Le début des années 80 marque un renouveau artistique pour le cinéma Hong-Kongais qui fera rayonner l’industrie d’une ville à un niveau que seules les grandes périodes de l’histoire du Cinéma atteignent. Avant cela, Hong-Kong, c’est Bruce Lee, les films de kung-fu et les wu xia pian (films de sabre), c’est quelques grandes boîtes de production locales comme la Shaw Brothers, mais c’est aussi et surtout une colonie britannique. Au cœur des traditions chinoises, une culture anglo-saxonne se développe, appelle les jeunes étudiants à partir à l’étranger, et implique tôt ou tard un bouleversement de l’art Hong-Kongais voué à opérer une explosion culturelle liée à son histoire tiraillée entre héritage asiatique et occidentalisation. Tsui Hark, un grand nom dans ce qu’on appelle alors la Nouvelle Vague Hong-Kongaise, est un de ces enfants voyageurs s’étant imprégnés de cinéma anglophone pendant ses études et qui décide de dynamiter l’industrie locale quand il revient au pays, en implantant aux longs-métrages d’action épars une influence américaine qui sera ligne directrice d’un fort mouvement plus collectif.
Alors que l’Ancien Hollywood se meurt, la nouvelle génération de cinéastes Hong-Kongais s’arme des codes traditionnels du film d’action américain et transpose sa dynamique visuelle expressive dans l’esthétique et les thématiques de Hong-Kong. Durant près de 20 ans, le film d’action Hong-Kongais s’érige en sommet de liberté artistique (en opposition à la dictature chinoise), en point de repère massif pour les cinéphiles du monde entier, attirant par ailleurs l’œil du public américain, dont le gain d’intérêt croissant dans les années 90 deviendra la porte de sortie aux artistes Hong-Kongais quand l’économie locale connaîtra sa chute terrible autour de 1997, année charnière synonyme de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine.
La période finalement trop courte dans laquelle le cinéma Hong-Kongais a connu son plus fort épanouissement aura tout de même donné naissance à des chef-d’œuvres du genre, représentatifs des bénéfices artistiques importants d’un transfert culturel cinématographique (on vous renvoie vers cet article pour un exemple de retour du transfert aux États-Unis). La liste que j’ai dressée ci-dessous n’est bien sûr pas plus exhaustive qu’elle n’est définitive. Ce sont 10 exemples à peine classés de pièces maîtresses incontournables dans la production de films d’action Hong-Kongais, des œuvres à (re)découvrir qui n’ont en rien perdu de leur charme et de leur intensité, et qui sont ambassadrices de toute l’excellence qu’a pu nous apporter de film en film l’âge d’or du cinéma “HK”.
10. The Sword – Patrick Tam (1980)
Il est de ces films qui semblent avoir inventé toute la démarcation visuelle d’un genre, d’une époque. Si The Sword se rapporte plus à la période précédant la Nouvelle Vague, avec ses films de sabre d’une ère pré-industrielle (et donc plus chinoise), il se pose nonobstant comme mastodonte stylistique ayant à lui seul changé la face des wu xia pian, passés de la rigueur technique des films classiques à l’expérimentation plus poétique de ses progénitures. Toute l’audace visuelle du film est probablement davantage due aux contraintes budgétaires auxquelles a fait face le réalisateur pour son premier (!) long-métrage, mais il va sans dire que son impact pour les nouveaux auteurs du cinéma Hong-Kongais est considérable. Un film qui d’ailleurs dépasse ses frontières politiques puisque sans celui-ci, le Taïwanais Ang Lee n’aurait certainement jamais fait un fameux Tigre et Dragon…
9. Dragons Forever – Sammo Hung (1988)
Si de Sammo Hung (auteur et acteur, à droite ci-dessus) on aurait pu choisir le superbement viscéral Blade of Fury, j’ai préféré diversifier les tons pour s’amuser un peu, et aborder le bijou comique qu’est Dragons Forever. En effet si le cinéma d’action Hong-Kongais est d’abord réputé pour ses thrillers, le pan tout aussi riche de ces films ne se prenant pas au sérieux avec leurs situations loufoques ponctuées de cascades et de combats diablement impressionnants mérite la même attention. L’amour tout particulier porté par ses acteurs et chorégraphes à la mise en scène spectaculaire d’idioties innocentes rappelle évidemment un héritage laissé par Buster Keaton, mais implémente au statut de base les vociférations gestuelles du kung-fu, ingrédient qui donne toute sa saveur à la recette sucrée. Un avocat maladroit, un trafic incongru de stupéfiants, de quiproquo burlesque en marivaudage puéril et délicieux, le film anobli à lui seul le sous-genre de la comédie d’action et couronne ses rois : Jackie Chan, Sammo Hung et Yuen Biao.
8. Exilé – Johnnie To (2006)
Johnnie To est un des rares réalisateurs à avoir continué à exercer son cinéma policier caractéristique même après la rétrocession, et si l’on peut tout à fait le considérer comme grande figure de la Nouvelle Vague des années 80 et 90, son ère la plus prolifique (notamment en terme de cinéma d’action, qu’il n’a pas toujours représenté) se trouve plutôt au début du 21e siècle. Exilé est probablement son œuvre la plus populaire se raccordant au type de films dits “de triade”, une transposition du film criminel américain dans la culture chinoise et sa mafia propice aux fantasmes. Comparable aux films de John Woo dans le sujet de base, le cinéma de Johnnie To aborde pourtant la tension et l’action d’une manière radicalement différente de son compatriote, préférant au montage effréné et redites explosives une mise en scène posée et lancinante en contrepoint à la violence. Il développe le suspens et les duels armés qui s’ensuivent dans la durée, proposant une esthétisation particulière de cette violence qui ne consiste pas tant à montrer l’impact des balles mais plutôt tous les mouvements individuels et collectifs qui composent l’affrontement. Le film n’est pas un exemple de construction dramatique, ne réinventant pas la poudre scénaristique du thriller, mais il vaut le détour pour la seule expérience de ses scènes d’action à couper le souffle.
7. L’Enfer des Armes – Tsui Hark (1980)
Film majeur dans l’avènement de la Nouvelle Vague, L’Enfer des Armes (au titre anglais plus amusant : Dangerous Encounters of the First Kind) dépeint un modèle du film de bagarre réaliste et à fleur de peau. Les jeunes protagonistes embarqués dans un tourbillon de violence sont le reflet assombri de la nouvelle génération de réalisateurs qui exprime le tiraillement complexe entre l’héritage occidental de Hong-Kong et ses fondements chinois inaliénables, un portrait riche de Tsui Hark dont la démarche du métrage semble forcer le film d’action américain au cœur de la société Hong-Kongaise. L’œuvre est tourmentée, crasseuse, ne s’envisage que par l’animosité excessive de ses personnages et ne laisse aucun répit à la fougue juvénile qui s’altère en agressivité débordante. La plongée nécessite bien un masque et un tuba pour respirer un peu d’air serein mais les profondeurs de la violence explorées dans ce film valent bien une petite apnée culturelle.
6. The Killer – John Woo (1989)
John Woo. Le nom le plus emblématique de la grande ville chinoise, celui qui a sans doute le plus résonné au pays de l’Oncle Sam et sur notre territoire, à juste titre. Avec son style idiosyncratique qui se cabre en grandeur magnifiante à la moindre pétarade, le cinéaste n’est pas à proprement parler un enfant de la Nouvelle Vague (ayant commencé au début des années 70) mais il a su se mettre dans l’air du temps avec sa mise en scène reconnaissable entre mille. The Killer est un monument du cinéma d’action, touché par un élan lyrique que peu de films de gangsters parviennent à insuffler entre deux coups d’éclat. Les symboles spirituels inondent tout le long-métrage et lui confèrent une substance chimérique parfaitement assumée, Woo cherchant moins à dresser un propos ambigu sur les traques policières que les romaniser pour leur inculquer la poésie dramatique qui trouve son apogée dans un fameux climax d’une beauté effarante. The Killer est sans doute le film le plus influent de la liste, ayant été dépouillé avec le temps de toute la stylisation dans le découpage et le montage par les productions du monde entier, mais si une chose reste bien indétachable au long-métrage, ce sont les légendaires musiques pop chinoises, jalons indémodables et indispensables du cinéma d’action HK.
5. City on Fire – Ringo Lam (1987)
School, Prison, City… Ringo Lam était “on fire” dans les années 80, et j’ai retenu le dernier pour agrémenter la liste en tant qu’épitomé du genre. Intense, débridé, nocturne, City on Fire est un condensé de la mise en image Hong-Kongaise, fournissant un flot continu de ce qu’est la ville et de son époque, une bouffée décoiffante de tirs, de jeux amoureux et de guerres de gangs. Témoin crépusculaire de la schizophrénie sino-britannique à travers son personnage de flic infiltré (concept poussé beaucoup plus loin dans Infernal Affairs 15 ans plus tard), le film nous embarque en quelques instants dans son atmosphère qui lui est propre et ne nous lâche pas jusqu’à sa dernière seconde. Il réunit par ailleurs les stars Chow Yun-fat et Danny Lee, également protagonistes de The Killer (en inversant les rôles), comme visages emblématiques d’une cité qui se raccroche dans un ultime geste à ses personnalités, se sachant pourtant en bout de course. La virée est ébouriffante, l’implosion est palpable.
4. À Toute Épreuve – John Woo (1992)
Allez, promis, c’est la dernière fois qu’on parle de Chow Yun-fat (qui s’en plaindrait en même temps ?). À Toute Épreuve, plus connu sous le sobriquet Hard Boiled, c’est tout John Woo, exacerbé. Set pieces en tout genre et fusillades à tout va, les scènes d’action du film ne sont plus tellement à présenter, au vu de la reconnaissance intouchable qu’elles ont amassé au fil des années. On reprochera parfois à Woo de sur-iconiser ses héros, de mettre une emphase ridicule et grossière à ce qu’il filme, c’est pourtant là tout l’intérêt défouloir de son cinéma de baston, qui ne s’est jamais vanté d’être moral. L’apogée de toute l’action Hong-Kongaise se trouve peut-être dans l’indétrônable plan-séquence qui démontre dans toute sa splendeur la dynamique imparable du réalisateur (héritier de Sam Peckinpah) et de manière générale le savoir-faire sublime des techniciens du pays, dont les exploits ne manqueront pas d’être repérés par les studios hollywoodiens un peu plus tard. Classique, immanquable.
3. Combats de Maître – Liu Chia-liang, Jackie Chan (1994)
Au zénith de sa carrière, Jackie Chan incarne l’historique artiste martial Wong Fei-hung dans l’une de ses plus grandes œuvres de kung-fu. Si certains films “d’époque” à Hong-Kong s’attèlent plutôt à conter l’arrivée des occidentaux sur leur territoire, Combats de Maître choisit de ne s’arrêter que sur les remous de la Chine, avec ses trafiquants de trésors et ses grands maîtres ayant pour technique d’attaque redoutable l’ébriété contrôlée. Jackie Chan s’y montre autant exceptionnel en tant qu’incarnation énergique du spectacle martial que comme chorégraphe génial d’un festival de séquences mirobolantes. Le film est doté d’une rythmique impeccable, alliant montage d’une précision chirurgicale et touches d’humour parfaitement piquantes, ceci dans l’optique juteuse de faire mourir de rire le spectateur et bien évidemment de lui imprégner la rétine de scènes inoubliables.
2. The Mission – Johnnie To (1999)
C’est simple, ce qu’est parvenu à réaliser Johnnie To avec The Mission (premier volet d’une trilogie thématique comprenant Exilé et un film avec Johnny Hallyday, si si), c’est le summum pur et dur de toutes les possibilités cinématographiques offertes par le cinéma d’action HK. Les scènes proposées par le film sont raisonnablement inégalables dans leur gestion puissante de la tension toujours au service bien précis d’une ambiance détourée avec soin. Johnnie To dilate le temps et éparpille l’espace, jouant sans pareil avec le vide et avec la figure graphique des sujets, faisant d’une traque au sein d’un supermarché le puits grouillant d’une tension exaltée et même d’une scène plus fraternelle sans fusil à l’écran (dont l’ombre plane toujours un peu quand même) un moment palpable de complicité saisissante. L’utilisation répétitive d’une mélodie musicale, qui est un autre gimmick du cinéaste pour faire planer le moment, laisse proprement amorphe tant l’effet ressenti peut relever d’une profonde rêverie, tourmentée certes, mais diablement jolie.
1. Une Balle dans la Tête – John Woo (1990)
Au moment de choisir un seul roi parmi l’excellence, c’est l’émotion qui prend le trône. Avec Une Balle dans la Tête, John Woo fait se rencontrer Voyage au Bout de l’Enfer et le banditisme Hong-Kongais, dans l’un des films d’action les plus profondément marqués par une tragédie déchirante. Dans le cinéma du sensitif que représente Woo, la mise en scène du drame (ici fraternel) représente l’étape la plus charnue d’une création faite de flux tous plus dynamiques les uns que les autres. Les thématiques chevaleresques du réalisateur s’accouplent merveilleusement avec le lyrisme visuel dont fait preuve sa caméra qui capte alors une surprenante délicatesse dans l’étincelante théâtralité. Le film est grandiose quand en fin de compte il fait réaliser que le plus important dans une scène d’action, c’est ce qu’elle raconte, et sans pour autant éclipser son style si spécifique, l’auteur parvient dans un mouvement de grâce absolue à faire du canon d’un fusil le vecteur d’une émotion rendue dans sa représentation la plus bestiale et naturelle. Une certaine idée du Beau.
Voilà de quoi vous faire quelques soirées de feu, que vous préfériez l’insouciance humoristique ou la lourdeur émotionnelle. Une chose est sûre, vous ne ressortirez pas sans voir des séquences d’action de haute volée que propose la grande cité chinoise. Préparez-vous aux shots d’adrénaline, et réservez aussi quelques mouchoirs en cas de petite larme tirée par l’émotion artistique. Des popcorns ? Pour quoi faire ? Il n’ya rien de plus passionnant qu’un film d’action Hong-Kongais !