Saint Laurent: Le rejet de l’académisme par Bertrand Bonello

Si dans le cinéma il existe un genre qui subit les stéréotypes (peut-être justifiés) de « film à Oscars » il s’agit inévitablement du biopic. Cependant lorsque certains cinéastes talentueux évite cet écueil qui consisterait à traiter de figures familières des systèmes académiques, et d’offrir à un acteur une occasion de performer pour ses propres intérêts dans un bon compromis avec le réalisateur, alors cette idée de traiter d’une célébrité peut faire l’objet de films merveilleux. Des lors que le personnage est filmé pris dans des structures et dans un environnement qui est restitué en montrant la relations qu’il entretient avec ses dernières il y a déjà de l’intérêt à voir le film. C’est totalement ce dont il est question dans Saint Laurent (2014) de Bertrand Bonello où ce dernier vient totalement remettre en code les à priori sur l’académisme du biopic.

L’une des premières ambiguïtés de ce film est que structurellement, il semble nous emmener dans une forme Scorsesienne de « Rise and fall ». Effectivement l’ordre narratif nous montre l’ascension d’un personnage dans un temps puis sa chute dans un second, système scénaristique éculé bien qu’il bien peut avoir son intérêt. Cependant ce n’est pas ça que met en scène réellement Bertrand Bonello, car son film ne cherche pas la transcendance par le récit, mais par des éléments constamment saisies par la caméra au sein du filmé. Dans Saint Laurent, Bonello nous offre un pur portrait de classe sociale, il dépeint une bourgeoisie avec une finesse qui impressionne par des dispositifs qui permettent de vraiment ressentir ses structures fondatrices. Cette captation se fait par des éléments matériels saisies avec grande justesse telles que l’éloquence, le vocabulaire, ou encore la gestuels des corps. Cette dernière est d’autant plus intéressante car le film traitant de la haute couture, Bonello choisis de filmer avec une certaine précision les gestes des scènes d’artisanat et de production d’habits ce qui permet au film de faire corps avec son matériel. Puis tout cela nous documente totalement une luxure abusive qui passe autant par le centre d’intérêt de son personnage que dans ces intérêts extérieurs notamment son rapport aux drogue et la déconnexion total avec le réel que cela entraîne chez lui comme en témoigne la scène de la mort de son chien, scène au cours de laquelle il est totalement déconnecté de la gravité des événements. Cette accumulation d’idée permet au film d’être baigné dans une superficialité, mais le coup de force du film est que cette dernière parvient à ne pas être vaine par des moyens cinématographiques très démonstratif mis en œuvre mais c’est plutôt une superficialité utilisée comme outil de distanciation. Le filmé que ce soit dans les corps les dialogues les personnages la gestuelles les décors baignent crée une véritable distance avec le spectateur car tout lui paraît si loin dans le monde qui est dépeint est désabusé. Cette idée de distanciation offre un certain recul sur ce que nous montre la caméra afin de prendre conscience en tant que spectateur du caractère abusif des structures que le film dépeint. Puis dans la continuité de cette idée qui forme le cœur du film, il y a des scènes qui viennent briser cette distanciation en ramenant le film dans un réel qui pourtant ne concerne pas les personnages, c’est totalement ce dont il est question lors de la scène en Split-Screen nous montrant au début du film parallèlement l’ascension de la marque Saint Laurent lors de la fin des années 60 et les manifestations liées au mouvement révolutionnaires d’émancipations ainsi que d’autres conflits politiques et militaires mondiaux.

Bertrand Bonello offre avec ce merveilleux film, un exemple qui permet de produire du grand cinéma malgré les structures en place. En effet si Saint Laurent peut renvoyer une image de biopic anecdotique comme il en sort tous les ans par un usage de codes populaires et académiques, c’est en réalité un film très singulier et passionnant par tous les dispositifs qu’il met en place pour saisir au-delà d’un personnage, une classe sociale et une époque de façon très concrète.

Kelsang Rastoldo
Kelsang Rastoldo
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