « Maya (Vanderbeque), ce qu’elle avait envie de défendre énormément c’était de dire aux adultes ‘essayez de vous mettre à notre hauteur, de vous mettre à notre place’ ». Une démarche parfaitement comprise, parfaitement exprimée par Laura Wandel car son long-métrage sera toujours filmé à hauteur d’enfant : « Ils ont tous senti que j’avais envie de leur donner dans un certain sens la parole, pour qu’ils puissent s’exprimer par rapport au fait de société que représente le harcèlement scolaire. »


Avec « Un Monde », Laura Wandel signe un véritable film coup de poing qui éveillera les consciences et ouvrira au dialogue. Ayant trouvé un terrain qui lui parle, qu’elle aime évoquer, la réalisatrice s’attèle déjà à son prochain long-métrage concernant un univers non moins suffocant, un nouvel espace clos : le milieu hospitalier. On a déjà hâte de pouvoir le visionner.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de la rencontre réalisée par vidéo-conférence juste ici.

Jérémy Denis
Jérémy Denis
Publications: 15