Parmi mes attentes personnelles de ce festival de Cannes, deux films attirent particulièrement mon attention. Il s’agit des deux films tournés dans le Jura, ce département qui m’a vu grandir. Le premier des deux à avoir été diffusé lors de cette édition, c’est « Vingt Dieux » de Louise Courvoisier dans la catégorie Un Certain Regard.
Ce nom ne m’était pas inconnu puisque quelques mois seulement auparavant, Louise était venue (re)diffuser à Besançon son court métrage « Mano a Mano », tourné lui aussi dans le Jura. Ce très réussi court métrage réalisé à la sortie de la CinéFabrique avait alors remporté le premier prix de la Cinéfondation lors du festival de Cannes 2019. Pour toutes ces raisons mes attentes étaient forcément très élevées et le moins que l’on puisse dire c’est que j’ai largement été conquis.
La force principale de ce film repose déjà sur sa mise en scène. En choisissant des acteurs non professionnels, plutôt de simples habitants, Louise Courvoisier a su viser juste et extirper de chacun des comédiens leur plein potentiel pour chaque rôle. Les scènes « techniques » propres au milieu agricole et fromager sont maîtrisées et donnent la juste et satisfaisante impression d’une honnêteté totale entre la réalisatrice et le public. Personne ne triche. Les acteurs semblent d’ailleurs ne pas avoir à beaucoup se forcer pour jouer. Ce naturel est assez rare pour être souligné, il offre la chance de visionner un film unique. Mention spéciale aux acteurs Mathis Bernard et Lucas Mariller que je pense prometteurs pour une suite de carrière. J’aimerais également beaucoup revoir un jour Clément Favreau, Maïwene Barthelemy ou encore Dimitri Baudry tourner dans un autre projet.
En terme de technicité pure, Louise sait parfaitement comment réaliser des films, ça se ressent du début à la fin. Comme pour son court métrage « Mano a Mano », les plans séquences sont pensés à la perfection. L’étalonnage est sublime et souligne merveilleusement les paysages mis à disposition par cette nature Jurassienne.
Louise plonge le spectateur dans ce beau département de campagne, enfermant ses personnages dans une verdure illimitée entourée de vaches et de fermes. Originaire du Jura, la réalisatrice connaît les sublimes paysages que sait nous mettre à disposition la Franche Comté. Que ça fait du bien d’en voir des plans diffusés au monde entier lorsque habituellement les tournages de cinéma dans cette localité se comptent sur les doigts d’une main.
La seconde grande force de « Vingt Dieux » repose sur son scénario. Prêtant d’abord à rire, ce film comme vous vous en doutez ne parlera pas seulement de comté comme le synopsis pourrait le laisser croire. Non, tout va bien au-delà. Grâce à sa connaissance des Jurassiens, Louise Courvoisier n’hésitera pas à aborder de profonds et épineux sujets qui concernent bien souvent cette population dite de province. L’alcoolisme ambiant et présent dès le plus jeune âge, la pudeur extrême même entre meilleurs amis ou amants, la violence de campagne, etc… Autant de notions avec lesquelles il serait facile de tomber dans la caricature grossière et crasse qui stigmatiserait ces populations. Or ce n’est pas du tout ce que Louise souhaite faire. Bien au contraire, ce qu’elle souhaite c’est rendre hommage à ces lieux et à ces gens qui l’ont vu grandir. C’est une grande réussite, ayant grandi au même endroit, je reconnaissais des amis et des connaissances au travers des personnages. J’ai plusieurs fois été ému lors de la projection, pas seulement parce que l’histoire s’y prête, mais aussi parce que indirectement j’étais fier que l’on soit (enfin) si bien portés à l’écran.
Mis à part quelques rires inopportuns du public Cannois (on commence à s’habituer à leur mépris), notamment pour l’accent franc-comtois, « Vingt Dieux » semble avoir conquis les cœurs. Ce récit alternant entre drame, légèreté et quête d’émancipation aura donc créé ce très touchant coming of age mais aura également su cueillir les heureux spectateurs, chanceux d’avoir vu ce si beau film. Il ne serait ni étonnant ni injustifié de voir Louise Courvoisier rafler la Caméra d’Or cette année. C’est tout ce que je lui souhaite. Bravo Louise, nous avons hâte de suivre la suite de ta filmographie !
La Note
9/10