Longlegs & MaXXXine : Panique à Hollywood

1er novembre 1980 en Amérique. Un psychiatre canadien nommé Lawrence Pazder publie Michelle Remembers, le récit de ses entretiens entre lui et sa patiente – ainsi que future épouse – Michelle Smith. Avec l’utilisation de la pratique, désormais proscrite et interdite, de la mémoire retrouvée – visant à faire remonter les traumatismes des patients afin qu’ils en retrouvent le souvenir par le biais d’une expérience sensorielle – Michelle Smith se rappelle désormais avec effroi qu’elle a été victime dans sa jeunesse d’abus à la suite de rituels sataniques. Véritable étincelle d’un feu prêt à s’embraser dans une Amérique alors en proie à une violence inexplicable qui terrifie une population qui ne sait plus que croire, l’ouvrage est un succès terrifiant et permet de lancer les débuts de la panique satanique dans tout le pays. Cette panique, une hystérie collective qui visait à retrouver des signes de Satan partout – des maisons pavillonnaires jusque dans la culture populaire –, traumatisa profondément tout le continent mais surtout toute une génération. Une génération dont sont issus respectivement Oz Perkins et Ti West. Le premier, fils du célèbre acteur et interprète de Norman Bates, à côtoyé de près les conséquences de cette hystérie tandis que le deuxième, adolescent ayant grandi pendant cette période, en a subi les conséquences. Il est alors très intriguant de constater que pendant le même été, les deux cinéastes se retrouvent à sortir deux films aux thématiques étroitement liées et habitées.

Attention cependant, quelques spoilers sont à prévoir dans la suite de cet article. Il m’est impossible de traiter du sujet sans évoquer des passages clés des deux films.

Descente aux Enfers… © Longlegs (2024) de Oz Perkins – NEON

D’abord avec Longlegs, Oz Perkins a secoué l’Amérique dans laquelle le film est venu se hisser parmi les plus gros succès de cette année – à l’heure de l’écriture de cet article, le film avoisine les 100 millions de dollars de recettes mondiales pour 9 millions de budget. L’originale et percutante communication de NEON n’y est sans doute pas pour rien, eux-mêmes ont su jouer habilement avec les codes attendus d’un film sur un tueur en série habité par le Mal (faux extraits d’archives dans lesquels des signes du diable étaient disséminés, faux documents d’enquête…). Le Diable est omniprésent dans le film de Perkins, jusque dans ses plans intimidants derrière lesquels plane l’ombre (parfois visible) de la créature aux cornes. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de celui de Maxxxine, dans lequel le Mal se retrouve plutôt disséminé à travers le parcours de l’étoile montante d’Hollywood – Maxine fucking Minx. La violence et le vice rongent les rues d’Hollywood, dont les néons se tachent d’un sang rouge ketchup, mais qui se retrouve plutôt en arrière-plan.

Car si dans X le meurtre gicle frontalement dans les yeux de Maxine, elle est désormais prête à y faire face afin de suivre le rêve de sa vie : celui de devenir une héroïne. Bien que les meurtres du Traqueur de la Nuit (véritable tueur en série qui ciblait les starlettes, exécuté en 2013) soient cités en toile de fond, afin de montrer que le Mal progresse sous toutes les portes, il n’intimide en rien sa protagoniste. Seulement, Lee Harker traquant Longlegs, elle, ne s’est jamais préparée à cette cruauté. A l’image d’une Clarice Sterling encore blanche comme neige dans Le Silence des Agneaux avant sa rencontre avec Hannibal Lecter, l’agent Harker n’a jamais côtoyé de près ou de loin le Mal. En effet, sa mère l’a conditionnée dès le plus jeune âge dans une éducation stricte loin de toutes morales dites douteuses par les chrétiens extrémistes. Loin, donc, de l’éducation de Maxine qui a dû se forger seule, sans présence paternelle, faisant ses preuves en s’affirmant dans le milieu du X et en ayant déjà fait face à ceux qui pourraient tenter de l’enfermer dans pareilles doctrines (Pearl et son mari, jaloux de ne jamais avoir pu connaitre la libération sexuelle que les jeunes qui forniquent dans leur grange peuvent obtenir).

Le Puritain : grand classique © MaXXXine (2024) de Ti West – A24

Il est alors intéressant de constater que les deux protagonistes arrivent, à leur manière, à dompter les dernières embûches qui leur font face afin de tracer une voie qu’on ne voulait pas les laisser emprunter. L’agent Harker d’abord, se voit dotée d’un instinct surdéveloppé lui permettant de résoudre ses enquêtes plus rapidement que la moyenne. Cet instinct, à la limite des pouvoirs psychiques tant elle semble pouvoir cerner le diable d’une manière presque naturelle, lui vient probablement du lavage de cerveau de sa mère elle-même qui voyait le diable partout. En transmettant la peur de son omniprésence à sa fille, elle réussit à mieux le saisir et à le sentir. Comme une chasseuse qui traquerait le bouc, désormais habituée à son odeur. C’est la conséquence de cette panique, celle qui a privée toute une génération de leur enfance en les invitant à se méfier de tout et de n’importe qui. Il n’est d’ailleurs pas étonnant d’entendre vrombir les premières notes de Get It On de T.Rex, un groupe ayant lui-même essuyé ces accusations – dont les posters du groupe tapissent la chambre de Longlegs –, puisque le choix colle avec la musique proscrite de cette époque.

Difficile de ne pas voir en Longlegs une figure de cette hystérie : un tueur travesti, écoutant du Lou Reed avec des posters de groupes bannis de l’époque… Tout chez le tueur ramène à la peur qu’inspirait la transidentité, l’homosexualité et les objets de culture populaire aux américains. C’est aussi ce qui terrifie l’antagoniste de MaXXXine, annoncé par un fusil de Tchekhov depuis X et ses extraits de messe diffusés chez le couple de retraités. Il refuse le progrès, les nouvelles mœurs, et tente de convertir ceux qui lui semblent « perdus » dans la lumière divine, la pureté intellectuelle et vitale. La découverte de la secte du père de Maxine, dont il en est lui-même le gourou, montre frontalement – d’une manière proche d’un giallo – les dérives sectaires que les prêcheurs de la bonne parole pouvaient s’adonner. Eux qui veulent tant purifier les âmes, se retrouvent à les kidnapper et les endoctriner – ainsi que de les tuer véritablement – d’une manière purement diabolique. Il montre également que comme l’agent Harker, la figure parentale tentait d’enfermer l’esprit de Maxine et de la restreindre dans ses choix de vie et de morales.

Le diable est partout, en fait © Longlegs (2024) de Oz Perkins – NEON

Toutes deux font finalement face aux conséquences de la panique, et d’une certaine manière, se retrouvent victimes de la mémoire retrouvée. Lorsque Lee réalise que sa mère était le suppôt de Longlegs, elle arrive à se souvenir du jour où elle l’a rencontré. Lorsque Maxine revoit son père pour la dernière fois, elle réalise que c’est à cause de lui qu’elle s’était mise dans la tête de devenir une star. Lorsqu’elle l’achève, elle retrouve enfin sa vitalité et ses souvenirs qui lui permettront de tracer sa route en refusant une vie qu’elle ne mérite pas de vivre. Cette vie, c’est celle que son père voulait pour elle : la petite fille modèle de sa province, l’icône de son église. A l’image de ces deux héroïnes, toute la partie d’une génération fut privée d’une adolescence normale à cause de l’endoctrinement de leurs parents. La filiation avec Psychose semble alors encore plus évidente.

Avec Longlegs, c’est son réalisateur qui descend de l’héritage laissé par son père, interprète lui-même d’un tueur se travestissant dans les tissus de sa mère décédée. Anthony Perkins a nécessairement essuyé les critiques des extrémistes pour son rôle loin des mœurs puritaines dans un film que Ti West qualifie parallèlement comme la genèse de sa trilogie. Il en fait d’ailleurs un petit clin d’œil de X avec une réplique, avant d’embrasser l’hommage dans une course poursuite au cœur des studios de tournage où les décors de Psychose se trouvent. C’est ainsi que pourchassée par le détective interprété par Kevin Bacon, elle décide de s’enfermer dans la maison des Bates : un symbole fort lorsque Ti West y fait pénétrer sa star montante dans un vestige du passé qu’il chérit, mais aussi la preuve qu’on ne peut avancer sans s’imprégner de ce qui a permis à la société d’aujourd’hui de se construire.

Pearl, vestige hitchcockienne © MaXXXine (2024) de Ti West – A24
Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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