Le Slasher : naissance et renouveau d’un genre

Michael Myers, Ghostface, Jason Voorhees ou encore plus récemment Art le Clown. Des figures qui, à leur lecture, ont probablement déjà dû faire frémir leurs adeptes (tout comme moi) : voici le slasher. Probablement l’un des sous genres les plus prolifique du cinéma d’horreur avec sa recette qui tient, avouons le, souvent sur un simple post-it mais qui a su néanmoins faire ses preuves avec les années. Pour cuisiner un bon slasher, les ingrédients sont assez simples : commencez avec un tueur masqué ou généralement défiguré avec une arme (souvent blanche), ajoutez y un groupe de personnes innocentes prêtes à se faire éplucher comme des pommes de terre et saupoudrez le tout de meurtres tous plus ludiques les uns des autres dans un environnement en apparence sûr. Son appellation française de l’époque, psycho-killer movies, résumait déjà à merveille ce que le slasher était. Pourtant, il est aussi très intéressant de gratter sous la croûte de cette belle tarte et d’en connaitre les origines et surtout son évolution au fil des années. Alors à l’occasion d’Halloween : aiguisez votre couteau, on remonte le temps afin d’assister à la naissance de bébé Myers et ses rejetons.

“Merde alors, il l’a vraiment fait son article…” (Halloween)

Slash’ : Naissance

Bien que l’on soit capable de s’accorder sur divers géniteurs du genre, il n’existe pas à proprement parler un film unique qui aurait véritablement lancé la machine. Les influences les plus évidentes proviendraient du Giallo. Lorgnant avec le film policier, horrifique et l’érotisme, le Giallo s’impose cruellement en Italie dans les années 60 jusqu’à l’avènement des Slashers dans les années 80. Lucio Fulci, Dario Argento mais surtout celui qui nous intéresse ici Mario Bava en sont parmi les plus influents. Il signe notamment en 1971 La Baie Sanglante, un véritable proto slasher macabre reprenant les codes du Giallo en évoluant vers un autre genre dans ce combat entre un groupe d’individus pour la possession d’une baie. Ses beaux décors boisés et cette baie ne sont pas sans rappeler notre camping de Crystal Lake favori de Vendredi 13 ou les décors d’un certain Carnage en 1981. Bava fait preuve de cruauté avec ces personnages dont aucun ne sort quelque chose de positif qui aiderait le spectateur à avoir de l’empathie pour eux. Il signe indirectement la naissance d’un genre dont les codes continueront encore aujourd’hui à être repris de son film. Bien qu’ils ne soient pas véritablement les premiers films à mettre en scène un tueur psychopathe, on peut également citer Psychose d’Alfred Hitchcock ou encore Le Voyeur de Michael Powell et ses scènes en vue subjective du tueur qui rappelle nombre de scènes d’Halloween et du tueur du Vendredi. Ces dernières influences ont inspiré un genre nouveau mais sans chercher à en proposer une rupture comme ce fut le cas avec le film de Bava. Le genre nait ensuite, selon certains, véritablement avec Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper et son icône de Leatherface accompagné de sa famille de cradingues. Hooper lâche le couteau et préfère utiliser un moteur vrombissant dans la campagne exilée du Texas utilisant certains codes prédominants du genre. Mais force est de constater que bien que Leatherface en soit devenu malgré lui une icône, le film s’apparente bien plus à un survival qu’au début du slasher. Le désert du Texas n’a rien de sûr, il est hostile, et ses personnages sont entrés sur le territoire de Leatherface dont ils tentent d’en fuir les coups de scie. Dans un Slasher, la menace s’infiltre dans notre espace. Le mal prend place dans l’environnement sans que nous le choisissions. Les vraies pierres à l’édifice seront donc en réalité Black Christmas de Bob Clark qui sortira la même année que le fou à la tronçonneuse en 1974 et Halloween de John Carpenter quatre ans plus tard en 1978. Le premier utilise la période conviviale de fin d’année et de Noël pour y piéger une sororité dans les griffes d’un psychopathe accro aux fortes respirations au téléphone et au jeu du cache-cache. Un véritable tour de force qui sera l’une des influences de Scream des années plus tard. Du côté de Carpenter, c’est la naissance de la première vraie icone du Slasher : le jeune Michael Myers qui, un soir d’Halloween, assassine brutalement sa sœur (elle aussi en vue subjective) et revient se venger des années plus tard. L’incarnation du Mal, le Boogeyman originel qui terrorisera les baby-sitters et son public de l’époque. Le succès est au rendez-vous, les producteurs sentent le potentiel d’un tel genre au cinéma et réclament des suites. La machine à jouet est désormais lancée et rien ne semble pouvoir l’arrêter.

La machine en question (Child’s Play II)

Slash’ II : Age d’or

Ah… les années 80, période de pain béni pour les fans du genre. Le genre atteindra alors sa pleine apogée durant cette période d’innovation et de liberté (parfois fantasmée) extravagante mais remplie néanmoins d’une insécurité constante profitable au Slasher. Les icônes si chères au cœur des fans voient enfin le jour et leurs suites pleuvent après la sortie d’Halloween II de Rick Rosentahl en 1981 : Vendredi 13 et son nombre incalculable de suites de Jason Voorhees prêt à en découdre à la machette, Freddy Krueger et ses griffes acérées de la nuit de Wes Craven, Hellraiser du romancier britannique Clive Barker et son sado-masochiste Pinhead ou encore la poupée en caoutchouc tueuse Chucky. La recette magique fonctionne : petit budget, des acteurs amateurs ou peu expérimentés prêts à être réduits en charpie… la vraie star du film, ce n’est nul autre que son antagoniste. A l’image du film de Bava, les spectateurs n’ont que peu d’intérêt à avoir de la compassion pour les futures victimes stéréotypées et détestables des opus. Le public est au rendez-vous surtout pour son croque-mitaine. L’antagoniste est celui qui est mis en avant : on veut connaitre son passé, son histoire, sa méthode et ce qu’il va commettre comme prochains crimes. C’est lui qui occupe le premier rôle et qui devient le mythe convoité par les fans. Le système est évidemment très rentable, de nombreuses suites voient le jour et de grandes franchises se créent, pour le meilleur comme pour le pire. Dans une période aussi extravagante et libre que les années 80, voir le genre du Slasher s’imposer n’est pas une grande surprise. Un public sans repères dans une période d’innovation incertaine, en recherche de frissons et du « toujours plus ». Au-delà du plaisir vilain se cache en vérité un miroir de la société et de ses maux de l’époque. Le genre prend un malin plaisir à jouer de ses peurs et utilise des lieux et métiers communs assez sûrs afin de donner du frisson (le babysitting, animateur en camp de vacances, scouts, possession d’un jouet pour enfant…). Il est d’autant plus facile pour un jeune public de se réfugier auprès du mal qui éveille une curiosité encore inconnue et d’attendre l’inondation de ketchup sur grand écran que d’affronter les réels soucis majeurs de l’époque. Cependant, dès le milieu de la décennie le genre commence à partir en déclin faute de renouvellement des codes.

On est pas bien là ? (Vendredi 13 II)

Slash III : La suite (de trop)

Après avoir envahi les écrans, l’explosion du genre au début de la décennie et la lassitude d’un public qui n’arrive plus à y trouver de nouvelles sensations se meurt à petit feu. Les studios cherchent à vider la dernière goutte de sauce du pot, et c’est le trop plein. En 1988, Halloween atteint déjà son 4ème opus avec Le retour de Michael Myers et son Donald Pleasance désormais fatigué de jouer au docteur maboul. Désormais vêtu de son célèbre masque de hockey, la franchise Vendredi 13 entre temps grandit et Jason accouche de pas moins de 5 vers de terre de son orbite entre 1984 et 89 (malgré que le sixième opus soit de loin le meilleur de la saga). Krueger a lui aussi déjà enfilé trop de fois sa paire de gants qui devient de moins en moins aiguisée (même si, là encore, le troisième opus est peut-être le plus ludique de toute la franchise). D’autres nouvelles franchises tenteront néanmoins d’émerger avec notamment Prom Night, et ses trois suites à mater uniquement un dimanche de pluie chez papy après le poulet frite, ramenant même en tête d’affiche la Scream Queen des « eighties » Jamie Lee Curtis. Cependant, la fin des années 80 contient son petit lot de bonnes surprise en faisant aussi apparaitre le très sympathique Slumber Party Massacre ainsi que Sleepaway Camp et son twist ahurissant encore aujourd’hui (vous finirez bouche bée, promis). Arrive alors le début des années 90 et désormais les masques des tueurs sentent la sueur et la crème anti-ride : le genre se meurt, le torchon ayant été plus qu’essoré. Faute de renouveau, les dernières suites d’Hallloween et Vendredi 13 enterrent leurs antagonistes désormais obligés de tenir une canne, ce qui ne leur facilite pas la tâche pour tuer leurs victimes. Seul Wes Craven arrivera (selon moi) à tirer son épingle du jeu à tricoter avec son Freddy sort de la nuit en 95, faisant renaitre son tueur à griffes dans le monde réel afin de réduire en bœuf haché les acteurs de la saga qui l’ont tant essoufflé. Les studios avides et leurs producteurs se moquant du peu de public qui daignait rester avaient ruiné le genre : tout était conclu, tout avait été fait et refait.

Freddy n’en voit, comme nous, plus la fin (Freddy sort de la nuit)

Slash’ IV : Le retour du mort vivant

1996, un jeune scénariste au chômage Kevin Williamson nostalgique de son adolescence et des tueurs masqués qu’il aimait tant se lance comme projet d’écrire un scénario hommage au genre désormais mort. Coup de chance pour lui (comme pour nous), le scénario se retrouve entre les mains de Miramax et Wes Craven se met en charge de la réalisation. Un masque mythique, une scène d’introduction iconique reprenant les codes originels pour s’en moquer et les détourner plus tard : Scream est né et avec lui le genre renait sous la forme du néo-slasher. La seule actrice connue à l’affiche meurt dès sa scène d’introduction après avoir, ironiquement, échouée à répondre aux fameuses questions de Ghostface sur les classiques du genre. Une métaphore évidente de la volonté de rompre avec les anciens codes et de proposer quelque chose de plus radical, de frais, de différent. On cherche à conquérir un nouveau public, à créer de nouvelles stars. La carrière de Drew Barrymore relancée, celles de Neve Campbell, Courtney Cox, David Arquette ou Skeet Ulrich ne font que commencer. Le tueur n’est plus la seule icone de son film, on développe une nouvelle image de protagonistes par lesquels le spectateur cherche à y trouver de l’empathie. Les Scream Queens (un nom qui ne peut pas être plus parlant sur sa nouvelle définition d’ailleurs) naissent et le public veut retrouver sa final girl et ses survivants auxquels il a pu s’attacher, il ne veut plus les voir mourir. Ainsi, le genre ne devient plus seulement un plaisir régressif à voir des jeunes vacanciers se faire tordre les os par un marteau, mais comporte aussi la volonté de voir ses héros se battre et survivre contre un tueur qui occupe désormais le même statut. Parfois parodique, au ton gentiment moqueur, le film pose les bases d’une nouvelle violence méchante qui s’était faite rare. Les tueurs ne sont motivés que par le désir de tuer, influencés par ce qui les ont fait grandir : les slashers d’antan et leurs films chouchous. Un climax d’une rare intensité désormais culte, torturant ses victimes et tuant ce qui est « old school », laissant la place à une nouvelle génération prête à en découdre. Bien évidemment, après cette renaissance s’en suit le début de nouvelles franchises et idées originales : Scream se voit octroyé des suites, Souviens-toi l’été dernier (aussi inspiré d’un scénario de Williamson) nait ainsi que Destination Finale dont la mort elle-même tient le rôle du tueur iconique, Jeepers Creepers, Wolf Creek, et même Haute Tension d’Alexandre Aja et Cry Wolf côté français. Cette période fait aussi naitre des remakes de certaines œuvres phares comme le Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel (qui en est probablement le précurseur) en 2003, Black Christmas version 2006, les deux Halloween de Rob Zombie ou encore Vendredi 13 et l’horrible Les Griffes de la nuit de 2010. Mais voila qu’en voulant retourner à l’origine le néo slasher meurt, de nouveau de lassitude et du manque d’originalité depuis la rupture Ghostface qu’aucune figure n’a su égaler depuis.

Mort une nouvelle fois… (Destination Finale)

Slash V : L’Ultime Retour ?

Après tant d’aventures et de coups de canif, que devient le genre depuis ? Ironiquement à la manière de ses nombreuses suites, le Slasher connait visiblement une nouvelle vie. Un mélange d’une volonté de retourner à la source et de retrouver ce qui en faisait le sel tout en modernisant de nouveau la formule. Après une période de séries TV dans les années 2010 avec Scream, American Horror Story 1984, Harpers Island ou encore Slasher, la nouvelle formule nait par des créations originales comme Happy Birthdead ou le retour de Michael Myers plus en forme que jamais en 2018 avec David Gordon Green et sa trilogie. Tous deux ont en commun de vouloir renouveler avec une formule qui avait fait ses preuves. Le retour de finals girls emblématiques et de masques originaux, tout en modernisant les mœurs et les regards. Cela peut donner lieu à de francs hommages (à Carpenter pour Gordon Green et ses parallèles nombreux) ou d’honnêtes pastiches des années 80 (Happy Birthdead donc renouvelant avec le slasher fantastique comique à l’image d’un Freddy III). On cherche à retourner (probablement depuis le succès de Stranger Things) dans les années bénites de la décennie 80, pour s’en moquer avec tendresse ou répartie, ou pour le simple hommage et sentiment nostalgique. La trilogie Fear Street de Netflix brasse trois périodes différentes et offre alors par exemple un point de vue intéressant en offrant un pastiche étonnant et réjouissant. Récemment, Totally Killer sur Prime Video renvoie Kiernan Shipka dans le passé pour empêcher un psychopathe de poignarder sa mère. On veut créer un confort nostalgique et renouer avec cette image du tueur et de la final girl. Le « requel » (oui encore un terme abracadabresque) s’impose actuellement comme l’idée à faire pour faire vivre de nouveau une franchise : faire suite à l’opus original et annuler ses nombreuses suites pour « retourner à la source ». Scream est actuellement en plein nouveau bond, Candyman de Nia DaCosta a lui été bien trop sous estimé, bientôt Jason dans une série produite par A24 et le succès de la trilogie Halloween de Gordon Green prouvent que le public est encore présent et prêt à voir réapparaitre de vieilles têtes. Tandis que le succès de Terrifier, M3GAN ou encore Pearl et X de Ti West (vibrant pastiche au genre) montrent qu’il est également prêt à accueillir de nouvelles icones. La tarte n’a donc pas fini de cuire, pour le meilleur cette fois-ci espérons le.

“The End” (Pearl)
Tristan Misiewicz
Tristan Misiewicz
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