Palm trees and power lines : le récit délicat d’une manipulation subtile

Palm trees and power lines est un film américain réalisé par Jamie Dack, sortie en 2022. Il a notamment été récompensé aux festivals internationaux de Deauville et Sundance.

Synopsis : Léa, dix-sept ans, musarde au cours d’une jour­née d’été apa­thique. Cette lan­gueur mono­tone est inter­rom­pue par la ren­contre for­tuite avec Tom, un gar­çon plus âgé au charme rava­geur, qui va per­mettre à la jeune fille d’échapper à sa vie d’adolescente frus­trée. Mais la pré­sence du gar­çon se fait de plus en plus sen­tir et finit par éloi­gner Léa des siens. Elle réa­lise alors que les inten­tions de Tom ne sont pas si innocentes.


Le 27 avril dernier, le cinéma d’art et essais parisien l’Arlequin et la plateforme UniversCiné, organisaient la projection exclusive d’un film très peu diffusé en France ; le Club Lumière a eu la chance d’être convié à cet évènement.

Palm trees and power lines, premier film de la réalisatrice et scénariste américaine Jamie Dack, primé au festival de Sundance en 2021, raconte l’histoire d’une adolescente en déshérence qui croise la route d’un homme de deux fois son âge et s’embarque avec lui dans une histoire bâtie sur le mensonge et l’illusion. 

Dans la lignée de Red Rocket (Sean Baker, 2022), le film de Jamie Dack nous plonge dans l’Amérique profonde pour découvrir cette histoire « d’amour » entre une jeune fille de 17 ans et un homme manipulateur de deux fois son ainé. Les similitudes entre les deux histoires sont nombreuses, et Sean Baker est d’ailleurs crédité au générique de fin par Jamie Dack, confirmant le lien entre les deux films. Toutefois, là où Red Rocket se focalisait sur le prédateur, en l’occurrence Mickey, une ancienne star du porno d’une trentaine d’années, et sur l’environnement qui va le pousser à commettre de tels actes, Palm trees and power lines décide d’adopter le point de vue inverse en se focalisant sur la proie, et ce qui la rend vulnérable.

Lea (interprétée par Lily Mclnerny), représente exactement ce qu’on imagine d’un adolescent en perte de repères. Dans cet endroit perdu en Amérique (peut-être en Floride, peut-être ailleurs) où les occupations ne se bousculent pas, Lea tente de tuer le temps en se plongeant dans le divertissement éphémère de TikTok, dans les « histoires de garçons » avec sa meilleure amie Amber (avec qui elle ne semble, d’ailleurs, rien partager d’important), et dans les sorties avec son groupe d’amis du lycée avec qui elle est en complet décalage. Ses journées sont longues, elle est comme anesthésiée, blasée par ce rythme de vie dont elle voudrait au fond s’échapper, mais qu’elle accepte, par fatalité. Elle se laisse faire, jusque dans ses relations sexuelles avec le garçon de son groupe d’amis qu’elle fréquente : elle accepte, c’est tout. 

Au-delà de ce groupe d’amis avec lequel elle se sent en décalage et qu’elle regarde parfois même avec mépris, son environnement familial est loin d’être sain. Sa mère, avec qui elle vit seule, tente de se remettre de sa dernière rupture en enchaînant les conquêtes dans la chambre voisine. Au foyer, c’est Lea qui représente un pilier pour sa mère dont la santé mentale et fragile, et non l’inverse. 

C’est avec cette vision détraquée des relations, et dans ce quotidien morose, que Lea va faire la rencontre de Tom (interprété par Jonathan Trucker), un homme d’une trentaine d’années qui va directement lui montrer un peu d’intérêt. Arrivé comme un sauveur alors qu’elle était prise au piège par le propriétaire d’un restaurant après une mauvaise blague, Tom va rapidement réussir à apprivoiser Lea et à instaurer un climat de confiance. Rapidement, une relation amoureuse débute, et Lea va de plus en plus se livrer à Tom, qui lui apporte tout ce dont elle avait besoin à ce moment de sa vie. Avec cette dépendance qui se créer, Lea se retrouve évidemment prise au piège.

C’est cette relation que le film va venir explorer, dans la douceur et la délicatesse d’un récit lent et tranquille. Pourtant, en tant que spectateur, on le sait très bien, dès la scène de la rencontre entre les deux protagonistes, que quelque chose ne va pas. Il y a une lueur dans le regard de cet homme et un climat malsain s’installe directement mais de manière très subtile. 

Le film m’a beaucoup fait penser à Aftersun, de Charlotte Wells, dont on a beaucoup entendu parler récemment. Dans ce film, le récit est lent, et on ne sait pas exactement ou l’histoire va nous emmener avant de découvrir la fin du film. On sent que quelque chose ne va pas, l’ambiance créée est volontairement ambiguë. Le film dissémine certains indices, qui nous laisse l’opportunité d’imaginer notre scénario, mais on ne comprend vraiment l’histoire que lorsqu’elle se termine. 

Dans Palm trees and power lines, c’est la même chose. On découvre petit à petit le vrai visage de cet homme, mais tout doucement, et toujours dans l’ambiguïté. Certaines phrases sont pourtant assez claires, mais toujours contrebalancées par une situation qui rend les mots assez justes.

Ce que je veux dire c’est qu’on peut comprendre que la jeune fille tombe dans le piège.

Une scène va nous insuffler des doutes sur le personnage, comme quand la serveuse de la pizzeria va venir voir Lea pour la mettre en garde sur cet homme qui « ramène toujours plusieurs jeunes filles différentes »,  et la scène d’après va nous le dépeindre comme un homme bien que sa voisine n’hésite pas à appeler en cas de problème avec un garçon lourd. 

Et puis, la relation va se transformer et les mots doux vont petits à petits devenir des suggestions, puis des ordres. Et l’histoire prend tout son sens. 

Je n’en dirais pas plus pour ne pas gâcher la surprise du film. Comme pour Aftersun, pour moi tout repose ici sur l’ambiance et le suspens d’une histoire dont on sait qu’elle va mal finir, mais on ne sait pas comment. C’est une petite pépite plutôt douce mais qui vous frappe très fort à la fin. En toute discrétion, le film prend une tournure glaçante. Mais la transformation s’opère si lentement que, pour le personnage comme pour le spectateur, elle entre dans l’habitude sans provoquer d’étonnement. Un film délicat sur l’art subtil et cruel de la manipulation. 


La note :
7/10

Note : 7 sur 10.

Baptiste Coelho
Baptiste Coelho
Articles: 16