Comme l’année dernière à la même période, je vous propose de revenir sur quelques prestations d’acteurs qui m’ont marquées parmi les films que j’ai découverts récemment. Si mon article de l’an passé était beaucoup plus axé sur le cinéma américain, j’ai décidé cette fois de me concentrer sur des films francophones.
D’abord parce que c’est le cinéma que je consomme le plus et dont je préfère le style, mais aussi car je suis toujours plus sensible à une prestation d’acteur lorsqu’elle est en français, logiquement.
En tant qu’amateur de théâtre, je suis toujours attentif aux performances des comédiens à l’écran. Cela fait véritablement partie des choses que je préfère au cinéma ; il peut arriver que je ne sois pas du tout intéressé par un film, mais si les performances des acteurs retiennent mon attention, je passerai malgré tout un super moment.
Revenons alors ensemble sur quelques prestations remarquables.
SOFIANE BENNACER / ÉTIENNE – LES AMANDIERS (Valéria Bruni Tedeschi, 2022)
Synopsis : Fin des années 80, Stella, Etienne, Adèle et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans au théâtre des Amandiers de Nanterre. Lancés à pleine vitesse dans la vie, la passion, le jeu, l’amour, ensemble ils vont vivre le tournant de leur vie mais aussi leurs premières grandes tragédies.
« Tu sais je suis fou, faut que tu le saches. »
Dans ce film qui raconte une tranche de vie de jeunes comédiens portés par la fougue de la jeunesse dans les années 80, on découvre plusieurs personnages marqués chacun par une personnalité bien définie. Au delà donc du personnage d’Etienne (qui est pour moi le plus marquant), c’est toute une troupe de comédiens que l’on apprécie de côtoyer dans ce récit.
Si le personnage principal, incarné par la très talentueuse Nadia Tereszkiewicz, représente la douceur, la candeur et la passion dans un environnement toxique, le personnage campé par Sofiane Bennacer est l’exact opposé.
Etienne est un jeune homme à première vue très étrange voire malsain : ses premières apparitions sont marquées par sa voix rauque et cassée, et son obsession amoureuse pour le personnage de Stella. On pense à ce moment que le personnage, trop étrange, ne sera que secondaire au récit. Mais pas du tout. Il va devenir progressivement le personnage principal de l’intrigue et la réalisatrice nous plonge pleinement dans la tête d’un jeune homme en manque de repère, rongé par la drogue mais animé d’une grande passion, et d’une rage inexpliquée.
Certaines séquences sont très fortes et témoignent de toute cette violence que le personnage renferme. Je pense à une scène dans la voiture où il chante « Le chanteur », de Balavoine ; on y voit tout ce désespoir qui anime le personnage, juste dans ses yeux.
L’acteur livre une prestation qui frôle la caricature mais qui est finalement totalement réussie. Il n’y a aucune fausse note, et ce personnage reste crédible malgré tout.
Passionnant.
Au delà de ce personnage, Les Amandiers est un film puissant sur la noirceur de certaines relations humaines, sur fond d’histoire d’amour et de théâtre.
VIRGINIE EFIRA / RACHEL – LES ENFANTS DES AUTRES (Rebecca Zlotowski, 2022)
Synopsis : Rachel a 40 ans, pas d’enfant. Elle aime sa vie : ses élèves du lycée, ses amis, ses ex, ses cours de guitare. En tombant amoureuse d’Ali, elle s’attache à Leila, sa fille de 4 ans. Elle la borde, la soigne, et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre…
« À la fin de la journée c’est vous son père et sa mère, pour toujours. Je resterai une figurante. »
Voilà maintenant plusieurs années que Virginie Efira s’est imposé comme l’une des actrices les plus talentueuses du paysage cinématographique francophone. L’actrice Belge ne cesse d’enchaîner les gros projets et est chaque année pressentie pour remporter les fameuses récompenses que l’on offre aux meilleurs acteurs et actrices. Elle a finalement obtenu le César de la meilleure actrice pour son magnifique rôle dans Revoir Paris d’Alice Winocour, sortie également en 2022, ce qui couronne donc une magnifique année pour l’actrice.
En effet, dans Les enfants des autres, Virginie Efira interprète avec une sensibilité exquise une femme sans enfants qui, en tombant amoureuse d’un homme qui avait déjà fait sa vie, va également apprendre à aimer un enfant qui n’est pas le sien. Sa solitude habituelle est bouleversée par cette nouvelle rencontre, et ces nouvelles responsabilités.
On découvre une femme dévouée, sensible, généreuse, et aimante envers cet enfant qu’elle « apprivoise » petit à petit. D’une rencontre timide à la sortie du métro, va naître une relation de confiance et de partage entre cette petite fille de quatre ans et le personnage de Rachel. Elle est prête à faire beaucoup d’efforts ; elle s’en occupe comme sa fille en allant la récupérer à ses activités, en discutant avec les autres parents d’élèves. On découvre aussi une femme extrêmement intelligente qui essaie d’entretenir de bonnes relations avec la vraie mère de Leila ; malgré cet amour qu’elle porte à cet enfant, elle sait que ce n’est pas le sien et essaie toujours de rester à sa place, et de ne surtout pas faire croire qu’elle voudrait remplacer qui que ce soit. Mais ces beaux moments sont aussi contrebalancés par la cruauté des enfants et de la difficulté que cela représente de se faire adopter par eux. La détermination et le dévouement du personnage sont d’autant plus touchants.
En rencontrant cet homme, Rachel change de vie. Mais cette nouvelle vie n’est pas stable, et elle reste finalement étrangère au cercle familial. C’est là toute la difficulté pour le personnage : s’intégrer sans prendre trop de place. C’est minutieusement retranscrit à l’écran par Virginie Efira.
MELVIL POUPAUD / LAURENCE – LAURENCE ANYWAYS (Xavier Dolan, 2012)
Synopsis : En 1989, Laurence Alia célèbre son 30e anniversaire au restaurant en compagnie de Fred, sa petite copine. Quand il lui révèle son projet le plus secret, le plus brûlant, celui de devenir une femme, leur monde bascule. Après une retraite légitime en famille pour réfléchir, Fred accepte d’accompagner Laurence tout au long de cette métamorphose. Une nouvelle vie commence, qui semble débuter dans la tolérance et la simplicité…
« Ça fait trente cinq ans que je vis comme ça et c’est un crime. »
Dans une grande fresque cinématographique comme Laurence Anyways, il est crucial que le récit soit porté des acteurs capables de tenir le spectateur éveillé pendant une longue durée. C’est évidemment le cas ici.
Dans l’un de ses films les plus ambitieux, Xavier Dolan offre à Melvil Poupaud l’un des plus beaux rôles, l’un de ses personnages les plus riches.
Évidemment, la richesse de la prestation repose en grande partie dans le fait que le film raconte une histoire de changement de sexe. Forcément, l’exigence d’une telle proposition impose à l’acteur de proposer une partition nuancée, sans tomber dans le cliché et la caricature. Le plus dur pour l’acteur est que l’on commence à suivre le personnage avant sa transition. Il faut alors créer un personnage crédible en tant qu’homme et en tant que femme, en évoquant subtilement, dans le jeu, dans le regard, le mal-être de l’âme qui se cache derrière ce corps. C’est ce que j’ai trouvé fantastique avec cette prestation ; réussir à rester simple avec un rôle si complexe.
Il y a assez peu à dire sur ce film et cette prestation, beaucoup l’ont déjà vu. Il faut dire que Laurence Anyways est véritablement un grand film et le travail de l’acteur est ici sublimé par des costumes magnifiques et par des idées de réalisation fabuleuses, qui ajoutent beaucoup à la subtilité du personnage. L’écriture des répliques participe aussi beaucoup à cette réussite.
Ainsi, pour les quelques personnes qui seraient passées à côté, cet article est l’occasion pour moi de vous conseiller ce film. C’est vraiment une superbe expérience.
Le film ne tombe jamais la radicalité malgré une thématique aussi radicale que le changement de sexe : c’est là que l’on peut voir tout le génie et l’intelligence de Xavier Dolan, qui a écrit et réalisé tout ça à seulement 23 ans.