La Reine de la Flippe : critique de « La Reine de la Magie Noire », une rareté indonésienne

En 1981 sort en Indonésie Ratu Ilmu Hitam ou La Reine de la Magie Noire en français. Un film d’horreur avec en tête d’affiche la célèbre star du cinéma d’horreur indonésien Suzzanna, prêtant ses traits à une femme en quête de vengeance sur son village après qu’elle ait été injustement accusée de magie noire. Battue et laissée pour morte, elle est recueillie par un sorcier qui l’initie à la magie noire afin d’accomplir ses desseins les plus funestes. Et malgré un rythme bancal, c’est un festival de têtes tranchées et de sévices sadiques avec des effets pratiques plutôt ludiques. Alors peu connu en Occident, un remake fait alors son apparition en 2019 réalisé par Kimo Stamboel habitué du cinéma de genre (formant le duo des Mo Brothers avec le réalisateur Timo Tjahjanto ayant débuté avec un film de genre indépendant nommé Sendiri en 2003) et disponible depuis le début du mois de juin sur Shadowz en France. L’occasion ou jamais de vous initier au cinéma d’horreur indonésien trop peu connu par nos contrées avec ce train fantôme macabre et terriblement vilain.

Dites bonjour à Nanny McPhee

En effet, La Reine de la Magie Noire version 2019 sort son prédécesseur du placard à chaussettes sales d’une force étonnante. Brève relecture de son ancêtre, duquel l’auteur ne gardera que quelques bribes du synopsis comme son titre ou le nom de la sorcière, le ton est radical et maitrisé de bout en bout. Il est toujours question de la vengeance d’une jeune sorcière utilisant la magie noire, mais en actualisant cette fois ses enjeux et surtout sa morale. Directement inspiré de la J-horror avec notamment une brillante citation de Ring de Hideo Nakata (probablement la meilleure scène du long métrage d’ailleurs), le film séduira autant les néophytes que les amateurs du genre. Kimo Stamboel ayant conscience qu’il doit conquérir un nouveau public, la mise en place du récit est à première vue très classique : une bâtisse, un homme mourant, la famille et les proches venant lui rendre visite avant qu’il ne donne son dernier souffle. Bien évidemment ce n’est qu’un prétexte pour enfermer toute cette panoplie de cibles mouvantes dans un orphelinat vide et grinçant de partout. Et après une introduction somme toute classique, Stamboel lâche très vite les esprits : alors qu’il commençait comme un « slowburn » disséminant ses éléments d’intrigues petit à petit, le film transitionne parfaitement entre l’horreur atmosphérique et l’hémoglobine dégoulinante, les plaies béantes et les millepattes grouillants dans divers endroits des victimes. La Reine de la Magie Noire devient alors très vite un train fantôme absolument macabre et délectable par son jeu de pistes astucieux et comportant son lot de révélations surprenantes. Un train qui plus il avance plus il en devient intriguant et envoutant. La maitrise du récit à osciller entre ses scènes de gore pures et son mystère autour des secrets enfouis de l’orphelinat est fabuleuse, la vraie force de son scénario résidant probablement dans la sorcière qu’il met en scène.

Moi le lundi matin

Cette sorcière est à l’image moderne, celle d’une femme puissante et libérée de toutes chaines et oppressions, cherche désormais à corriger ses oppresseurs. Depuis quelque temps la figure de la sorcière renait de ces cendres, de The VVitch de Robert Eggers en passant par le splendide Les Sorcières d’Akelarre de Pablo Aguero, finit le nez crochu ou la comédie, la sorcière incarne la femme libre et épanouie. Puissante et révolutionnaire, métaphore de l’émancipation du patriarcat et des normes, elle attise souvent la jalousie et est accusée sans aucun motif valable par les hommes qui pointent du doigt sa supériorité surnaturelle (métaphore du patriarcat et de l’oppression des femmes qui tentent de s’en émanciper). Ici le mal qu’elle a vécu est refoulé, un traumatisme enfoui sous terre par des hommes qui ont voulu le taire. C’est ce silence qui alimentera sa haine déversée sur les protagonistes par rites macabres et actes de tortures en tous genres. Cette haine atteindra son sommet dans un dernier acte glaçant et terrifiant en réelle exposition des horreurs, le spectateur témoin avec effroi tout comme la protagoniste des sévices subies par les victimes. Tête décapitée, insectes de toutes sortes s’exfiltrant de part et d’autre, globes oculaires décapsulés, peaux infestées… tout y est dans cette soupe de cruautés répugnantes. Les victimes sont par ailleurs souvent remises en question car, bien que manquant parfois de caractérisation malheureusement mis sous couvert par une légère stéréotypisation, elles laissent se questionner le spectateur sur ses positions. En effet, il éprouvera autant d’effroi pour ce qu’il arrive aux « victimes » qu’envers les épreuves traversées par la sorcière, surtout au fur et à mesure de la révélation des énigmes. C’est dans ce tandem entre effroi et compassion que Stamboel s’amuse avec le spectateur, jusque dans une conclusion qui montre que chaque acte à sa conséquence et qu’il nous sera impossible d’oublier nos crimes et nos péchés.

Avec ce remake, l’auteur arrive non seulement à dialoguer entre deux époques par le biais de ses références et du lien avec le film d’origine mais aussi avec une morale actuelle ce qui en fait toute son essence avec ses scènes gores réussies et horribles. Car plutôt que d’avoir bêtement refilmé le film des années 80, il choisit le dialogue en le recontextualisant autrement et en le resituant dans son espace et son temps. Les idées de mise en scène y foisonnent, le tout nous offrant un superbe parcours des horreurs glaçant et haletant qui cultive un sens de l’ambiance et de la tension particulièrement cauchemardesque. Le film sait ce qu’il est : un festival de bizarreries étrangement réjouissant et envoutant. Laissez vous alors ensorceler et ruez vous sur cette rareté du cinéma d’horreur asiatique disponible sur Shadowz.

Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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