“Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière.” Mona Chollet, Sorcières la puissance invaincue des femmes.
Le nez crochu, des verrues, des incantations et des potions… la sorcière a toujours fasciné et le cinéma l’a de nombreuse fois mise en scène. De la vieille acariâtre reine de Blanche Neige à la courageuse et vaillante Hermione, sa représentation a beaucoup évolué dans le cinéma comme dans l’histoire. Elle a longtemps fait pleurer les enfants et déchainé la furie des hommes. Mise de côté, dénigrée, brulée, crainte, elle est l’objet de toutes les peurs mais la source également de beaucoup de fantasmes.
Mais la peur de la sorcière ne viendrait-elle pas simplement de la peur de féminin, dans sa puissance et de sa marginalité ?
Car en effet elle apparait comme sont forte, indépendante, célibataire, parfois âgée et sans enfants, sortant de la beauté traditionnelle et des dictats imposés par les sociétés patriarcales.
Dans ses débuts, le cinéma a principalement filmé la sorcière comme figure principale de peur et d’angoisse. Véritable cliché de sorcière de contes, elle est alors enlaidie et montrée comme monstrueuse : vieillie, ridée, nez crochu, malfaisante et surtout montrée en opposition avec la jeune première, jolie et naïve. Le classique Magicien d’Oz en est le premier exemple mais la version de Blanche Neige ou de La Belle au Bois Dormant de Disney n’a vraiment pas aidé à revaloriser son image.
Dans les années 60, la sorcière est domestiquée. Elle a un mari, une famille, est une femme au foyer, recherche l’amour et la validation. Son physique change du tout au tout, elle devient mignonne, bien coiffée et apprêtée, toujours à la pointe de la mode. Son bonheur ne peut être que lié bien être de sa famille et de son mari. Bref, le patriarcat a fait son ouvrage ! Pour donner des exemples, il me vient en tête Sam dans la série Ma sorcière bien aimée, Gil dans L’adorable voisine ou encore Morticia de La Famille Adams.
Aujourd’hui le cinéma apparait très riche au niveau des représentations et a cessé de véhiculer une image unique. Fini le vieux chapeau noir et le balai, aujourd’hui elles sont sexy, vont à l’école et se battent avec des sorciers, font peur, font rire, sont parfois malfaisantes. Elles sont le fantasme de toute une génération, certain.e.s rêvant de se marier avec Emma Watson ou mieux de devenir Emma Watson.
Pour mon premier article sur ce blog, j’avais envie de conseiller deux films qui traitent de la figure de la sorcière. Deux styles, deux réalisateurs et deux visions différentes se complétant plutôt bien.
Suspiria – Dario Argento (1977)
Je n’aborderai pas ici la version critiquable et récente de Luca Guadagnino, simplement car j’ai beaucoup de griefs à son sujet malgré un traitement intéressant de l’occulte. En effet il développe une approche centrée sur la puissance de la magie et de la femme, ce qui diffère de la version d’Argento plutôt centré sur le monstrueux.
Le Suspiria de 77 tend vers le fantastique et le giallo, genre qui fit son apparition en Italie entre les années 60 et 70 et qui mêle meurtre, sexualité, fantasme, thriller, film policier et fantastique. Il est principalement reconnu pour ses couleurs particulières, avec une forte utilisation du rouge, du bleu et du jaune. Les scènes sont souvent outrancières et baroques voir extrêmement kitsch. Si vous souhaitez en connaitre d’avantage je vous renvoie vers la filmographie de Dario Argento mais également de Fulci et de Mario Bava.
Suspiria donc est un film extrêmement culte que tout cinéphile fana de genre se doit d’avoir vu. Il est le premier volet de la Trilogie des trois mères, précédant Inferno et La Troisième Mère. Cette trilogie est entièrement consacrée au mythe de la sorcière.
Suspiria raconte l’histoire d’une jeune danseuse faisant ses débuts dans une école de ballet allemande pleine de secrets. Vu le thème de la chronique ce n’est pas un spoiler que de révéler que les fondatrices et les professeurs se livrent à la magie noire. La sorcière est ici abordée sous l’angle du macabre et du monstrueux. Elles sont de véritables méchantes de contes de fées, puissantes mais diaboliques. Les jeunes danseuses sont filmées tel des enfants voulant percer les mystères et cette école et en comprendre les enjeux. La bâtisse de l’école, à l’architecture étonnante rappelant l’art nouveau, est en soi un personnage à part entière. Véritable château des histoires de notre enfance, elle est source de terreur mais surtout d’émerveillement, pour le spectateur comme pour les jeunes danseuses.
Dario Argento utilise le baroque et le fantastique afin de souligner l’étrangeté du lieu et des évènements. Il est aidé par Goblin et sa musique qui est certes magnifique mais très inquiétante. Argento déclare d’ailleurs « avoir essayé avec Suspiria de mélanger l’univers des contes de Walt Disney et de Grimm avec la violence de L’Exorciste ». Pour la photographie, Luciano Tovoli accentue les couleurs primaires reconnaissables du Giallo et livre un travail digne de peintures, ce qui accentue l’aspect fantastique et hypnotique du film. Il s’inspire également du cinéma expressionniste allemand dans son utilisation du symbolisme.
The Witch – Robert Eggers (2015)
The Witch diffère radicalement du précédent dans son approche comme dans son esthétique. Il apparaît comme plus ancré dans la réalité, plus froid et s’attarde vraiment sur la représentation folklorique de la sorcière.
The Witch est le premier film du prodige du cinéma d’horreur Robert Eggers (The Northman, The Lighthouse) qui ne cesse depuis de prouver son talent. Il nous donne à voir une famille puritaine du XV siècle (et encore le mot est faible, à coté la famille Le Quesnois sont des athées) chassée de leur communauté et n’ayant d’autre choix que de s’isoler à l’orée d’une forêt. Ils vont peu à peu se retrouver confrontés à des phénomènes étranges et perdre pied.
La force de The Witch est qu’il ne s’agit pas d’une œuvre qui fait forcément peur, mais d’une œuvre sur la peur elle même. La peur qui va gangrener toute une famille et les pousser à se détruire les uns les autres. La véritable menace n’est pas la sorcière qui rode mais le fanatisme des personnages. Fanatisme qui va pousser les personnages à retourner la violence envers l’ainée incarnée par Anya Taylor Joy jeune fille au caractère bien trempé, et l’accuser de tous les maux. Puisqu’elle est belle et désirable, elle ne peut que s’accoupler avec le diable. Il n’est pas innocent que The Witch soit porté par un personnage féminin fort et à l’aube de son entrée dans l’adolescence, époque charnière ou le corps change et peut apparaitre comme monstrueux ou sexualisé. Le féminin monstrueux est d’ailleurs une thématique importante du cinéma d’horreur, mis en lumière par ce qu’on appelle le “Coming Of Age”, sous genre qui traite du passage de l’enfance à l’âge adulte et de la perte d’une certaine innocence ainsi que la valorisation de sa personnalité propre. A l’image d’une Carrie, Thomasin remet en questions les dictats imposés, se voit sexualisée par l’apparition de ses règles et doit affronter le regard de son entourage bigot.
Le film met donc en lumière la sorcière « femme marginale » souhaitant s’émanciper de la religion et du patriarcat, ici très bien représenté par le personnage du père. Plutôt que de strictement condamner des actes de sorcellerie Eggers en expose d’abord les aspects inquiétants avant de se réjouir et d’exalter de sa puissance dans la conclusion. La magie noire apparaît comme la création d’une oppression, que ce soit via le folklore ou les représentations religieuses extrêmes de la famille. Afin de se documenter et de fournir une représentation historique fidèle Robert Eggers a accompli un travail de recherche minutieux via des textes d’époques tel que Malleus Maleficarum, une référence dans la lutte contre la sorcellerie.
« La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations, elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie » Mona Chollet.