2023 en 10 films

Quelle étrange et insaisissable année que 2023, tant au niveau artistique que général. La fin d’année est toujours le moment opportun de tirer le bilan, et bien qu’il serait long et scolaire de revenir sur tous les évènements qui ont marqué l’année dans ce top, il me semble aussi nécessaire cependant d’en faire mention en introduction. Des grèves historiques à Hollywood en passant par ses échecs cuisants, la preuve d’un intérêt différent du grand public semble se dévoiler pour un cinéma qui nous a montré qu’il avait encore les capacités de surprendre et de nous épater. Cette année plus que jamais, il était temps aussi de rappeler que le cinéma n’est pas qu’un art pour l’art, comme aimeraient le dire certains aisés. Cette année plus que jamais, le massacre de Gaza et la montée du fascisme prouvent qu’on ne peut plus détourner le regard et qu’il serait impossible de garder tranquillement les yeux rivés sur un grand écran blanc. Cette année plus que jamais, il devient nécessaire de défendre un nouveau regard d’une vision périmée du septième art qui n’aurait pour but que l’esbrouffe et l’amusement. Bien sûr que l’espoir et les rêves doivent subsister, mais la lutte elle ne doit jamais s’arrêter. Voici donc, sans trêve de bavardages, dix films qui m’ont marqués cette année. Je note également que ni ce top ni cet avant propos n’ont pour vocation de parler au nom de tous mes camarades, tout y est purement personnel.

10. Donjons et Dragons : L’Honneur des voleurs

Certains vont peut-être sans doute déjà se ronger les ongles en découvrant ce premier choix. Et pourtant, il serait triste de penser Donjons et Dragons comme l’énième blockbuster américain de moyenne gamme comme on a pu en trouver à la truelle cette année. C’est peut-être même sans trop s’avancer ce qu’Hollywood a pu proposer de plus créatif et de mieux produit depuis un bout de temps maintenant. Une pure aventure old school de fantasy reprenant à merveille les codes du jeu de rôle pour en tirer les meilleures idées possibles à chaque scène. Tout le principe du scénario semble basé sur le destin et sur le résultat de la chance, l’équivalent du dé dans le jeu. Ce principe rend l’ensemble exaltant et addictif, si bien qu’on en redemande toujours plus. Chris Pine en barde charmant et charismatique, Michèle Rodriguez en guerrière à la force démesurée et un casting sans fautes, attachant et jamais en retrait. Puis parmi les inventives scènes d’action et les moments de rires qui fonctionnent par un merveilleux miracle : c’est la caverne d’Ali Baba. Chaque élément de décor est utile, les créatures possèdent des designs étonnants et originaux (avec une superbe utilisation d’éléments pratiques et d’animatroniques) et la découverte sans cesse de nouveaux lieux intrigants font de cette aventure un vrai travail d’artisans dévoués à des spectateurs en cruel manque de fraîcheur. Non seulement, donc, un excellent film Donjons et Dragons, mais surtout un divertissement de haute voltige qui nous rappelle que celui-ci est un art quand il est bien fait, et qu’on avait tort de l’avoir oublié jusque là.

9. Le Garçon et le Héron

Il a été difficile de manquer le retour sur grand écran de Miyazaki cette année tout comme il a été long de l’attendre après plus de dix longues années. C’est presque dans une mise à nu que le co-fondateur des studios Ghibli continue le testament cinématographique qu’il avait commencé à écrire avec le Vent se Lève et son récit presque autobiographique. Celui-ci livrait une étonnante mise en abyme de l’artiste et de la dévotion aveugle dans son œuvre, un dévastant portrait d’un homme qui malgré lui assimilait la pureté de son imaginaire à la dureté du monde réel. S’il continue de se livrer plus que jamais dans ce qui semblait être un dernier envol mélancolique de l’auteur, la fatalité de sentir le dernier souffle arriver et d’offrir ses derniers instants de souvenirs et de moments passés avec son imaginaire ne peut qu’émouvoir et séduire ceux qui ont grandi avec les films de son créateur. D’une richesse foisonnante, Miyazaki explore les tréfonds de la mort et de l’après, se questionnant sur la trace qu’il laissera dans un monde qui le questionne plus que jamais. Le mélange parfait entre les images marquantes à la portée lointaine qui avaient pu marquer plus jeune et qui faisaient le sel du studio avec les thématiques plus moroses et adultes que Miyazaki souhaite insérer depuis longtemps dans ses films. Peut-être l’un de ses meilleurs ouvrages dans lequel l’auteur nous invite à replonger dedans et sur lequel on pourra de nouveau atterrir afin d’en saisir toutes les subtilités.

8. Blue Jean

Premier long métrage terrassant de la Britannique Georgia Oakley, Blue Jean est une merveille d’interprétation et d’exécution. Un traitement toujours soigné et avec tact de son sujet jusque dans la représentation des lesbiennes et homosexuels qui vivent alors dans une société conservatrice qui ne leur laisse aucune place pour exister. La réalisatrice ne tombe jamais dans le pathos gratuit ou la complaisance, en choisissant toujours de se placer dans un récit réaliste, à hauteur de ses personnages, et de montrer tout aussi bien leur oppression que leur solidarité collective. La véritable force du film c’est celle-ci, celle d’un petit collectif qui finit par faire la différence par l’entraide et la tolérance dans lequel il arrive même à ses propres protagonistes de faire des faux pas sans y apporter de claires réponses. Ce qui compte finalement, c’est le collectif, et c’est ce message qui apporte tant de fraîcheur à un récit qu’on pourrait croire avoir déjà vu tant de fois et qui peut apparaître mince au premier abord. Le dilemme de se cacher ou de faire face à ses propres conséquences. Blue Jean à tout pour elle, sa puissance morale comme son hypnotisante photographie au grain particulier. Un bel exemple de réussite quand il est question d’apporter à une histoire de tous les jours un style et une atmosphère propre et d’en faire ressortir une force cachée puissante. La volonté des Britanniques de ne jamais laisser Thatcher reposer dans sa tombe est à remercier.

7. Le Règne Animal

Le Règne Animal est un magnifique symbole de ce que j’énonçais plus tôt en introduction : la volonté de proposer quelque chose de fort, de frais et de différent tout en essayant de toucher un nouveau public. Un pari au combien réussi pour Thomas Cailley qui livre une superbe fable écologique sur l’adolescence en réussissant à retravailler la figure déjà bien écaillée du monstre (surtout du loup garou) comme apparition des premiers poils pubiens. Dans un paysage où il nous semble parfois difficile de croire à ce que l’on voit, Cailley fait preuve d’ingéniosité et d’artisanat grâce notamment à ses décors boisés en prises de vue réelles ainsi qu’à son bestiaire unique et son utilisation des effets pratiques qui donnent indiscutablement quelque chose de plus saisissant qu’une orgie numérique impossible à distinguer. La prestation de l’impressionnant Paul Kircher n’y est pas pour rien, surtout lors des scènes de métamorphoses qui touchent presque à une horreur cronenbergienne à la fois inquiétante et intrigante. Une ode à la différence, à la nature mais aussi un émouvant portrait père fils porté par la superbe alchimie Kircher et Duris qui explose dans une des plus belles scènes de voiture accompagnée de « Elle est d’ailleurs » de Pierre Bachelet. Cette scène est à l’image du film, une envolée de bonheur qui donne envie de courir à toute vitesse rattraper le cours de sa vie.

6. Mad God

L’expression de l’oeuvre de toute une vie ne conviendra probablement jamais mieux que pour le cas de Mad God de son macabre génie Phil Tipett. La mise en chantier il y a 30 ans de ce film, rêve de son auteur, a permis en finalité de donner lieu à l’une des plus étranges et extraordinaires expériences de cette année. Anti conformiste et profondément nihiliste, Phil Tipett use de son inventivité sans pareille pour livrer un voyage droit dans les enfers de l’aliénation et de l’apocalypse causées par le travail et la cruauté de l’Homme. Une traversée dans la crasse et dans les sombres recoins de la création dans des maquettes saisissantes qui sentent l’huile de coude et la graisse. Le spectateur descend, à l’image de ce petit soldat en casque de fer qui s’apprête à partir dans les mines, dans un univers unique marqué par ses créatures emboitées de diverses parties de corps retrouvées, une idée de décor et de macabre à la seconde. Un univers dans lequel les repères se brouillent et la moralité a été décimée depuis longtemps. Une vertigineuse descente dans les tréfonds de l’âme humaine dans tout ce qu’elle a de plus cruel et de déstabilisant qui ferait même frémir Jan Švankmajer en personne. Expérimental, jusqu’au boutiste et sans barrières, probablement le travail de toute une vie et la mise en image de la lumière noire d’un génie de l’ombre qui n’hésite pas à briser les conventionnalités en repoussant les limites de la stop motion, et son spectateur par la même occasion.

5. Shin Kamen Rider

Autre étrange objet que Shin Kamen Rider, le retour à coup de pied voltige d’un Hideaki Anno plus en forme que jamais. Après la réhabilitation réussite de Godzilla et d’Ultraman dans leurs films respectifs, la “Shin trilogie” se conclue en beauté avec ce concentré pur jus d’action kistch sous acide expérimentale avec aux manettes un auteur en roue libre complète. Un trip sous stupéfiants dantesque et sulfureux dans lequel Anno n’hésite pas à inclure ses thématiques propres en enfermant ses personnages aux pouvoirs inqualifiables dans une solitude existentielle béante. Des chorégraphies d’action aux allures de planches de mangas et de comics qui font saliver bon nombre de ceux qui ont jusque là essayé en vain de toucher du doigt l’ingéniosité et l’impact des coups de chaque bataille. Au delà de l’expérimentation, Anno travaille son cadre et gère magnifiquement son espace et ses enjeux, ses supers héros aux grands pouvoirs paraissent en vérité si petits face au monde qui les entoure et à la vie qui n’attend qu’à être tracée. Le rythme est inqualifiable, entre moments d’une forte énergie entrecoupée par des moments forts d’introspection. Un parfait équilibre entre relecture moderne pertinente et vibrant hommage à l’oeuvre de Shotaro Ishinomori.

4. Désordres

Désordres a remis de l’ordre dans mon top de cette année, une magnifique fable anarchiste au cœur d’une horlogerie d’un canton suisse dans laquelle seul le travail se place au centre du cadre. Cyril Schäublin fait évoluer ses personnages en marge d’une société qui se place au centre du capital et de l’industrie, où l’humain est repoussé pour laisser place à la machine et au chiffre. Le temps est régi par cette même usine, il se place par rapport au travail et s’y réfère. Aucun protagoniste ne se détache si bien que l’amateurisme des acteurs donne lieu à un rendu déroutant et hors conventions hypnotisant et touchant. Tout semble chronométré et millimétré, si bien que leur espace se retrouve resserré. Ils ne peuvent respirer que pendant quelques instants, quand ils se trouvent hors du champ et du capital. La montre et ses cliquetis, grâce à un travail sur le son fascinant et prodigieux, créent un rythme et un rouage à une société enfermée qui souhaite s’émanciper d’un travail qui les rend insensibles au temps qui passe. D’une beauté troublante et d’une ambiguïté difficile à définir, Désordres est une œuvre unique à la vision affirmée qui ne peut que charmer.

3. Anatomie d’une chute

Que dire de plus que ce qui n’a pas déjà été répété maintes fois un peu partout, Justine Triet signe avec Anatomie d’une chute l’un des plus gros succès français de l’année. A défaut d’attendre encore les félicitations que le film mérite amplement depuis la palme d’or, on pourra toujours se délecter de son écriture implacable et impartiale sur le décorticage d’un couple en pleine chute libre. Une introspection en continue de ses personnages et une immersion glaciale dans leurs psychées. Un tour de passe-passe qui manie les genres à la perfection, tout autant drame social que film de procès intense et vibrant. En cherchant à comprendre comment le drame s’est produit et non seulement pourquoi, Triet dresse par le portrait du déchirement de ce couple les sombres dessins d’un système judiciaire qui cherche à trouver le premier coupable venu. Un système qui broie ses victimes et qui les pointent du doigt pour passer à l’affaire suivante le plus rapidement possible. Un véritable choc de l’année d’une maîtrise difficile à décrire sur lequel on se replongera volontiers pour en saisir tous les détails.

Pour un avis plus détaillé, voici le lien de mon article écrit plus tôt dans l’année en cliquant ici.

2. Monster

Monster marque un tournant dans la filmographie de Kore-eda, le renouveau d’un auteur qui décide de sortir des sentiers battus et de parler d’un sujet encore vivement tabou et moqué dans son pays natal. Au delà de sa thématique courageuse et bienvenue, le réalisateur livre un véritable questionnement sur le sujet du monstre rempli de bienveillance et porté par un regard à la fois doux et amer. Ces deux enfants qui se cherchent et se découvrent, grandissent dans une société japonaise qui ne leur laisse aucune autre place que celle du monstre. Celle qu’on pointe du doigt et qu’on décide de mettre en marge parce que soi-disant différent, en dehors des normes. L’inquiétude d’abord d’une mère qui peine à comprendre son enfant, qui devient lui-même un monstre à ses yeux, ce qui permet à Kore-eda de jouer sur la corde sensible du fantastique sans jamais mettre les pieds dedans et ainsi garder une atmosphère unique. La figure du monstre permet d’apporter de l’ambiguïté et de la sensibilité. L’auteur souhaite protéger ses enfants d’un déluge imminent, leur confrontation à la réalité qui risque d’être trop brutale. Contraint de les emmener loin d’un milieu scolaire gangréné par la haine de l’autre et de la différence, il leur crée avec ce refuge dans la forêt un lieu d’espoir et une bulle dans laquelle ils peuvent en paix se retrouver. Un film d’un bucolisme enivrant, comme à son habitude, et surtout une ode à la tolérance renversante nécessaire. Personne d’autre que lui ne pouvait aussi bien parler de cette thématique.

Pour un avis plus détaillé, voici le lien de mon article écrit plus tôt dans l’année en cliquant ici.

1. Aftersun

Jusqu’à la fin de l’année, l’un de ces premiers chocs m’aura hanté. Ayant déjà écrit un article dans notre recueil de l’année, je ne m’étendrai pas davantage sauf en vous rappelant qu’on tient probablement à mes yeux l’un des meilleurs premiers films jamais réalisés. Le film de Charlotte Wells a été un torrent d’émotion personnel. Le portrait de l’absence cruelle d’un père, que la vie a rongé et qui n’arrivait plus à trouver sa propre place. La dernière danse, le dernier souvenir de son père avec le sourire, qui me revient incessamment en tête. Tout est pensé comme un dernier souvenir de voyage d’été, avec cette photographie au grain particulier et aux airs de vieilles cassettes de famille retrouvées. Pari réussi pour la réalisatrice, on a envie de s’y replonger comme si nous étions Sophie nous-même. Il fera sans aucun doute parti de mes sources d’inspirations futures, très grand morceau de cinéma déjà si tôt.

Pour un avis plus détaillé, retrouvez l’article de Charlotte écrit plus tôt dans l’année ici.

Afin de conclure ce top très personnel, je vous souhaite au nom de toute l’équipe et de moi-même une très bonne année prochaine. Merci d’avoir suivi cette année de cinéma riche en espérant que 2024 saura se montrer à la hauteur également.

Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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