Love Lies Bleeding : Rose Glass frappe en plein cœur

Vous vous en souvenez peut-être – ou comme beaucoup vous tentez de l’oublier – mais en 2020 le monde était en pleine crise sanitaire avec la pandémie de COVID-19. C’est malheureusement pendant cette période que Rose Glass verra son premier long métrage Saint Maud sortir – presque silencieusement – en SVOD. Alors remarqué en festivals, et notamment à Gérardmer, son dernier plan cauchemardesque et son faux récit de film d’une nonne enfermée dans un milieu qui l’étrique et la ronge se montrait prometteur et assez saisissant pour qu’on désire en voir davantage. La cinéaste ne se laisse alors pas abattre : toujours aux côtés d’A24, elle réunit pour Love Lies Bleeding les deux belles figures hollywoodiennes que sont Kristen Stewart et une impressionnante Katy O’Brian. Et tout ce que l’on puisse dire, c’est qu’il était temps que le grand public puisse enfin découvrir le talent d’une courageuse et passionnante cinéaste à en devenir.

© Love Lies Bleeding (2024) de Rose Glass – A24

Car ce qui frappe d’abord avec le second long métrage de Glass, ce n’est pas seulement la stupéfiante musculature de Katy O’Brian ni l’envie au spectateur de coller immédiatement un pied bouche (sans mauvais jeu de mots) dans la tronche d’Ed Harris et Dave Franco – chacun superbement détestables dans leurs rôles. C’est surtout l’étonnante maitrise de son récit, qui ne tombe jamais dans la facilité du fétichisme tant au niveau des relations qu’il met en scène que dans l’époque dans laquelle il se situe. Enfin un film qui décide de s’encrer dans les années 80 autrement et qui ne se sent jamais obligé d’être une mine de Salomon aux références grossières pour montrer que « eh t’as vu, c’est COOL les EIGHTIES mon pote ».

Le film n’en a pas besoin tant il s’évertue justement à inverser les rapports de force qu’on pourrait retrouver dans le genre. La violence et la toxicité masculine sont alors rapidement relayées au second plan, en se faisant piétiner et balayer à coups de feu ou de poings. Rose Glass n’en a que faire de ces hommes baignés à la testostérone. Ce qui la frappe, c’est la brutalité de la réalité que doivent affronter ses héroïnes qui tentent, chacune à leur façon, de se façonner une nouvelle vie et de se dompter. Le bras de fer se joue plutôt entre leurs pulsions vengeresses et leur volonté de dompter une force qu’elles ne maitrisent pas toujours. Et tout comme leur force, leur amour semble aussi échapper au contrôle de la réalité pendant un instant.

© Love Lies Bleeding (2024) de Rose Glass – A24

Un amour fort, sincère, puissant et intense qui les saisit d’un regard croisé entre une fumée de cigarette. C’est d’ailleurs pendant ce battement de vie que le couple échappe à ce qui les ramène au réel, avant que tout ne vienne se percuter. C’est l’Amérique du début des années 1990 après tout, celle qui sort seulement de plus d’une décennie de guerre et qui perd tout espoir dans la paix et le salut. Il faut alors se refaire, retrouver la force de combattre et faire face au risque de subir. Au-delà d’un amour sincère, le récit prend un virage profondément nihiliste et sanglant. Les deux femmes se retrouvent à devoir se battre pour aimer, seules contre tous et parfois même contre elles-mêmes – rappelant aussi bien Thelma et Louise que Bonnie & Clyde.

La mise en scène de Rose Glass est d’une impressionnante maitrise. Tout virevolte autour de la dynamique du couple et met au centre son attachant duo. Les scènes de complicité sont sulfureuses, celles en voiture donneraient quant à elle l’impression de regarder un road movie tant elles semblent salvatrices – même si on en est finalement très loin. Tout le but de la cinéaste est de montrer comment elles se retrouvent enfermées dans cette violence sous-jacente – comme elle avait pu le faire dans Saint Maud qui emprisonnait sa nonne dans une foi aveugle et auto destructrice. Une brutalité qui peut d’ailleurs éclater à tout instant si elles ne la combattent pas avant.

© Love Lies Bleeding (2024) de Rose Glass – A24

Il est d’ailleurs intéressant de voir comment la cinéaste représente cette brutalité et la colère qui gronde en elles. Les gros plans sur les biceps huilés de Jackie (Katy O’Brian) avec des veines gorgées qui n’attendent qu’à exploser à chaque instant. Le bruit des muscles et de la chair qui s’étire – et qui nous crispe – en totale contradiction avec le calme perturbant de Lou (Kristen Stewart). Elle, qui à l’inverse semble calme et réfléchie, pas très épaisse, cache aussi une grande colère à évacuer. Toutes deux sont enfermées dans la violence de leurs démons passés ou actuels. Jackie dira d’ailleurs à Lou qu’elle aussi vit ses propres horreurs.

C’est finalement lorsqu’elles les auront vaincues qu’elles pourront enfin prendre possession de leurs corps, de leurs rêves. Ces personnages arrivent enfin à contempler l’avenir du haut des nuages, dans un plan tout aussi surréaliste que merveilleux, et le film se permet même une dernière note d’humour macabre en tuant le peu d’attache qu’il restait à leur passé – en arrière-plan, comme si la mort ne représentait plus qu’une étape supplémentaire dans le grand sillon qu’à déjà tracé leur amour. La trace laissée par leur passage n’est pas parfaite, la victoire ne semble pas acquise jusqu’à la dernière minute. Mais leur amour pour lequel elles se sont durement battues pour faire exister, lui, vaincra et persistera.

La Note

Note : 4 sur 5.
© Love Lies Bleeding (2024) de Rose Glass – A24
Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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