The Iron Claw : (Em)prise de fer

The Iron Claw est un film réalisé par Sean Durkin avec, notamment, au casting Zac Efron, Lily James, Jeremy Allen White, Maxwell Jacob Friedman ou encore Holt McCallany

Synopsis : Inspiré de l’histoire vraie des frères stars de la lutte professionnelle Von Erich des années 60 jusqu’aux années 80, le film retrace à travers les triomphes et tragédies le destin funeste de cette famille menée à bout de bras par un père entraineur tyranique.

The « Iron Claw » : prise de soumission légendaire du monde du catch et, surtout, la signature de la célèbre famille Von Erich qui, encore aujourd’hui, est réputée pour être l’une des familles les plus contemplées du sport malgré sa grande tragédie. Cette même tragédie est alors annoncée dès le départ par son titre et résonnera tout au long du métrage. Faisant tout autant référence au milieu qu’elle vise ainsi qu’à son sens littéral, « griffe de fer », Sean Durkin s’évertue avec The Iron Claw à mettre en scène les traumatismes vécus par l’ainé de la famille, Kevin (Zac Efron), et la prise de main de fer entre lui, ses frères et leur retraité de père empirique.

Fais pas ci, fais pas ca
The Iron Claw de Sean Durkin – © 2024 A24

Dès sa scène d’introduction en noir et blanc, les projecteurs s’allument et le spectacle semble commencer : le ring prend vie, la foule apparait et ainsi est effectuée l’iconique prise qui s’exécute des mains du père Von Erich sous les flashs des appareils photos – dans un possible hommage au Raging Bull de Scorsese. Pourtant, comme énoncé plus tôt, les strasses et le show n’intéressent pas totalement Durkin. Conscient que les icônes qu’il met en scène le sont déjà, il évite miraculeusement – et pour notre plus grand bonheur – l’écueil du film biographique générique, celui qui consiste soit à lisser l’image d’une personnalité déjà connue et adorée de tous (Bohemian Rhapsody), ou soit au contraire à la martyriser par fétichisme ou voyeurisme problématique (Blonde). En dressant le portrait de la famille Von Erich et leur tragique destin, le cinéaste s’attarde sur les coulisses du spectacle et sur ses thématiques de prédilection : l’emprise et les traumatismes qui s’en suivent.

En effet, en échouant dans sa carrière, le père de famille, envieux de voir sa réussite par le biais des yeux de ses enfants, ne s’occupe d’eux que par une éducation testostéronée et dangereusement masculinisée. On ne verse pas une larme soldat, ici, on transpire et on porte le fusil à l’épaule jusqu’au front. Il semble alors renier toute idée de famille, considérant ses fils bien plus comme un roster de futurs champions à récompenser que comme de véritables enfants. Des objets pour le divertissement, des clones avec lesquels Durkin joue d’ailleurs sur plusieurs plans où leurs visages se confondent et se ressemblent. Ils ne sont que des copies désirées de leur créateur et maitre étalon qui souhaite les voir courir le plus loin possible afin de remporter la mise – la mise en place d’un PMU texan n’est malheureusement pas si lointaine. Classé par ordre de « préférence » par leur paternel, les frères n’ont d’autres choix que de se lier jusqu’à la mort les uns aux autres. Le père de l’un est la mère de l’autre, ils grandissent et s’éduquent comme le ferait de véritables parents.

Potentiel « memesque » dingue
The Iron Claw de Sean Durkin – © 2024 A24

Derrière le feu des projecteurs se cache une vraie flamme intérieure : celle de l’amour d’une fratrie qui se souhaite niaisement de vivre éternellement côte à côte en profitant de chaque jour comme si celui-ci pouvait être le dernier qu’ils passeraient ensemble. C’est en se détournant du sport et en s’attachant plus à l’humain et au relationnel que le film gagne en puissance. À l’image d’un père qui ne détourne jamais le regard de ses trophées et de ses armes qu’il expose à la vue de tous, c’est lorsque le spectateur peut se permettre de regarder plus loin que les sauts de cordes, qu’il respire et s’attache alors à ses icônes et qu’il perçoit mieux leurs failles et faiblesses que leur tyran paternel souhaitait cacher. Une approche de bon vivant, qui peut sembler flirter avec le pathos, mais, qui, de justesse, ne tire jamais trop sur la corde sensible jusqu’à sa fin dévastatrice de bons sentiments.

Il n’était pourtant pas chose aisée d’éviter le misérabilisme à la vue de leurs fins de parcours – dont j’ignorais tout par ailleurs. Mais si l’on peut concéder à la fin son côté plus tire larme qu’avant, qui se justifie totalement dans l’émancipation du personnage de Kevin lui permettant d’enfin justement tirer sa révérence et pour la première fois de lâcher de vraies et sincères larmes, le reste du long métrage présente le tragique par des schémas classiques mais efficaces. On joue sur les apparitions fantomatiques, des photos de familles auxquelles se rajoutent le frère décédé par une petite photo accrochée en supplément ou encore des effets de style qui imitent ceux de la télévision des années 70-80 afin d’accentuer la notion de passé et d’archive (mise en scène de fausse émission de catch, écriture nostalgique et transitions kitsch…). De simples idées qui, bien effectuées, suffisent amplement.

La mise en scène se met par ailleurs magnifiquement au service de ses icônes : une caméra souvent fixe, qui ne cherche pas à virevolter dans tous les sens. Une superbe photographie aux couleurs retro et chatoyantes qui sentent les bonbons des années 80, notamment ce plan séquence qui suit l’arrivée de supporters afin de rentrer dans l’arène sur fond de « Don’t Fear The Reaper » (n’ayons crainte de la mort et de la malédiction) et d’entrer dans le show. Le travail du hors champ est par ailleurs assez remarquable, les personnages prenant de nouveau le cours de leur vie en sortant paradoxalement du cadre traditionnel. En exemple, la mère qui se recentre sur la peinture hors caméra, que l’on comprend par les dialogues.

Petite envie de mojito d’un coup
The Iron Claw de Sean Durkin – © 2024 A24

Il n’est donc pas étonnant que le choix, malgré la grande brochette que compose sa famille, de centrer le récit sur Kevin l’ainé soit formellement intéressant, surtout si on l’étudie du point de vue de la mise en abyme avec son interprète. En effet, Zac Efron acteur comme catcheur se retrouvent être deux icônes musclées au visage d’ange. Une enveloppe corporelle avec laquelle Durkin adore jouer avec sa caméra et ses cadres et ainsi mieux en distiller le regard désemparé et en proie à un vide émotionnel que ses muscles ne parviennent pas à combler. Deux interprètes enfermés dans deux industries qui tirent d’eux ce qu’ils veulent faire apparaitre et ce qu’ils choisissent de faire apparaitre. C’est sur ce point que l’émancipation de Kevin résonne peut-être d’autant plus avec le choix de casting de Zac Efron, tant ce rôle semble être celui de la maturité pour l’acteur.

Toujours juste et jamais en dehors du ring, Efron sort des sentiers battus et semble tracer son propre parcours dans la peau du catcheur Von Erich dans un rôle indirectement introspectif. N’oublions pas non plus le reste de la troupe qui est aussi attachante que séduisante, notamment la sublime Lily James qui tire son épingle du jeu en apportant à Kevin l’amour maternel qu’il n’a jamais pu avoir d’une mère fatalement spectatrice du destin de sa famille et sous l’emprise de son mari, qui ne put même pleurer ses enfants pour respecter la fierté artificielle de son époux.

Rentrons, il pleut
The Iron Claw de Sean Durkin – © 2024 A24

Alors finalement, lorsque le gong retentit et que vient la dernière entrée en scène, les frères se retrouvent dans un enlacement salvateur sans l’emprise de leur père qui les a emmenés droit vers leur chute en répercutant sur eux les mêmes erreurs. Les projecteurs changent de direction et éclairent à présent le visage ému d’Efron, qui se cache devant ses enfants pour qu’ils ne le voient pas pleurer, se voyant jouer avec ses frères comme auparavant à travers eux. L’un d’eux lui dit que ce n’est pas grave, tout le monde finit bien par pleurer. L’autre lui répond qu’eux aussi seront ses frères pour la vie. Kevin décide enfin de ne pas commettre la même erreur que son père et se laisse éclater en sanglot – suivit de près par le spectateur. Les remords et la tristesse sont extériorisés, seul le temps fera désormais les choses.

La Note

7/10

Note : 7 sur 10.
Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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