Les Bonnes Etoiles de Kore-eda : splendide nébuleuse

Après son passage en France afin de réaliser La Vérité avec en tête d’affiche Juliette Binoche et Catherine Deneuve, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda a cette fois-ci choisit la Corée du sud comme destination pour y réaliser Broker ou Les Bonnes Etoiles en français. C’est donc le deuxième long métrage du cinéaste qu’il tourne en dehors de son pays natal avec au casting Song Kang-Ho (Parasite, Memories of Murder) ayant par ailleurs remporté le prix d’interprétation masculine à la dernière édition de Cannes en mai dernier, Gang Dong-won (Peninsula), Bae Doona (Cloud Atlas, Sense 8, Linda Linda Linda) ainsi que l’artiste coréenne IU entre autres. Sans aucune surprise le film est une vraie réussite : un drame poignant en continuité dans les thématiques si chères à son réalisateur sur les liens humains et notamment familiaux traités ici par le biais d’une histoire d’abandon de bébé dans une « baby box » (à savoir une boite où les mères peuvent y déposer leurs bébés quelque part afin d’éviter qu’ils soient abandonnés et laissés en extérieur. Ce concept ayant émerger à la suite de l’explosion des abandons de nourrisson dans le pays).

La petite famille au complet

Le thème était donc fait pour le cinéma de Kore-eda, retraçant très souvent la chronique d’une famille maladroite qui de plus est composée majoritairement par des personnes qui n’auraient jamais du se rencontrées et qui vont finalement se nouer des liens, à la manière d’Une Affaire de Famille par exemple (la morale étant évidemment que les liens spirituels sont plus forts que les liens du sang, famille que l’on ne peut pas choisir contrairement à l’inverse) et se lier entre eux. Ici, la mère en détresse va se retrouvée embarquée dans un road trip accompagnée de deux revendeurs de bébés, qui souhaitaient trouver de nouveaux parents pour son nouveau-né, suivi de près par deux enquêtrices qui voient alors une occasion parfaite dans cette situation pour pouvoir les arrêter sur le vif. Et bien que le synopsis semble ne pas pouvoir se rejoindre quelque part, c’est là que comme à son habitude le réalisateur en tire sa force : dépeignant les portraits de personnages brisés, pour certains d’eux depuis la naissance rendant le parallèle avec me nouveau-né encore plus intéressant, se réunissant afin de mieux se reconstruire et de rassembler leurs morceaux, arrivant à garder un regard toujours neutre et bienveillant sur les situations qu’il dépeint afin de laisser au spectateur la liberté de se faire sa propre morale (jusqu’au générique avec sa fin selon moi plutôt ouverte).

Un plan de la scène d’introduction du film montrant l’abandon du nouveau né sous la pluie après une ascension de la mère, montrant la difficulté de son parcours et de sa décision

L’auteur ne se veut à aucun moment moralisateur, et cela pouvait être une crainte à la vue du sujet central du film. Son bucolisme propre à chacun de ces films aide aussi beaucoup à créer cette atmosphère si bienveillante et assez mélancolique à chacun de ses films, ces moments de poésie captés à l’instante, ces t-shirts qui sèchent au vent suspendus, cette après midi à la fête foraine et sa scène de dialogue dans la roue, cette main à la fenêtre réceptacle de goutte d’eau de pluie qui tombent du toit… La direction d’acteur est aussi fantastique sur ce point de vue, jouant aisément sans excès ni superficialité, peut être l’un si ce n’est le meilleur rôle de Kang-ho. Mais la plus grande surprise du film vient de l’artiste de k-pop IU, cœur central du film dans une justesse déconcertante à plusieurs instants, délivrant une palette d’émotion inattendue avec le rôle de cette femme piégée avec elle-même qui finira par se révéler grâce à la famille qu’elle a choisie. L’écriture est tout aussi douce et fine, les dialogues honnêtes et qui finissent par nous toucher de sincérité, et nous font pleurer (beaucoup).

La sublime IU, poignante dans le film

En fait au-delà de la famille, le vrai sujet central du film c’est la détresse. Finalement, qu’est ce que c’est que d’être réellement désespéré, et surtout d’où ce désespoir est né ? Qu’est ce qui a fait que l’on a été mis de côté, abandonné ? C’est finalement grâce à ce road trip unique que les personnages trouveront leurs saluts : la solution réside dans le fait de se connecter avec l’autre, de combler les trous et de retrouver dans cette absence quelque chose de familier, de nouveaux points de repères (à l’image d’une étoile du nord que l’on chercherait dans le ciel afin de pouvoir nous rediriger). Les Bonnes Etoiles c’est la retranscription de la difficulté de retrouver confiance en soi, et en l’autre, d’arriver à se reprendre en main sans se laisser tomber entre les pièces de ce grand puzzle qu’est la vie. Kore-eda évite donc encore une fois de tomber dans le mélodrame facile et livre avec Broker un nouvel ouvrage bouleversant et revigorant.

Monsieur Hirokazu Kore-eda, « merci d’être né ».

Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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