La Passion de Dodin Bouffant -Alchimie en cuisine

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es » semble nous chuchoter Dodin (Benoît Magimel) dès le début de La passion de Dodin Bouffant. Et il est assez tentant de répondre « absolument tout » tant la (longue) scène d’ouverture, qui nous présente le fonctionnement et l’organisation d’une cuisine réputé du XIXe, mettant en valeur de façon tout à fait exquise un défilé de plat dont on va suivre la confection du début à la fin. Articulé autour de nombreux plans séquences ayant toujours pour finalité de prendre, en pleine cuisson, dans la marmite, les aliments. La caméra de Trần Anh Hùng oscille entre les mouvements de Eugénie, la cuisinière (Juliette Binoche), Dodin le gastronome ainsi que chef des lieux, et Violette, la serveuse.

Il est déjà saisissant de constater l’alchimie entre les individus qui s’exécutent dans un espace qui paraît presque trop petit pour eux, tant leur mouvement apparaissent clairement comme étant l’articulation d’un travail commun, se croisant sans jamais s’entrechoquer. Les gestes de chacun répondant à ceux des autres dans un ballet gustatif rythmé par le sont des couteaux sur les planches, des casseroles que l’on remue et des plats qu’on assaisonne. Là se présente à nous une délicieuse impression de synesthésie tant chaque image, souvent enrobées par un voile de vapeur, semblent s’adresser à notre palais et à notre odorat autant qu’à notre rétine.

Mais, bien que parlant de la recherche du goût ainsi que de l’éducation à celui-ci (en cela, une scène entre Dodin qui fait goûter un pot au feu à la jeune Pauline, jouée par Sarah Adler, semble évoquer aussi bien la gastronomie que le cinéma en général, expliquant que le goût est une capacité empirique), La passion de Dodin Bouffant n’en demeure pas moins une histoire d’amour. Celle de Dodin qui fait la cour à Eugénie, qui paraît toujours si proche de lui et pourtant tellement hors de portée. Elle, qui gîte dans le domaine du gastronome, devient l’objet de ses discrets déplacements nocturnes pour aller à sa porte et ainsi découvrir si celle-ci est (trop rarement) ouverte ou (trop souvent) fermée. Il ne nous échappe pas donc, dans l’exercice de la cuisine, que chaque manipulation pour extraire, séparer et transformer la matière, est accompagnée d’un érotisme certain.

Le corps de Eugénie, lorsqu’il est disposé aux mains de Dodin, est comparé dans un parallèle, toujours culinaire, à une poire qui trône comme pièce maîtresse d’un dessert dont le plaisir savoureux octroyé serait malheureusement toujours trop court. Il serait cependant mal avisé de ne voir en Eugénie rien d’autre que la muse d’un génie créatif. Si la cuisine tourne, c’est avant tout grâce à elle. Elle le dit bien elle-même, si elle est aussi bonne cuisinière, c’est parce que sa mère lui a appris. Elle a, en plus de son talent pour les arts culinaires, une compréhension précise des attentes de Dodin, ce qui la place en clé de voûte de l’œuvre de ce dernier. Un rôle apprécié à sa juste valeur par les gentilshommes qui ont le plaisir de déguster les préparations et qui regrettent son absence à table.

« Je converse déjà avec vous quand vous mangez ce que j’ai préparé » dira t-elle, assumant une conception de la cuisine comme étant, plus qu’une simple façon de subvenir à un besoin essentiel, un moyen de communication, une composition de l’esprit qui viendrait s’exprimer par l’intermédiaire des différentes saveurs et textures pour traduire une idée où raconter une histoire. Les plats sont considérés comme des œuvres d’arts qu’il est possible de reprendre pour en proposer une réinterprétation, à l’image du fameux pot au feu, présenté comme un met typiquement français et peu raffiné, que Dodin souhaite remanié pour le servir à un prince, dont il n’apprécie guère la façon d’organiser les repas, et ainsi lui manifester ce qu’il considère comme étant la seule et véritable approche du goût.

Bien que splendidement inspiré lorsqu’il s’agit de filmer les cuisiniers à la tâche, Trần Anh Hùng demeure également impeccable pour dépeindre les banquets comme des moments de grâce et de poésie uniquement consacrés à l’appréciation la plus juste et subtil de la matière travaillée, organisée et préparée qui se présente dans les assiettes. Et lorsque l’être aimé vient à partir, les adieux les plus bouleversants se font, comme pour les artistes, dans la reconnaissance de leur travail. Ici Eugénie s’en va en étant, pour Dodin, bien plus que sa femme : sa cuisinière.


La Note

9/10

Note : 9 sur 10.
Robin Charrier
Robin Charrier
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