Athena brille au milieu des flammes


Athena est un film réalisé par Romain Gavras avec Sami Slimane, Dali Benssalah et Anthony Bajon, sorti sur Netflix le 23 septembre 2022

Synopsis : Quelques heures après la mort de leur jeune frère de 13 ans dans des circonstances douteuses, une fratrie se déchire en semant le chaos ou en essayant de l’étouffer, dans la cité fictive d’Athena.


Le réalisateur français Romain Gavras à la jeune filmographie enthousiasmante (Notre Jour Viendra, Le Monde est à Toi) a pondu en cette rentrée son nouveau bébé sur la plateforme Netflix, avec pour objet d’étude une désormais traditionnelle banlieue supra chaude, au bord de l’implosion, et donc fascinant théâtre de drame à fleur de peau. Comme c’est désormais une règle d’or non dite, le nouveau film de banlieue fait polémique, on lui désigne sa politique, et plus il a de succès, mieux c’est.

Un plan-séquence magistral ouvre le film, et donne le ton au reste de l’œuvre. En effet, contrairement à la plupart des films qui mettraient énormément d’efforts au creux d’un plan d’ouverture assez long pour faire ouvrir quelques bouches, Athena se montre très audacieux en faisant du plan-séquence son mètre étalon, son tempo planant et parfaitement réfléchi en contre-poids avec ce qu’il montre, pour donc s’en ériger amplificateur. En plus de réussir la prouesse technique d’un « vrai » plan-séquence à l’ère du raccord numérique, celui-ci aura une véritable charge émotionnelle tendue et palpable en liant deux des frères touchés par la tragédie et en exposant par la même occasion leur terrible et fatale opposition.

« Je sais que je ressemble à un poisson, mais un poisson qui joue bien, eh »

Tragédie est en effet cette histoire épique bien inspirée Grèce antique (comme le laisse subtilement deviner le titre), et la transposition avec les enjeux de la cité se fait tellement bien qu’on aurait mis une petite pièce sur des origines banlieusardes à Homère. La fratrie dramatiquement déchirée par un destin excellent scénariste, les remparts de la cité d’Athènes/Athena défendus par une armée de soldats « sauvages » contre les forces de l’ordre spartiates et impersonnelles, allure presque colonialiste contre indigènes souhaitant exercer la sentence que la vie leur a appris, passerelles d’abordage et feux guerriers, nous voilà retournés quelques millénaires plus tôt, dans une « galaxie » qui semble de moins en moins lointaine.

L’intrigue en trois unités (temps, lieu, action) et sa portée hors-cinéma ne se trouve alors pas forcément être la finalité du film, bien qu’elle en soit le cœur. L’histoire est largement sous-jacente à la mise en scène, voilà une approche d’une raréfaction peut-être déplaisante. Athena ne se prétend pas porteur d’une bonne morale, il cherche le sensationnel, en fait son code de conduite et par cela y excelle car l’utilisation d’une base aussi solide que les fondations d’un récit antique permet l’éclosion des possibilités de la caméra, des sensations et des émotions qu’elle est capable de porter et dont elle n’attend que la délivrance. Dans un tel cas de film si amoureusement réalisé il est donc possible de voir le style comme étant la substance du film, et non son scénario, ses personnages, ou pire, son message politique, comme tentent de le convaincre trop de journalistes.

Propos vulgaire, vision caricaturale, chaque petit bout de film est utilisable pour critiquer de façon grotesque le scénario prétendument vide et à la morale vernie d’hypocrisie. Pourquoi un message si flou, secondaire et informé par bribes devrait-il prendre le pas sur cette esthétique si unanimement adulée ? L’intérêt ne se trouverait-il pas justement dans le regard perdu et aveuglé des personnages face à l’impossibilité de savoir, de comprendre la cause de toutes leurs peines ? Jamais ce n’est le souci des auteurs de vouloir à tout prix trouver un coupable à la violence, seule importe la violence, seules font vaciller ses conséquences (jusqu’au dernier plan, dont nous reparlerons plus tard). S’il faut absolument une position politique au film, elle est bien celle-ci : ne pas donner de leçon, le mal est déjà fait, et depuis bien plus longtemps que le début du métrage.

Aux portes de la Cité

La sauce flambée prend admirablement grâce à la justesse du film et à la multitude d’artéfacts cinématographiques distillés sans concession à droite et à gauche, et même si le fils de Costa-Gavras n’est pas le plus grand directeur d’acteurs, difficile de rester insensible aux performances de Sami Slimane et Dali Benssalah, dont l’âme paraît écorchée vive et mise à nu devant la caméra. La photographie prodigieuse de Matias Boucard (Eiffel) finit d’esthétiser l’action jusqu’à son paroxysme et permet à son cinéaste de rendre des moments de grâce pure au pinacle du tragique. Tout finit par brûler, dans le théâtre diégétique d’une réalité « fantasmée » par un œil dont le regard perce jusqu’à l’os le chaos pour en tirer son (irréelle) beauté.

Boum. Écran noir. Mais ce n’est pas encore fini. Un dernier plan/scène s’infiltre après ce qui devait représenter une fin parfaite, et c’est là qu’une réserve peut poindre. Le plan-séquence de trop, le genre à bannir en salle de montage, quand bien même il aurait dépassé le stade de l’ébauche. Au moment où le poème touche à sa fin, un équivalent de distique final d’apologue appuie là où il ne fallait pas. Comme si Gavras se forçait d’amener grossièrement ce qu’il avait pris le soin de ne pas expliciter, ce sur quoi il avait fait le pourtant merveilleux choix de ne pas insister. S’il fallait donner raison aux détracteurs, voilà la remise en cause légitime que l’on aurait aimé garder au fond du tiroir, bien qu’elle n’impacte pas la grandeur sensorielle des 90 minutes qui la précèdent, et qu’un pamphlet contre l’extrême droite pourrait être qualifié de code moral (ce qu’on avait auparavant écarté du propos du film).


Que l’on décide de réduire une œuvre filmique au statut d’objet politique ou non, il serait dommage de se refuser à l’expérience profondément violente et (donc ?) puissante qu’offre Athena, la nouvelle petite claque de Romain Gavras, une exploitation immense et intense des possibilités du Cinéma, que vous n’aurez désormais aucune excuse de manquer, car si le nombre d’abonnés Netflix (personne n’est parfait) parvenaient à élever une production originale à une postérité méritée, peut-être les distributeurs français repenseront-ils à la possibilité de diffuser ses semblables en salle


La Note

8/10

Note : 8 sur 10.

Samuel Dumas
Samuel Dumas
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