Punishment Park, l’anti Battle Royale

Punishment Park est un film américain réalisé par Peter Watkins sorti en 1971

Synopsis :  Dans une zone désertique du sud de la Californie, un groupe de condamnés est amené, contre la promesse de leur libération, à traverser le désert à pied, sans eau ni nourriture, pour atteindre le drapeau américain sans être capturés par les forces spéciales armées et motorisées lancées à leur poursuite.

Au cinéma, reconstituer un sujet pour le dénoncer est la base de nombreuses polémiques de représentation. Davantage que les films qui « montrent », une multitude crée de la violence apte à imprégner toute leur mise en scène : il ne faudrait pas rater une miette du spectacle dont l’admiration est pêché.

Ce paradoxe ne traduit pas un mal en soi, au contraire ; le Mademoiselle de Park Chan-Wook questionne le voyeurisme aménagé du spectateur, lequel est invité à scruter la libération du regard des hommes qu’obtiennent les héroïnes. Les cinéastes sont les premiers à se poser cette question de la représentation lorsqu’ils se penchent sur la direction du montage, quand ils définissent où s’opère la bascule entre une souffrance nécessaire au visionnage et celle qui endosse un simple rôle de stimuli émotionnel. Parfois, la souffrance est d’autant plus puissante quand on la rejette hors du champ de vision (selon ses propos, Jonathan Glazer l’avait compris pour La zone d’intérêt ; dommage que son talent de metteur en scène n’ait pas suivi).

Il va sans dire que l’univers des Battle royale, projeté dans la culture pop américaine à travers les dystopies adolescentes des années 2010 et florissante dans les mangas depuis l’œuvre éponyme de Koshun Takami et Masayuki Taguchi (par exemple Gantz, Btooom ! et toutes ces variations du survival), aborde la violence de manière frontale. De surcroît, il vise à dénoncer une violence futuriste tout en rendant sensationnel le spectacle intradiégétique de ladite violence.

©Chartwell

Le suspense, les pactes, l’amour dans l’horreur… Comment en vouloir aux habitants du Capitole de se nourrir d’une violence dont nous profitons autant qu’eux derrière notre écran ? Vouloir une suite type La balade du serpent et de l’oiseau moqueur répond au même besoin que de souhaiter l’éternité des jeux de la faim. Pas merci à Katniss Everdeen pour avoir mouché la présidente Coin, dont la seule erreur était de vouloir réitérer un évènement qui faisait le bonheur de toutes les parties.

En remontant plus loin en arrière, Le prix du danger et quelques autres exemples jouaient les Battle royale précurseurs. Seulement, le film d’Yves Boisset accentuait un aspect guignolesque appuyé par le personnage de Piccoli, baron d’un divertissement véritablement perverti. Il « volait le show », ou plutôt il le décalait hors du spectacle vers l’aménagement de ce spectacle. La dramaturgie globale du Battle Royale en est malgré tout sauvegardée…

… Au contraire de l’uchronie signée en 1971 par Peter Watkins et baptisée Punishment Park. Au-delà de son résumé racoleur (en pleine guerre du Vietnam, des jeunes militants et pacifistes ont le choix d’éviter une peine de prison s’ils prennent part à une course-poursuite avec la police anti-émeute dans le désert), Punishment Park refuse de concéder le moindre plaisir propre à son genre.

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Il n’y a dans ce film qui porte un nom de lieu aucun moyen d’appréhender les distances ; c’est un enjeu pourtant essentiel lors d’une poursuite au sein d’un emplacement défini. Face caméra, les personnages semblent progresser aussi vite que le mythique sur-place du chevalier dans Sacré Graal.

La caméra reste distante à leur égard pour ne pas sombrer dans l’empathie et concéder une faveur au sensationnel. La voix off, elle annonce un décompte arbitraire. Concernant les policiers, c’est leur attente qui prévaut à l’écran et elle est entrecoupée d’échanges avec une autre fournée de prisonniers – autant de distorsions temporelles pour révoquer une possible tension due par l’écoulement du temps. Le montage alterné dévoile qu’au final, la prochaine brassée de participants a déjà pris le pas.

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La violence est dans un premier temps absente du montage. Comme un paparazzi débarqué trop tard, le spectateur se retrouve face aux stigmates des affrontements dont on l’a tenu à l’écart. Rappelons que le spectacle a bien été tourné, mais pas encore monté ni diffusé : le régime uchronique de Punishment Park n’a pas encore d’emprise sur la matière première du faux documentaire.

Comme dans le One+One de Godard, des scènes revendicatrices parsèment le film, cisaillent la continuité dramatique du spectacle que les gens sont venus voir. Pour découvrir le dénouement de la poursuite, il faut se confronter à un discours sociétal sans filtre, sans effet de style.

Si Punishment Park refuse d’entraîner ses spectateurs dans le jeu, ses participants ne le vivent pas non plus comme tel. Certains malheureux abandonnent dès les premières minutes de saisir leur seule chance d’escapade – parce qu’il n’échappe à personne que son taux de réussite est insignifiant. L’absence de repères géographiques dote la ligne d’arrivée (un drapeau américain) d’une consistance de mirage.

D’après les règles, les pauvres hères peuvent s’en sortir en se rendant sans remous. Une arrestation équivaut pourtant, dans leur logiciel, à la mort. Ici, le non-respect des règles brise nos attentes, parce que l’intérêt des films d’arène se trouve dans la possibilité de survivre dans un microcosme, dans une caricature de société qui suit des principes, certes retors, mais des principes quand même. Si les prisonniers ne perçoivent pas ce cadre, ils annihilent l’intérêt de l’arène.

Ils ne suivent jamais les règles, que ce soit parce qu’ils n’entendent pas les instructions, qu’ils s’y soustraient ou qu’ils n’ont pas la forme physique de s’y résoudre. Ils se voient comme des proies en sursis et le métrage leur donnera raison. Le montage confronte la différence de paradigme entre eux et les soldats détachés, latents, obéissants à une grille d’ordres prédéfinie, tout en évoquant les règles déjà rompues par les prisonniers au sein de la société civile.

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L’aspect documentaire permet instantanément de motiver les choix de plans, grâce à l’apparition d’un tiers au jeu : le caméraman. La déontologie le conduit à cadrer ce qui mérite d’être vu, sans considération politique pour guider ses choix. On assiste au pathétique des soldats à l’entrainement, à la souffrance des victimes et leur pensée intime, mais surtout à l’envers du décor : les soldats brisent à leur tour les règles.

Le comble de l’injustice, c’est que les bourreaux ne suivent pas le procédé narratif établi par leur propre ordre, non seulement par vengeance, mais surtout par incompétence : une erreur de jugement faite hors du champ de la caméra et qui n’était ni narrativement, ni visuellement prévisible, et dont la raison est découverte a posteriori… parmi les policiers, des enfants tiennent des fusils. Le projet Punishment Park se dévoile encore plus grinçant qu’aux premiers abords et épouse l’ampleur d’un tir au pigeon grandeur nature pour enfants.

Camille Schoux
Camille Schoux
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