A l’occasion de la sortie en salle de La Condition, réalisé par Jérôme Bonnell et adapté du roman Amours de Léonor de Récondo, nous avons pu nous entretenir avec Galatéa Bellugi. Elle incarne Céleste, bonne dans une grande maison de notaire pour le compte d’André (Swann Arlaud) et Victoire (Louise Chevillotte). Ce trio truffaldien est victime des agissements d’André, et c’est l’union des deux femmes qui va permettre leur émancipation.
Vous retrouvez Jérôme Bonnell 20 après Les Yeux Clairs, dans lequel vous aviez un petit rôle.
Effectivement, mais à sept ans je ne considérais pas ça comme un travail ! J’avais une envie de cinéma mais pas tout à fait assumée, et aujourd’hui je me plais à faire ça et j’ai envie que ça continue. Maintenant, retravailler avec lui me permet de le voir au travail et de considérer tout cela sérieusement.
Qu’est ce qui vous a intéressé dans le rôle de Céleste ?
J’ai trouvé intéressante la position de Céleste, qui vit plusieurs formes de violences et dont le mutisme vient redoubler ces violences. Elle est spectatrice de la bourgeoisie en même temps qu’elle subit les contraintes d’être à leur service. Pourtant, elle trouve quand même la force pour continuer de vivre sous ces contraintes.
C’est un personnage qui souffre et qui n’a aucun moyen de sortir de ce cercle de souffrances.
Elle n’a pas les moyens de réagir, elle n’a pas les armes que les bourgeois ont : les mots. Elle n’a personne à qui parler non plus. Dans le livre (Amours, Léonor de Récondo), elle confesse à Victoire (incarnée par Louise Chevillote dans le film) que ses parents l’avaient prévenu de la difficulté d’évoluer dans ces milieux. Victoire au contraire avait une idée de la vie qui s’alimentait des apparences bourgeoises, qui donnent l’illusion que tout est beau. Or ce n’est qu’une image entretenue par cette classe qui se révèle être difficile à vivre également pour une femme issue. Céleste avait en quelque sorte été préparée, tandis que Victoire allait découvrir cela.
Vous jouiez également une bonne dans Gloria, quelles similitudes et différence faites vous entre les deux rôles ?
Les films sont très différents, les deux personnages sont liés par leur condition et leur travail de bonne mais Teresa a une fascination salvatrice pour la musique et la sororité. Mais les deux ont pas ou peu de mots. Chez Céleste, il n’y a aucune aspiration possible, elle survit.
Céleste tend à s’émanciper malgré tout…
A partir du moment où elle commence à parler avec Victoire, il y a une forme d’émancipation. Lorsqu’elles sont les deux en chemise de nuit, on ne sait pas qui est la bonne et qui est la bourgeoise, on supprime cette différence de classe. C’est ce qui est assez beau dans leurs rencontres en cachette.
Dans La Condition, il y a beaucoup de personnages féminins, et chacune vit une isolation à sa manière.
Il y avait dans les grandes maisons de l’époque des escaliers de service pour que les bonnes ne croisent jamais les maîtres, et elles habitaient au dernier étage. Finalement, c’est le personnage d’Emmanuelle Devos, qui est aussi muette, qui en dit le plus.
Céleste dit peu de mot mais on la voit beaucoup à l’écran, comment avez-vous travaillé ses postures et son attitude ?
Sa condition impose que sa présence soit la plus discrète, elle doit s’effacer et disparaître. Elle est seule, même le personnage d’Huguette (Aymeline Alix) ne lui partage rien. Elle ne la comprend jamais, même quand elle sait ce qui se passe dans la maison.
J’ai travaillé le rôle avec Dany Héricourt, on a beaucoup discuté du personnage et de comment traduire cette violence.
Sur le tournage, Jérôme Bonnell se pose beaucoup de questions et nous laisse aussi nous interroger. Tous les matins, on a un moment de mise en place où il nous laisse lui montrer ce qui nous semble le plus instinctif dans la scène. Ça laisse une grande liberté, on peut travailler à partir de nos sensations et du texte. Le texte est d’ailleurs super bien écrit, ça nous rend aussi plus libre dans l’interprétation.

© Diaphana Films
Y avait-il de la place pour de l’improvisation ?
Pas du tout, et je trouve encore plus dur d’improviser dans un film d’époque. On cherche ensemble avec Jérôme mais lors de la prise il n’y a pas d’improvisation. Il y a des réalisateurs ou réalisatrices qu’on pourrait qualifier de chorégraphiques, mais Jérôme ne travaille pas comme ça non plus. Il travaille avec ses idées et notre instinct. Il va nous demander d’essayer quelque chose sur le plateau, on sait qu’il a une idée précise derrière la tête mais il va nous y amener instinctivement. On passe par l’instinct et la sensation et cela rend le texte plus fluide. Mais j’aime bien l’improvisation aussi, j’avais fait un film, Keeper de Guillaume Senez, où l’on n’avait même pas lu le scénario. C’était que du jeu, sans texte, et parfois on disait des phrases que Guillaume avait pu écrire. Tout cela représente des façons différentes de travailler, et dans chacune je m’y retrouve.
On ne vous a encore jamais vu au théâtre, où l’on ne joue pas de la même façon non plus.
Parce que ça me fait peur ! Déjà, je ne parle pas fort, j’ai parfois l’impression de crier alors que non ! Mais ça pourrait être bien de jouer avec ces peurs là. Et c’est un autre rapport que l’on a avec le jeu, on sent directement comment c’est en train de se passer avec le public. Si un film ne trouve pas son public, je ne peux plus rien y faire, le travail est passé. Le théâtre, c’est un partage d’énergies qui me perturbe.


