« Ici est la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la bête, car c’est un nombre d’hommes ; et son nombre est six cent soixante-six. » ce verset issu du chapitre 13 du Livre de l’Apocalypse seront les derniers mots du film devenu culte de Richard Donner, avant qu’il ne réalise les Goonies, The Omen – titré sobrement en français La Malédiction – sorti en salles en 1976. Un titre qui pourrait d’ailleurs paraitre très racoleur, si l’équipe et son tournage n’avaient pas véritablement été victimes d’un potentiel mauvais sort.
Plusieurs tragédies marquèrent le tournage du film, incluant, pour ne citer que, les avions de l’acteur principal Gregory Peck et son producteur Mace Neufeld frappés par la foudre ; une bombe qui explosa dans un restaurant dans lequel devait diner plusieurs membres de l’équipe du film alors même que Londres fut en proie à de terribles attentats ; l’un des assistants John Richardson, victime d’un grave accident de la route décapitant son assistante et compagne Liz Moore alors que lui-même avait supervisé la scène de décapitation du film.
Coïncidences, superstition ou réelle malédiction ? Richard Donner posera les mêmes questions à son spectateur dans un récit christiano-gothique s’adoubant aussi bien de certaines influences de chez Friedkin comme des films de la Hammer d’antan – par là j’entends ceux qui permirent au studio de connaitre son âge d’or. Véritable carton au box-office aux quelques modestes suites et alors qu’une préquelle du premier film sort actuellement en salles : il est temps de faire un retour sur la naissance de l’Antéchrist vue par l’Amérique des années 70. Quelques légers points du récit seront abordés dans l’analyse, mais rien qui ne gâchera votre visionnage.
C’est le 6ème jour du 6ème mois de l’année à 6 heures du matin que Damien Thorn nait miraculeusement après que l’enfant de Robert et Katherine Thorn ne soit mort-né. Le prêtre voit alors en lui le cadeau de Dieu à deux parents dont l’enfant semble nécessaire. En vérité, il est intéressant de constater que cet enfant, né dans le péché et dont le père taira les origines à son épouse, ne semble qu’une envie préconçue d’un couple de politiques avide d’une vie de famille modèle. L’enfant semble coupé de tout repères, il est loin d’être la priorité de ses parents adoptifs qui préfèrent copuler sous ses yeux – en prenant quand même soin de fermer les volets lorsqu’ils le laisse dans les bras de leur gouvernante – alors même qu’ils arrivent dans leur nouvelle bâtisse.
Une bâtisse qui semble d’ailleurs parfaite : des murs d’un blanc pur et clair, des poissons dans un bocal qui nagent joyeusement, un luxuriant jardin dans un domaine où le vent semble frais et un couloir au papier peint enfantin donnant sur la chambre du petit démon. Robert et Katherine ne répondent en vérité qu’au schéma américain par excellence, sans pour autant se montrer sans cœur et sans attachement émotionnel. Sur la table de chevet, il est cependant triste d’apercevoir que seule deux photos du couple heureux et de la mère (seule) y trônent – sans le petit. Damien est absent de leur mariage et bien qu’ils tentent de manière superflue de le faire oublier – on peut citer en exemple cette séquence en montage de photos souvenirs aux rires et sourires forcés, à la vie trop parfaite alors que le secret est alors si lourd à porté – la réalité les rattrapent assez vite.
Tout ce que les Thorn touchent ou effleurent devient une malédiction, un poids qu’ils trainent derrière eux. Lors de leur première promenade sur le domaine, le couple ne se soucie pas de la présence de l’enfant si bien qu’il manque de tomber inconsciemment dans une rivière aux courants mortels. Damien est un boulet de forçat que ses parents trainent et ne peuvent laisser derrière eux même quand ils l’aimeraient.
Et si la véritable cause du Mal qui s’est imprégné de l’enfant ne soit pas sa naissance mais sa croissance ? En effet, Damien ne s’attache qu’à ses nourrices et gouvernantes, les seules à véritablement l’élever et s’occuper de lui pendant que son père se retrouve en déplacement à travers le pays pour donner des discours et des leçons – étrange paradoxe – et sa mère angoissée et abusée par les propres rires de son enfant qui joue. Le cadre prend d’ailleurs soin de toujours laisser Damien en dehors de celui de ses parents, sa propre chambre se trouve même annexée à celle de sa gouvernante. Il rejette tout traditionalisme malgré son jeune âge, en refusant par exemple de pénétrer au sein de la maison de Dieu lors de la célébration de leur mariage épiscopal – rejetant par la même occasion l’institution religieuse et sa hiérarchie.
Le travail derrière ses signes de mauvais augure est remarquable, et Donner sait pertinemment bien travailler son ambiance froide et très terre à terre – paraissant toujours très premier degré sans jamais se prendre au ridicule malgré les risques encourus par la thématique du blasphème qui peut parfois sembler dépassée ou kitsch. Il sait surprendre son spectateur à plusieurs reprises et jouer des codes habituels du genre, en choisissant de sacrifier comme élément déclencheur du récit la première gouvernante de la famille plutôt que le chien découvert quelques minutes auparavant – l’animal mort étant souvent présenté comme la mort de la vie et un mauvais signe pour le récit.
L’animal et la Bête ont par ailleurs une importance capital dans le film de Donner : le chien est réputé être l’animal le plus fidèle et le plus protecteur. Ainsi, lorsque son père semble montrer de mauvaises intentions envers Damien, celui-ci se rebiffe. Il n’est alors pas surprenant de voir que Damien s’attache à ce chien puisque celui-ci semble être le seul être qui lui soit véritablement fidèle et dévoué. Dans le catholicisme romain – ce qui nous intéresse ici d’autant plus étant donné que Damien soit né à Rome – la figure de Saint Dominique (littéralement celui qui appartient au seigneur) inclut celle du chien, après que sa mère ait rêvée de l’animal jaillissant de son ventre avant qu’elle ne tombe enceinte.
Un chien qui tenait une torche censée allumée le monde et y apporter la lumière qui l’éclaire. En vérité, Damien cherche à éclairer la bestialité de l’Homme qui se prétend bon chrétien.Tout comme Dominique qui y rencontra l’hérésie des « bons hommes » et des « bons chrétiens », Damien rencontre de « bons parents » en apparence qui se révèlent plus pécheurs qu’ils n’y paraissent. Robert n’acceptera par exemple pas l’avortement proposé par le médecin quitte à laisser sa femme malheureuse – ce qui causera d’ailleurs sa perte. Il se laissera ensevelir dans la cupidité et le remord, souhaitant la mort de son propre fils : son propre orgueil finira par le ronger.
Lorsqu’il tentera aussi de s’approcher de la vérité et des origines de son fils dans un vieux cimetière italien – dans une scène qui ferait rougir tout fan de la Hammer – celui-ci se verra gardé par trois chiens. Une référence plus qu’évidente à Cerbère, le chien à trois têtes, qui tente de le garder loin des portes de l’Enfer et du point de non-retour. La vie fuit alors le couple, les animaux qui en sont le symbole ultime les attaquent – notamment dans cette intense scène lors d’un safari.
Chaque personne qui se voit inclue dans le sombre secret des Thorn se retrouve condamnée d’une brutale justice. Personne ne viendra en aide à l’enfant qui se noie alors dans le mal et ses traumatismes. Damien est abandonné à lui-même, et décide de se tourner vers lui-même. A l’image de la famille Torrance de Shining qui se déchire en s’éloignant et en s’abandonnant, l’issu de la famille Thorn n’en sera pas plus flatteur. Cette comparaison ne tombe d’ailleurs pas de nulle part, tant la scène à bicyclette du petit Damien avant que l’accident ne se produise fait écho à celle de Danny – appelé l’enfant lumière, ce qui en fait un beau parallèle – dans le grand Overlook Hotel avant qu’il ne fasse une mauvaise rencontre et qu’il ne pédale seul avec ces pensées.
Aujourd’hui considéré comme un classique de l’horreur au même rang que ces complices – en tête l’Exorciste, Shining ou encore Rosemary’s Baby – The Omen est un grand récit de malédiction chrétienne sur la désintégration d’une famille en proie à quelqu’un ou quelque chose qui souhaite en raser les racines. Une superbe partition, en partie orchestrée par Jerry Goldsmith qui usa pour la première fois de véritables chœurs maléfiques avec en son sein une messe en latin à la Gloire de Satan – ce qui lui vaudra d’ailleurs l’Oscar de la meilleure musique de film en 1977. Peut-être très premier degré sur son traitement du satanisme et du Mal, mais terriblement profond sur le traitement de la distanciation sociale et de la pauvreté émotionnelle des riches abandonnés au luxe et à la luxure. It’s all for you, Damien.