Pourquoi John Wick tape-t-il plus fort que les autres ?


John Wick : Chapitre 4 est un film d’action réalisé par Chad Stahelski avec Keanu Reeves, Donnie Yen et Bill Skarsgård sorti le 22 mars 2023 en France.

Synopsis : Taper, beaucoup, longtemps.


Regarder John Wick, c’est un peu comme contempler un mentor, un monolithe tout de néons vêtu, responsable de la persistance du direct-to-video mais également, il faut se le dire, de la démocratisation de bons films d’action reconnus en tant que tels. C’est aussi et surtout un jeune padawan, celui de 70 ans de cinéma de bourre-pifs dont l’arbre généalogique trouve avec peu de doutes ses racines chez nos amis aux yeux bridés.

John Wick, c’était d’abord un projet d’à peu près 20 millions de sousous (traduction : « quasi rien » in american) porté par Keanu Reeves, qui eut la merveilleuse idée de proposer son ami Chad Stahelski en tant que director. Derrière ce nom mèmifié se cache un ancien cascadeur, doublure de Reeves sur Matrix des Wachowskis, qui revendiquaient déjà si tôt (en `99) des inspirations japonaises dans la conception purement graphique de leur rêve numérique boursouflé de techniques redoutables de kung-fu. En compagnie de David Leitch, lui aussi ancien casse-cou d’Hollywood, Chad avait alors, en l’an de grâce 2014, mit en forme un petit film tout modeste présentant un tueur à gages pas très commode remettant sans prétention quelques mâchoires en place le temps de ce qui devait être un début de dimanche après-midi à roupiller devant M6. Le destin n’étant pas systématiquement maussade, l’apparente médiocrité de John Wick premier du nom avait été percée par les cinéphiles robustes qui avaient élevé cet humble bout de cinéma à l’Olympe des actioners.

Succès planétaire, on rempile, on franchise, une, deux, trois suites mais on ne perd jamais le nord. Plutôt que de revenir en plan général sur le quatrième volet des aventures rocambolesques du sombre monsieur pan-pan, je vais m’attarder sur ce qui fait tout l’intérêt de la franchise (le « nord ») : ses séquences d’action. Il serait bien évidemment intéressant d’expliquer comment elles sont amenées dans un film, comment se construit autour de ces set-pieces la mythologie christique, histoire de ne pas trop se foutre de la tronche des spectateurs, mais s’attarder sur les simples combats du dernier long-métrage est une tâche bien assez complète et alléchante.


Merci Seigneur pour ce bain de sang

Les scènes de baston, chez John Wick, sont envisagées comme des terrains de jeux créatifs pour ses auteurs. À voir comme une feuille blanche sur laquelle on ébauche un brouillon, colle ses inspirations diverses, et après quoi l’on décide seulement de la manière dont on rendra cohérent ces croquis (c’est pas moi qui le dit, c’est le réal). L’énorme travail en amont du tournage (2 ans aux dires de Chad) ordonne les affrontements comme des chorégraphies de danse. L’implication de Keanu Reeves, 58 ans, est à noter dans cet aspect disciplinaire du jeu d’acteur, alors que le résultat ne doit pas être un exposé froid d’une pratique physique mais une forme dérivative d’expression artistique au sein du médium cinématographique (on me dira que jouer la comédie c’est déjà l’art de la gestuelle m’enfin je me permet une distinction tout de même compréhensible).

Une rencontre musclée, à mains nues ou pourvues d’armes, est pensée chez « M. Vick » (cf. le film) comme un moyen d’expérimentation visuelle qui ne doit, dans la considération cinéphilique, avoir de place qu’en tant que pur produit de jouissance artistique directe et irrationalisée. Cette réception est très importante car elle fait la base de tout cinéma d’action : l’analyse technique de la mise en forme d’un combat doit d’abord et toujours avoir un impact immédiat sur la manière dont le spectateur en nous absorbe les images (et les coups) dans le même temps.

Un bon gros taté en perspective

Dans ce chapitre 4, on peut constater très frontalement la façon qu’a Chad de construire visuellement ses séquences d’action : tout est pensé dans le but de fabriquer du graphique, de l’esthétique. Faire se taper deux gugus, ça doit être pensé dans l’espace, ça doit être mis en rapport avec un décor, ça doit faire face à un nombre incalculable de variables concernant le rythme de chaque mouvement des acteurs et ceux du montage. Les gestes de bagarre, la mobilité des armes (assez diverses pour plaire aux spécialistes), tout ce qui a été répété maintes et maintes fois avant « action » deviennent, devant la caméra, des formes colorées et des objets picturaux à eux seuls. Au coeur d’une photographie hyper-stylisée par Dan Laustsen se découpent les protubérances violentes de Wick et de ses opposants (parfois hommes de paille, parfois plus costauds), les corps se meuvent et altèrent les halos bleus, verts ou rouges pétants, ils font partie intégrante d’un certain fond visuel sur lequel ne se dessinent finalement plus que les fatalities crues contrastant avec les composantes de l’image.

On peut aisément se plaire dans les nombreux bonbons visuels dont regorgent les environnements, utilisés intelligemment et efficacement par les chorégraphes qui font en sorte de fluidifier à l’extrême les échanges saccadés de deux partenaires de jeu. La violence profonde présente à chaque exécution est contrebalancée par une esthétisation immodérée de la lumière : alors qu’on traverse brutalement une plaque verticale de verre entre deux coups de feu, des néons bleutés viennent agressivement poétiser la cruauté de l’anti-héros protagoniste et procure de ce fait un important capital sensitif à ce qui s’apparente à la reconstitution étonnamment similaire d’une partie de lasergame.

Un malheur que d’être aveugle sous une si belle lumière

John Wick, c’est aussi et surtout un découpage exemplaire, un montage respirable qui permet de donner de l’amplitude à ces cartons spectaculaires. Loin du surcoupage imbuvable trop fréquent quand il s’agit de joutes lointaines ou rapprochées et dont peu de cinéastes maîtrisent l’essence (Michael Bay, Tony Scott, Gareth Evans dans une moindre mesure…), le réalisateur sait exploiter tout le potentiel des cascades dont il est fin connaisseur. Sans non plus tomber dans l’autre extrême que serait le plan-séquence, Chad choisit de prendre un recul parfait dans l’action qui offre à celle-ci une lisibilité essentielle, sans oublier de dynamiser cette danse à deux (ou plus) qui développe de ce fait toute sa certaine beauté à l’écran.

Au travers de tous ces moments suspendus, les influences du cinéma d’Asie sont discernables et embrassées. On n’oserait qualifier Chad Stahelski de « cinéaste » ? Pourtant il faudrait l’appeler un véritable « auteur ». On peut sans grands efforts apprécier la présence d’un Donnie Yen (encore aveugle) ou d’un Hiroyuki Sanada (toujours en forme) qui viennent témoigner de cet apport oriental fructueux et bénéfique à Hollywood (dont les grandes heures se résument finalement à des transferts culturels), mais à l’évidence l’homme derrière les moniteurs insuffle cet héritage encore plus en profondeur.

L’embrassement des mouvements, il régnait déjà chez Ang Lee. Les décors ludiques, du pur Tsui Hark. Les symboles spirituels dont transpire le film, John Woo dans le texte. De même qu’on sait que Chad repère directement ses futurs chorégraphes dans le cinéma asiatique, on ne saurait penser d’autres influences, sinon celles indétachables au pays de production, qui serait importées d’un continent différent. Entre deux prises de judo ou de jiu-jitsu, John Wick fait des escapades à Berlin, Paris, New York, et en temps de mondialisation prouve l’impact culturel international de ces arts martiaux dépassant leur notoriété locale. On aimerait une petite démonstration de Pencak silat, que de fainéantise…

L’américain a le nunchaku, le sbire au masque chinois a le fusil, trouvez l’erreur

On a trop tendance à considérer les films dits « de divertissement » comme des sous-oeuvres, des sous-genre de cinéma auquel on refuse d’accoler un grand « C ». Il est indéniable pourtant que les films d’action, en particulier celui-ci, répondent à des contraintes techniques, artistiques et budgétaires à l’instar de n’importe quel autre film. Ils requièrent d’autant plus de maîtrise qu’ils s’imposent la variable supplémentaire de mêler shots d’adrénaline et composition esthétique au sein du même long-métrage, souvent de la même scène.

John Wick n’est pas un parc d’attractions, ce n’est pas une structure métallique inémotive, c’est une oeuvre dont l’intégrité artistique ne doit pas être négligée au profit de prétendus films supérieurs qui ne représente qu’un maigre pan de la richesse et de la diversité des émotions que peut offrir le médium cinématographique. Parler de la mise en scène de Chad Stahelski ouvre autant de possibilités analytiques que tout autre cinéaste « digne » de ce nom (la preuve). Filmer des fusillades invraisemblables, des bagnoles qui prennent feu ou un idylle romantique à la plage, c’est du cinéma, et le cinéma, c’est l’art du mouvement : John Wick en a choisi les courbes les plus nobles.


La note
8/10

Note : 8 sur 10.
Samuel Dumas
Samuel Dumas
Publications: 14