Godzilla Minus One, le Japon à l’américaine ?


Godzilla Minus One est un film réalisé par Takashi Yamazaki avec Ryônosuke Kamiki, Minami Hamabe et Yuki Yamada sorti le 7 décembre 2023 en France.

Synopsis : Dans un Japon durement affaibli par les ravages de la Seconde Guerre Mondiale en 1945, une créature inconnue venue des fonds marins vient mettre à épreuve la capacité de résilience des habitants. La survie étant déjà compliquée, comment riposter ?


Carton au Japon, hit aux US, le nouvel angle d’attaque à la franchise Godzilla (au nombre de films aussi gigantesque que la créature elle-même) n’aura bénéficié en France que d’une sortie confidentielle, 2 petits jours d’exploitation dans un nombre de salles restreint en IMAX ou 4DX. Si cela reste plus honorable que l’expédition directe en vidéo du dernier reboot/prequel/que sais-je Godzilla nippon (Shin Godzilla ou Godzilla Resurgence chez nous) force est de constater que le lézard géant raconté par son pays d’origine ne fait pas autant saliver les distributeurs et spectateurs français que sa réinterprétation américaine.

Godzilla Minus One entend à nouveau reprendre le mythe du monstre japonais à zéro (ou à moins un ?) puisqu’il fait complètement fi des innombrables suites au film original de 1954 produites par la Tôhô sur une cinquantaine d’années, ainsi que du premier film lui-même (l’histoire se situe avant) et du Shin de Hideaki Anno Et Shinji Higuchi. Takashi Yamazaki, réalisateur de ce nouveau volet, emprunte un chemin bien différent du film de 2016, qui impressionnait avec son intrigue bureaucratique et ses actions du gouvernement pointées du doigt. Car même si l’envie derrière les deux films se ressemble, jusque dans le design du Godzilla numérique, Minus One raconte son histoire non pas par le prisme du collectif décideur, mais de l’individu contraint. Cela promet une beau complément au film de Anno et Higuchi, mais à quel prix ?


Grrr

En situant son intrigue immédiatement après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, le réalisateur éprouve la nécessité de revoir avant tout le géant à hauteur humaine. À vrai dire, comme tout (bon) film Godzilla, Minus One n’est pas un film sur la créature. La narration nous fait comprendre dès les premières scènes, à travers le personnage de Shikishima, que Yamazaki fait un film sur l’humain qui essaye de se reconstruire aussi rapidement que les bâtiments qui l’entourent. Car si, au Japon, le travail assidu des ouvriers permet à une vitesse surprenante de faire reprendre forme aux villes détruites, la destruction individuelle de l’âme de chaque victime de la guerre nécessite une toute autre méthode de réparation, bien plus longue et ardue.

Dans le film, il n’est pas question de renchérir sur l’aspect politique qui pourrait découler du symbole de Godzilla, puisqu’explicitement le gouvernement est relégué à l’arrière-plan, il n’entreprend rien sous prétexte qu’une opération de grande ampleur attiserait le conflit entre les États-Unis et la Russie. La décision scénaristique est un peu absurde, mais elle permet de mieux mettre en valeur l’initiative d’une réunion autonome d’êtres humains, dont le poste peut être important mais dont la fonction peut tout à fait être appelée au dépassement (le marin inexpérimenté, le chercheur propulsé en stratège…). En mettant l’accent sur l’honneur et le sentiment national des japonais, Yamazaki fait de son long-métrage un vrai objet issu de la culture nippone, et il fait de la figure du monstre géant non pas un obstacle à surmonter mais une punition à accepter. Le voyage du héros à l’américaine de Joseph Campbell paraît loin.

Poursuivis par une modélisation Blender

Pourtant, ce film qui semble si fier de présenter son « Gojira » comme une version activement différente du Godzilla américain se pare de bien des méthodes formelles qui n’en dérogent pas beaucoup et lui font même écho.

Dès la première apparition du gros lézard à l’écran, c’est la mise en scène qui est à mettre en chef d’accusation. Hautement sensationnelle, jouant sur des effets de surprise et de tension comme bien d’autres films l’ont fait avant lui, elle ne respire pas l’exotisme promis aux amateurs de changements (ou d’un retour aux sources). Le découpage est efficace, certaines acrobaties renvoient presque à ce que Spielberg faisait avec son Jurassic Park (un furtif mouvement de caméra pour montrer deux actions dans une même plan), indiquant bien que le réalisateur derrière le projet sait comment mettre en scène agréablement une séquence d’action, mais tout ceci n’est pas marqueur d’une singularité que le film aurait pu entretenir. Rentrant dans des cases, des ficelles pré-conçues, Yamazaki se contente de bien effectuer les démonstrations techniques popularisées par le cinéma américain plutôt que d’en trouver un envers.

La manière dont les petites composantes de tension au sein même de la scène sont arrangées dans cette intro se diffuse par ailleurs sur l’ensemble du film, à échelle plus importante. Quasiment tous les développements émotionnels des personnages sont prévisibles, redondants. Encore une fois, ils ne pâtissent de leur mauvaise application, mais simplement de leur application effective. Pourquoi aller voir un Godzilla japonais si nos yeux finissent par rouler dans leur orbite devant un climax visible à des kilomètres, en tout point similaire à ce que le cinéma hollywoodien a contribué à faire de la créature ? Pire, ce cinéma-là nous épargnait au moins le flashback explicatif qui ne vient que rendre le récit plus artificiel et peu consistant, car remettant en question même la principielle suspension d’incrédulité du spectateur. Mais alors, où est l’intérêt ?

« Pourquoiiii ? Pourquoi vous pouvez pas vous empêcher de faire comme les ricains ? »

Là où le film vient, à mes yeux, trouver toute sa justification (son excuse), c’est dans l’affirmation d’un point de vue qu’il serait impossible de développer à Hollywood. Godzilla Minus One est un film 100% japonais, ici pas d’accord Tôhô-Warner pour une bâtardisation du kaiju, on ne peut envisager les thématiques abordées par le film que sous le prisme de la culture et de l’éthique japonaise, qui doit significativement altérer notre perception desdites thématiques.

Le protagoniste, par exemple, exposé dans l’incipit comme un kamikaze déserteur, possède un arc narratif de rédemption quasiment identique à tout bon héros yankee. Mais si l’on prend ceci dans le contexte de l’armée reformée d’elle-même par ses parties composites au cours du film, il faut compter combien le sens de l’honneur des japonais décuplé vient entrer en collision avec la nécessité primale de survie qui guide avant tout les pas du personnage de Shikishima, et de ce fait donne au récit une puissance impensable pour les standards occidentaux. De même que la relation entre Shikishima et Noriko, mère improvisée d’un enfant abandonné, prend une ampleur particulière par rapport à la quête pour retrouver l’humain qui frappa le Japon après les bombardements, les pays anglo-saxons n’ayant jamais connu d’équivalent dans leur histoire moderne. À l’évidence, parler de sacrifice dans un pays qui connaît le hara-kiri demeure autrement plus impactant que dans ceux qui ne le connaissent pas.

« Tu viens de dire quoi toi, le français derrière son ordi ? »

Toute la mise en scène autour du monstre Godzilla, notamment lors des (rares) scènes de destruction massive, participe également à ce jeu des cultures. On traite Michael Bay de feignant lorsqu’il se met à filmer ses Transformers à leur hauteur, et non plus à taille humaine, alors qu’il est plus difficile d’arriver à ce même constat rapide pour Takashi Yamazaki. Prenant le parti louable de river d’abord sa caméra sur les petites gens écrasées par des énormes patounes et un rayon de la mort, renaissant donc individuellement pour périr collectivement, le réalisateur ne peut s’empêcher ensuite de faire prendre tout le cadre à sa créature, et même de suivre ses courbes de manière très frontale et presque trop spectaculaire pour le reste de la séquence.

En fait, c’est comme si, au milieu de cette expression très majestueuse de Godzilla qui met toujours dans le champ un élément référentiel afin d’exhiber la taille démesurée de la bête, la caméra était inéluctablement attirée par elle, et dans sa fascination n’avait finalement d’yeux que pour elle. L’interprétation peut paraître exagérée, mais elle ne l’est pas tant quand l’on sait le respect qu’entretiennent les japonais avec les grands mouvements qui les dépassent, les fluctuations du temps et le céleste. Ici, le respect passerait donc par cette mise en valeur esthétique, ou plutôt vénératrice. Par ailleurs, la retranscription japonaise de « Gojira » s’effectue généralement avec le syllabaire katakana, utilisé pour des mots étrangers ou des sons sans sens, ce qui, adapté en anglais, ne ferait pas du symbole « God » dans « Godzilla » qu’une invention purement américaine. Le nom est d’abord contracté des appellations du gorille et de la baleine, certes, mais les subtilités de la langue japonaise n’excluent pas non plus des origines divines à Godzilla.


En clair, ce nouvel opus consacré au plus fameux des lézards s’inscrit dignement dans la lignée des reboots japonais visant à remettre à l’honneur les monuments de la culture du pays, après l’initiation par le film Shin Godzilla, donc, mais aussi Ultraman et Kamen Rider (tous deux assortis du patronyme « Shin », signifiant « nouveau »). Cela prend forme dans Godzilla Minus One grâce à la démarche de son cinéaste qui ne vient pas chercher de nouvelle stratégie d’attaque à la franchise, mais plutôt confronter les méthodes préexistantes de narration popularisées par l’occident au contexte dans lequel elles sont utilisées (en l’occurrence, dans un pays de l’orient). L’instrument est le même, mais la caisse de résonance diffère. En se reconcentrant sur l’aspect humain qu’implique Godzilla, le film gagne en potentiel moral ce qu’il perd en teneur émotionnelle. Le résultat, un peu étrange il faut le dire, a ceci d’important qu’il est la preuve qu’un schéma monolithique comme celui qu’il reprend peut avoir, à l’instar du Japon d’après-guerre, une seconde vie, et même une troisième, quatrième, qui sait ? Entre les mains d’un cinéaste japonais, tout est possible !


La note
7/10

Note : 7 sur 10.
Samuel Dumas
Samuel Dumas
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