Everything Everywhere All at Once, entre frénésie et platitude


Everything Everywhere All at Once est un film réalisé par Daniel Kwan et Daniel Scheinert avec Michelle Yeoh, Ke Huy Quan et Jamie Lee Curtis, sorti en France le 31 août 2022

Synopsis : Une immigrante chinoise vieillissante gère avec son mari une petite laverie aux Etats-Unis, jusqu’au jour où elle est contrainte de sauver ce qui le plus cher à ses yeux en se connectant à différentes versions d’elle dans le multivers.


Six années après leur dernier (et premier) long-métrage, les « Daniels » débarquent en Europe avec un nouveau film au succès inattendu et extraordinaire aux USA. Un bouche-à-oreille dément aura élevé la petite production A24 programmée pour quelques salles à un raz-de-marée national, devenant le premier film de la boîte de production à ramasser 100 millions de dollars sur le territoire américain, et bénéficiant en prime d’un succès critique alarmant. Cela est-il vraiment dû à la qualité intrinsèque du film ou bien à quelque chose de moins glorieux ?

Everything Everywhere All at Once commence à deux mille à l’heure, les seuls enjeux des 20 premières minutes sont l’avenir de la laverie des Wang, et pourtant on est déjà essoufflé, en proie à la peur de devoir continuer l’expérience pendant deux autres heures. Puis sonne à la porte le multivers, ce concept rapidement énervant popularisé par les grands artistes de chez Marvel, et le film explose en inventivité autant qu’il dégonfle en substance.

Une version de Michelle Yeoh par réalisateur et tout le monde sera content

En fait, Everything Everywhere est un film profondément vain. Difficile de ne pas voir dans la démarche artistique une sorte de contre-attaque culturelle envers les multivers déjà explorés autre part (on parle évidemment surtout de la souris aux grandes oreilles), et si on trouve ici plus de liberté créatrice, on en revient malheureusement aux mêmes problèmes de construction dramatique. Ce film est un gigantesque fourre-tout visuel, mais aussi scénaristique, et il fait peut-être le mauvais choix d’essayer de rattacher toutes ses brèches à un point de suture émotionnel qui empêche en fin de séance de déceler un propos aussi coloré et vivifiant que les images du film nous promettent. Car la grande maladresse de ce long-métrage est de jouer, comme son « homologue » marvelien, sur plusieurs tableaux : celui du simple fun décomplexé et humoristique, et celui de la leçon profonde, quasi-philosophique d’un coming of age. Pourtant, et c’est là qu’un petit goût amer se fait sentir, le film est drôle. Soucieux de préserver une certaine cohérence dans leur loufoquerie, les Daniels ont décidé de faire pleuvoir les fusils de Tchekov humoristiques, et de ce fait parviennent à entretenir pendant 2h20 un aspect comique franchement réussi en jouant sur les running gags et les possibilités offertes par l’univers de leur film. Difficile en effet de retenir un rictus devant un monde où nos doigts ne sont que saucisses, un Ratatouille déviant sous la forme d’un raton-laveur animatronique, ou encore un dialogue de rochers filmé on-ne-peut-plus sérieusement, et là où chez l’exemple dont je ne citerai pas le nom l’idée est de désamorcer les dilemmes sérieux par des blagues à deux balles, dans ce film c’est plutôt l’inverse qui se fait ressentir, tout le potentiel de comédie jusqu’au-boutiste est réduit à un prétexte rapide par la volonté des deux réalisateurs de faire une œuvre touchante, mais le tir n’atteint pas sa cible justement à cause de ces gigantesques détours virevoltants auxquels on nous demanderait alors de ne plus trop s’attacher.

« Surtout ne rit pas »

Certes, le film est d’une inventivité folle, et visuellement il est à la fois raffiné et outrancier, le duo de réalisateurs s’amuse à exploiter tous les raccords plastiques possibles et imaginables, usant assez intelligemment des effets spéciaux pour donner au tout une précision technique impressionnante (si quelqu’un met la main sur le scénario je suis preneur), remettant même souvent en question la notion de plan, en le fracturant, dilatant, ou raccourcissant comme un flash, et ils vont même jusqu’à pondre un changement de ratio de cadre toutes les 10 minutes (c’est d’ailleurs peut-être un peu trop). Les amateurs de cinéma asiatique pourront trouver un peu leur bonheur devant certaines scènes d’action très référencées mais utilisant (pour une fois) efficacement le montage et les artifices de mise en scène pour donner un certain dynamisme plaisant, à noter une présence très convaincante de Ke Huy Quan, qu’on a cru ne jamais revoir depuis qu’il a fait Les Goonies et Indiana Jones 2 quand il avait 12 ans.

Mais encore une fois quelque chose fait tâche, l’engouement se dissipe vite. Il est plus ou moins inévitable quand on traite quelque chose d’extrêmement vaste de ne pas réussir à traiter son entièreté, déception de plus de voir alors un univers en dessin animé présent 5 petites secondes, ou bien de ne voir pas grand-chose de plus dans « notre univers » que les bureaux des impôts (comme terrain de jeu on a vu mieux). On ne peut pas traiter l’entièreté, alors on va à l’essence, et quoi de plus grossier que d’utiliser l’excuse du multivers, représentation même de l’infini, pour apprendre aux petits personnages quel est leur but dans l’existence, par la phrase monstrueusement inutile « Nothing matters » mais également par un final d’une inconséquence morale absolue, on se retrouve à ce moment-là devant un film ne sachant pas quoi dire de son concept, et ce faisant le réduisant presque à néant, à un vague divertissement.

Le bidon de Jamie Lee Curtis

Les scènes de combat deviennent alors malheureusement des échantillons innocents de la perte d’identité du film. Beaucoup (beaucoup) de citations visuelles viennent agrémenter tout ça et font qu’Everything tombe en plus dans le piège d' »amour par référence », citer des œuvres appréciées par plus ou moins tout le monde pour s’approprier leur gloire (salut Matrix, In The Mood For Love, Jackie Chan…). Le film est frénétique, défile à une vitesse folle devant nos yeux mais oublie entre-temps de parler à ses spectateurs. Le montage est rapide, vif, mais jamais le film n’arrive à piquer, à trouver la ligne de dialogue ou le raccord déstabilisant qui ferait sourire de malice. Et c’est cette carence précise qui nous laisse tout le temps de se poser des questions sur l’intérêt du film (qui fond avec le temps) ainsi que sur ses personnages, à savoir une famille chinoise finalement très stéréotypée, dotée d’une fabuleuse fille lesbienne et enrobée (et immigrée du coup). J’aurais pas pensé à un tel cliché comme convecteur d’émotion.

Mais alors, comment expliquer ce succès fou ? Cet engouement chez les critiques et ce soi-disant « vent de fraîcheur » qu’il apporte ? La réponse est sans doute aussi simple que déprimante : quand on a bouffé du Marvel et du divertissement moyen à bas de gamme toute l’année, le premier film un tantinet expérimental qui passe par là devient « chef-d’œuvral », n’oublions pas que ledit engouement vient surtout de nos amis outre-Atlantique, et cela ne va pas pour améliorer mon opinion sur ce peuple. Une fois de plus la sphère culturelle se nivelle elle-même par le bas, mange de ce qu’on lui apporte, et ne va pas chercher bien plus loin : au royaume des aveugles, le borgne est roi.


En fait, je n’avais jamais vu un film autant s’appliquer à ne rien dire. Les Daniels ont eu une très bonne idée, puis ont cru bon de vouloir rendre leur œuvre universelle, et c’est là qu’ils se sont plantés. Everything Everywhere aurait certainement dû être une simple comédie burlesque, elle aurait dû aller plus loin dans le bordel qu’elle a ouvert et de ce fait être moins accessible, mais sûrement plus jouissive. Le film reste finalement trop poli pour ses aspirations et donc déçoit par son vide scénaristique qui ne peut pas donner sens au chaos visuel. Daniel Scheinert et Daniel Kwan ont réussi un sacré coup de poker commercial, et ont comme bien souvent dans ce cas-là fait un film facile à l’ambition mal dirigée. Difficile de prédire un succès au box-office français tant le film a bénéficié d’une si petite promotion ici (au contraire d’un titre exorbitant), mais je ne me priverai tout de même pas de dire qu’Everything Everywhere All at Once est sans doute le film le plus surcoté de l’année.


La Note

5/10

Note : 5 sur 10.
Samuel Dumas
Samuel Dumas
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