Lecture architecturale du cinéma japonais d’après guerre

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, nombreuses sont les régions à avoir dû résoudre des problèmes de relogement et de reconstruction des espaces touchés par le conflit. Dans cette optique de reconstruction et de relogement, certains pays ont subit une influence culturelle dans les méthodes mise en œuvre pour rebâtir les villes. Le japon se relève alors de cette période tragique en subissant donc l’impérialisme culturel américain, le pays n’échappe donc pas aux nouvelles pensées occidentales en matière d’architecture. Commence alors à se dessiner dans les villes de grands bâtiments, aux tailles monumentales et démesurées, une épure formelle effaçant tout le patrimoine des motifs traditionnels japonais, le tout en cohabitation totalement hétérogène avec l’architecture japonaise existante (construction en bois, maison jardin, élévation sur pilotis). Cette émergence de nouvelles architectures va être observée à travers deux grands mouvements du cinéma japonais qui furent contemporains de ces nouvelles constructions: Le second âge d’or du cinéma japonais (1950-1959) et la nouvelle vague japonaise (1960-1973). Il est alors intéressant de chercher à comprendre quel regard les cinéastes ont vis à vis de ces changements radicaux dans le tracé des villes.  

La génération des grands cinéastes dis classiques au Japon ont connu le pays avant et après guerre et témoignent à travers leur film d’un regard sur les conséquences architecturales induites par l’impérialisme culturel occidental. Yasujirō Ozu met en scène ce point de vue à l’aide d’un contraste entre les intérieurs et les extérieurs.

Image extraite de Voyage à Tokyo (1953) de Yasujirō Ozu

Les intérieurs sont majoritairement chez Ozu un lieu d’architecture traditionnelle, et où les séquences tendent vachement à une atmosphère confortable autant pour le spectateur que pour le personnage. Les microcosme familiaux mis en scène principalement dans les intérieurs de maisons offrent constamment un confort dans les images car ils créent des projections de moments familiers au spectateur et assimilent un décors posé à cette atmosphère. 

Image extraite de Le goût du saké (1962) Yasujirō Ozu

Les extérieurs chez Ozu vont cependant être le lieu de la nouvelle architecture japonaise, visant vers le monumental et qui ramène l’humain à une échelle démesurée pour lui. Ces plans urbains sont souvent le lieu d’une nécrose urbaine qui rongent les personnages et crée une distance avec eux, on est alors dans un inconfort vis à vis de ces images, qui vient appuyer le contraste avec les intérieurs. 

Image extraite de La rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi

Cependant là où par l’usage du contraste, Ozu distancie réellement les types de bâtis, Mizoguchi vient plutôt mettre en scène leur hétérogénéité dans l’inclusion d’une nouvelle architecture sur un existant. Dans La rue de la honte (1956) Mizoguchi filme dans un bâtiment qui se dessine comme une greffe, ce qui donne l’impression d’une architecture urbaine qui vient dévorer l’existant traditionnel. On a alors là un traitement de cette relation entre deux architectures par le fait de filmer comment elles interagissent ensemble, et non de traiter individuellement leurs rapport aux humains. 

La nouvelle vague japonaise, l’autre grande période du cinéma japonais, qui succède à l’âge d’or du cinéma classique porté notamment par les deux cinéastes cités précédemment, nait de l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes plus jeunes qui ont pour la plupart plutôt évolué directement au sein de ces changements. Cela s’observe notamment chez Yoshishige Yoshida, qui déjà ne filme pas des microcosmes comme Ozu ou Mizoguchi mais qui filme plutôt des individus qu’il isole constamment dans le cadre par l’architecture, concept qui lui est grandement inspiré par l’un de ses maîtres: Michelangelo Antonioni. Les individus filmés par Yoshida sont des jeunesses névrosés qu’il isole par la mise en scène dans ou devant des architectures modernes et très rigides. 

Image extraite de Femme et Flamme (1967) de Yoshishige Yoshida

En opposition à cette idée chez Yoshida de ne traiter d’architecture par les moyens du cinéma presque qu’à travers l’architecture moderne, Matsumoto lui viens plutôt requestionner le rapport de Ozu à cette émergence moderne en cherchant un renversement de son idée de contraste architectural par une relecture de ce dernier. Cependant dans Les funérailles des roses (1969) le traitement de l’architecture se ramène plus à une étude des foules. La jeunesse qui y est filmée se meut dans des espaces urbains et modernes avec un certains confort, comme l’on peut le voir à travers les scènes de soirées dans des bars où dans des appartements. Cette aisance de la jeunesse trouve son point fort de contraste dans la fin du film qui ramène cette jeunesse au passé réactionnaire du Japon notamment à travers une architecture traditionnelle qui ne peut plus tenir sa pureté esthétique dans un monde où les gens s’en sont échappé. Cette scène pleine d’angoisse vient rompre par une conclusion aussi tragique que sublime le confort moderne de cette jeunesse. 

Image extraite de Les funérailles des roses (1969) de Toshio Matsumoto

Finalement si l’on s’intéresse à l’architecture japonaise dans le cinéma on observe que le les films agissent comme témoins d’une même histoire du Japon moderne mais que la diversité de cinéastes l’ayant filmé permet des observations et des constats différents sur un même élément historique. 

Kelsang Rastoldo
Kelsang Rastoldo
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