On a toutes et tous déjà rêvé d’une vie meilleure. Cette vie se construit entre fantasme et lubie, et ne dépend que d’une subjectivité parmi les autres. Ma meilleure vie à moi, ne sera pas la meilleure vie d’un autre et ainsi de suite. Pour Anora, une vie meilleure, c’est une vie où elle pourrait s’échapper de tout ce qui la construit actuellement, voguant entre les murs du sexe. Tandis que pour Vanya, une vie meilleure, c’est une vie où il serait un peu moins con-formé par une richesse facile, qui, l’autorise à vivre généreusement, mais l’empêche d’aimer comme il l’entend. Mais alors, ne pas aimer au rythme de son cœur, ne reviendrait-il pas au final à ne pas vivre du tout ?
Anora débutait pourtant mal, un travelling sur des culs de femmes. Aussi misogyne soit-elle, la caméra nous montrait, une fois de plus à Cannes, le corps féminin gratuitement dénudé en compétition officielle. Mais Sean Baker s’en sort bien, non pour la première fois, avec sa thématique de prédilection, la prostitution. Il s’en sort bien car son sujet et ses antagonistes viennent toujours justifier sa finalité. Son propos se veut intéressant, voire nécessaire concernant la condition des travailleuses du sexe, rappelons-le, le plus vieux métier du monde.
Anora, ou plutôt « Ani » est subjuguante de charme et d’attraction. Elle est strip teaseuse à Brooklyn, et c’est un soir parmi les autres, qu’elle rencontre Vanya, le fils d’un oligarque russe. Vanya va lui promettre une vie qu’il ne peut lui promettre, et Ani va croquer cette vie à pleines dents, et s’y accrocher comme si le miracle existait. Le miracle existe peut être oui, mais il n’est pas la où Anora l’attend.
Vanya lui paye d’abord des heures, des journées, puis des semaines entières – jusqu’à lui payer un mariage. Ce mariage, bien sûr, Anora y croit. Qui n’y croirait pas ? Ou plutôt qui se refuserait d’y croire.
Pourtant, la gueule de bois est bien là et la substance qui guide chaque acte de Vanya est si évidente qu’on se demande quelle cupidité a bien pu traverser Anora, au tempérament si affirmé. Ce récit est véritablement partagé en deux, une étoffe de bonheur kitsch sous forme d’instants de joies, construits à base de rien, ou plutôt de tout (d’argent). Et la désillusion inévitable, attendu par le spectateur car ostentatoire. Le film de Sean Baker prend alors un tournant peu attendu, celui de la comédie en quasi road movie. Car tout est risible dans cette bataille à l’honneur où tous personnages est cliché. Mais ce qui ressort, tout le temps, c’est Mikey Madison. Elle est excellente en cette Anora cabossée et resplendissante, qui a bien tout à perdre dans cette histoire. Alors, aussi étonnant cela peut-il être, Anora trouve une balance, un équilibre presque parfait, entre humour et représentation des classes.
Sa conclusion est touchante, et nous rappelle que la société construit. La société apprend à devenir un personnage, et à se cantonner à un rôle. Oui, Anora ne sait rien faire d’autre, que ça. Alors elle fait ce qu’elle pense être juste, ce qu’elle pense qu’on attend d’elle, toujours ; son corps.
Aussi surprenant, au sens positif du terme, soit le récit, il n’échappe pas au male gaze. Les « blagues » sur les agressions sexuelles ne manquent pas, et cette fois-ci le sujet n’en justifie pas sa finalité. Anora reste un excellent film en lice pour la palme d’or, mais surtout et espérons le, le prix de la représentation féminine pour Mikey Madison
La Note
8/10