Le Ciel Rouge est un film réalisé par Christian Petzold avec Thomas Schubert, Langston Uibel et Paula Beer, sorti le 6 septembre 2023 en France
Synopsis : Les deux jeunes amis artistes Leon et Felix se rendent pour l’été dans une maison de vacances idyllique. Seulement, quand ils reçoivent des invités de la maison, le caractère de chacun des jeunes adultes va s’exacerber, en parallèle de la menace lointaine d’un feu de forêt qui devient plus concrète qu’ils ne le pensaient.
La rentrée est derrière nous, l’été avec son soleil chaud et ses corps dénudés va l’être aussi. Pour respirer une dernière fois l’air de la mer, laissez-moi vous emmener… en Allemagne. Vous pensiez que les teutons dans leurs usines Volkswagen ne connaissaient pas les joies des plages brûlantes pendant le summer break ? Christian Petzold (réalisateur d’Ondine et Phoenix) nous prouve le contraire, et nous emmène voir qu’au littoral de la mer Baltique (encore plus au Nord que Londres), il fait tout aussi beau qu’à Nice.
Fable estivale calorifère et amoureuse, le nouveau long-métrage de herr Petzold appelé Le Ciel Rouge fait tout autant du bien que du mal. Il nous rappelle que d’innombrables films ont déjà étudié, retourné, malmené sa question du jour en long en large et en travers, mais il n’a pas peur d’apporter sa touche, fort bienvenue, qui dissémine un zeste d’intérêt dans son œuvre et en fait un peu plus qu’un fantasme mielleux d’auteur inconnu. Prenez votre pelle et votre maillot de la Mannschaft.
La séquence d’ouverture du film est assez fascinante. D’abord elle prend l’air d’une introduction classique de film de vacances : deux potes sur une route perdue, un moteur qui les lâche et une escapade improvisée en forêt pour rejoindre leur villa d’été. Sur le papier, rien d’affolant. Pourtant deux éléments qu’on a déjà vu vecteurs de comédie sont sous-entendus, Leon (l’écrivain) ne respire pas la joie de vivre, et Felix (le photographe) ne respire pas l’hétérosexualité. Mais plutôt que de présenter ça sur un ton léger et détendu, Christian Petzold filme ça très sérieusement, presque gravement. Le la est donné, notre film de fin d’été a donc décidé de faire fi de la légèreté au profit d’une amertume, presque mélancolique.
Quand nos deux compères rencontrent Nadja (leur hôte) pour la première fois, là encore des codes connus sont employés. Leon regarde, hypnotisé, la silhouette féminine en robe rougeoyante qui symbolise, évidemment, le désir, mais qui rappelle aussi le « rouge » du titre, sur lequel nous reviendrons plus tard. On nous laisse peu de doute sur ce que ressent l’écrivain à ce moment, mais on continue de nous le mettre, ce doute, quant aux préférences de Felix au vu de son indifférence flagrante. L’histoire va bien sûr nous conter la rencontre, la collision des désirs amoureux, la réussite des uns, l’échec des autres, mais au milieu de tout cela Leon n’est pas un protagoniste comme les autres.
En effet, et c’est là que le métrage trouve vraiment sa voie : le personnage principal duquel on épouse (dans les grandes lignes) le regard n’est pas fait pour être appréciable. Renfermé et imbus de sa personne, il rate (ou refuse) chaque occasion de faire un pas en avant, et quand il décide à de rares occasions de se faire violence, ce n’est ensuite que pour reculer plus loin qu’avant, par manque de confiance en soi qui se manifeste chez lui sous forme plutôt violente et colérique. Notre personnage caractériel est à peu près aux antipodes de l’atmosphère voulue pour une histoire d’amourettes d’été. Pourtant d’autres personnages sont là, eux, pour profiter du moment et agir comme de vrais personnages de film de grandes vacances. Flirts ouverts, plage ensoleillée, soirée caliente… bref, des flâneries habituelles ont lieu sous les yeux de Leon. Mais les personnages qui en jouissent sont secondaires et notre protagoniste, lui, n’y participe presque jamais, ça finit par énerver. Le réalisateur crée ici une distanciation entre le spectateur et le récit. On voit le film à travers les yeux de Leon, qui lui aussi n’est que spectateur des événements. Passif jusqu’à l’absurdité, rien ne lui arrive s’il ne bouge pas son derrière, car aucun personnage n’est là pour lui tendre la main et l’emmener dans le récit, en tant qu’agent moteur. On se retrouve face à des situations frustrantes où le personnage qu’on est obligé de coller aux basques ne fait rien pour se faire aimer, et alors le spectateur ne fait pas exception. La sensation de gâcher des moments nous envahit, Petzold est parvenu à faire l’analogie entre une émotion de cinéma, du spectateur vis-à-vis de ce qui lui est montré, et de l’état d’esprit du protagoniste, qui devient un facteur d’identification d’autant plus efficace (pas nécessairement plaisant).
Il faut ajouter à cela quelque chose d’audacieux et de surprenant : Leon n’est même pas un génie de la littérature. On pourrait croire qu’à passer ses journées devant son ordi à taper des lignes et des lignes (auxquelles il semble ne jamais pouvoir mettre un terme), la contrepartie du manque d’expérience humaine pourrait être une œuvre brillante qui ne pouvait voir le jour que par de pénibles refus de vivre, mais il n’en est rien. Non seulement notre « héros » gâche ses vacances pour son livre, mais l’inverse marche également.
À l’image du tatouage au torse de Leon, que la caméra semble obstinée à filmer mais qui ne dépasse jamais trop de la chemise renfermée, le personnage ne se montre jamais vraiment dans son entièreté, ce qui conduit à une situation maladroite après l’autre et à un livre peu convaincant. En extrapolant un peu on pourrait dire que les possibilités graphiques (artistiques) dont nous prive physiquement et extradiégétiquement la chemise de Leon est comparable à ses privations empiriques pour nourrir son roman. La frustration filmée est à double tranchant, puisqu’elle attire autant qu’elle dégoûte.
Puis vient le dernier acte, dans lequel les envies du metteur en scène trouvent leur apogée en exposant peut-être leurs faiblesses. Si les rouages très convenus du film étaient excusés par le ton délicatement étrange de son ambiance, la fin du Ciel Rouge s’embrase d’une façon pas forcément idéale. Sans trop rentrer dans les détails, un feu de forêt dans les environs surveillé de loin par les personnages se fait plus menaçant et va mettre en danger la vie de certains. Toute la partie finale rentre alors dans un mécanisme éloigné de toute l’audace du reste du long-métrage : le deuil, l’acceptation, la résilience, et des retrouvailles féériques en épilogue. Dans cette tonalité passée complètement du côté doux-amer, on se retrouve alors bizarrement satisfait, la disparition de certains éléments entraîne le rapprochement d’autres, et au final difficile de ne pas trouver un peu dérangeant cette façon si abrupte de conclure le film.
À l’instar de Showing Up de Kelly Reichardt, sorti plus tôt cette année, le film de Petzold s’intéresse au petit artiste, celui qui n’a pas encore fait éclaté son talent au public, et qui vit modestement (tristement ?) dans l’attente d’une étincelle. Notre cinéaste intègre cette idée à l’intérieur d’un film de vacances structuré comme un drame psychologique, et en fait une œuvre qui transcende ses clichés par la mise à distance audacieuse à travers le personnage de Leon. Si tout n’est pas parfait, c’est que la démarche originale avait besoin d’expérimenter pour trouver. Et en tant que trouvaille, Le Ciel Rouge est un beau film réflexif.
La note
7/10