Le Jeune Imam est un film réalisé par Kim Chapiron avec Abdullah Sissoko, Hady Berthe et Moussa Cissé, sorti en France le 26 avril 2023
Synopsis : À 14 ans, Ali est envoyé par sa mère au Mali pour y finir son éducation et apprendre les voies du Coran. 10 ans plus tard il retourne en France et devient l’imam de la cité. Très vite, son talent et son succès vont le pousser à entreprendre des projets de taille pour ses fidèles.
Mais où était passé Kim Chapiron ? Le Cinéma était sans nouvelle de lui depuis 2014 (il a essayé une série télé et un clip pour PNL entre-temps) et surveillait du coin de l’œil son retour. Le réalisateur de Sheitan (titre amusant aujourd’hui) a décidé de renouer avec le grand écran cette année en marchant sur des œufs avec une fable osée qui fait voguer son prêche entre Moyen-Orient, sub-Sahara et banlieue parisienne. La démarche n’est pas sans risques, étant donné que faire un énième film parlant de la vie de quartier et de la religion musulmane de nos jours attire autant le public que ses injures (de même qu’en parler…). “Le but n’est pas de faire un film clivant” sont les paroles du réalisateur. Autant dire que la volonté est quasiment impossible à atteindre puisque s’emparer d’un tel sujet pour en faire tout un long-métrage signifie offrir un point de vue développé sur 1h30 d’une source (même involontaire) de débats.
Avec trois œuvres aussi diverses que les précédents essais de l’auteur (un film d’horreur absurde, un drame pénitentiaire et une comédie étudiante), il est difficile de poser un regard global sur le monsieur et de déceler une identité forte se dégageant d’une filmographie cohérente. Les thématiques peuvent être vaguement liées, mais l’exécution tient toujours sur le fil d’une forme de “première fois”. L’exécution, c’est bien ici que les problèmes vont se poser, car à l’évidence les intentions du cinéaste ne sont pas détestables, elles sont plutôt louables, on y décèle de la sincérité. On sent une volonté de la part de Chapiron de revenir vers une forme d’origine, celle de la foi, mais aussi celle de la basse polémique, en inscrivant son protagoniste dans un climat social réaliste. À l’instar d’Athena (dont j’avais fait l’éloge dans un précédent article), Le Jeune Imam ne s’embête pas à chercher d’où viennent les tensions, il souhaite simplement témoigner d’une nécessité d’émancipation : voilà d’où je viens, comment je me construis en tant qu’être au sein d’une société quand je suis mis quotidiennement face à ses travers ? Cette nécessité-là, Chapiron le sait bien, n’est cependant pas perçue par tous, du moins pas de la même manière, le but est donc de confronter les directions prises par les personnages, au-delà de leur valeur morale.
Là vient s’apposer un obstacle : le film est inspiré d’une histoire vraie. Ce qui me pose souci dans chaque œuvre affublé de ce genre de carton, c’est qu’en construisant un récit dramatique informant le spectateur de la “véracité” de ce qu’il nous montre, on majore l’implication dans l’histoire par excuse extérieure, ce qui est à mon sens bien moins passionnant que parvenir à susciter l’émotion en créant des personnages de toute pièce. Dans Le Jeune Imam, ce facteur vient en profonde contradiction avec le principe narratif très artificiel du flashback, et révèle dans le même temps les nombreuses maladresses de mise en forme du film.
Loin d’essayer d’envelopper son métrage dans une neutralité blafarde, Kim Chapiron tente de coller entièrement aux intentions pures et sans secrets de son protagoniste, et de dresser un message “non clivant” identique à celui du jeune imam du titre, Ali. “Ce n’est pas la vie qui est au service de la religion, mais la religion qui est au service de la vie”, un des nombreux bons mots distribués de part et d’autres par Ali dans lequel transparaît l’envie d’apaiser les mœurs. En détournant son personnage de toute forme de radicalité, le réalisateur entend donc faire de même avec son bout de cinéma.
De cet éloignement du manichéisme résulte d’évidents avantages, comme celui mentionné plus haut, mais Le Jeune Imam fait également un traitement remarquablement maladroit de cette direction. Le premier tiers du film se concentre sur l’éducation complexe du petit garçon turbulent, vient ensuite le retour en France et une initiation timide de mauvais plan, puis arrive plus fortement la thématique religieuse, Ali est conduit à devenir l’imam du coin, s’ensuivent des problématiques liées à la population intra-mosquée, à l’influence des réseaux sociaux, après quoi quelques irruptions plus sociales, morales, spirituelles… On en perd le propos.
De quoi veut vraiment nous parler le film ? Son auteur a certainement une réponse, mais si le visionnage du long-métrage ne permet pas en lui-même de déchiffrer un intérêt discursif, à quoi bon ? Des accents sont portés à plusieurs reprises, des dilemmes audacieux et prenants sont évoqués, mais au regard de l’œuvre finale aucun n’est jamais exploité avec confiance et exhaustivité. Le film se perd alors peu à peu dans les méandres de ses propres velléités, et la valeur profonde qu’il a sûrement été question de ressortir reste caché sous la surface, une couche de glace trop solide, et donc un peu glissante…
Une affaire plus propre à la mise en scène vient qui plus est mettre en évidence ces complications d’écriture avec un style mal jaugé. La caméra colle systématiquement à ses sujets, en particulier son principal, ne s’éloigne que par souci de variété angulaire, et enferme par conséquent son propos dans la bulle qu’il se crée lui-même. À utiliser trop souvent une courte focale désireuse de prendre par les sentiments et emmener virevolter (guidé par le son d’un appel à la prière), le réalisateur bloque toute dialectique qui paraît pourtant nécessaire à la vue d’un parti pris si compliqué, et les oppositions plus pragmatiques sont réduites à des semi-hors-champs à peine diégétiques (un commissariat ? des visas ?).
Au milieu de nos interrogations, le film coupe brusquement alors que rien n’est résolu. Je ne parle pas seulement d’une conclusion narrative, mais aussi d’une conclusion thématique, réflexive. Là, tout s’arrête alors que des enjeux sont encore à manier et qu’un dernier acte synthétique pourrait réconcilier d’une façon ou d’une autre les furtifs mais denses sujets amenés sur la table. Chapiron a-t-il omis de de se faire confiance, a-t-il sciemment trahi le pacte avec le spectateur sans justification apparente ?
Finalement, ce qui est regrettable, c’est bien que les problématiques abordées auraient probablement abouti à de très bonnes œuvres entre les mains d’un cinéaste plus expérimenté, avec des thèmes peut-être plus marqués et déjà plus ancrés dans une filmographie solide. Le Jeune Imam ne fait que survoler un essentiel enfoui, révéler sporadiquement son intelligence morale, sans jamais faire du potentiel une œuvre de cinéma complète, la faute à un résultat trop court, trop indulgent, trop caduc.
Dans l’œuvre inaboutie se mêlent vertu de l’intention et échec de la mise en forme, étape pourtant cruciale dans la fabrication d’un film. Le Jeune Imam n’est pas la déchéance de ce qu’il restait du cinéma français, mais il rate le coche de toutes les cases alléchantes qu’il propose. Il est symptomatique d’une ère de cinéma dans laquelle les cinéastes les plus à succès et intéressants se dissocient progressivement d’une forme d’engagement social pour s’orienter vers une version stylisée de leur propos, non moins intéressante mais quelque part moins pure, et laissent du fait la place à des propositions brouillonnent, qui n’assouvissent que très faiblement un véritable besoin très important de parler du présent.
La note
5/10